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bruit. Si je le rencontrais seulement, je serais un homme perdu. Il me ferait remettre en prison comme ayant outragé le maire; il conte ce qu'il veut dans ses procès-verbaux. Les témoins au besoin ne lui manquent jamais; contre lui ne s'en trouve aucun. Déposer contre le maire en justice, qui oserait?

Si vous parlez de ceci, Monsieur, dans votre estimable journal, ne me nommez pas, je vous prie. Quelque part que je sois, il peut toujours m'atteindre. Un mot au maire du lieu, et me voilà coffré. Ces messieurs entre eux ne se refusent pas de pareils services.

Je suis, Monsieur, etc.

Nota. En faveur de nos abonnés de la ville de Paris surtout, qui ne savent pas ce que c'est qu'un maire de village, nous publions cette lettre avec les précautions requises toutefois pour assurer l'incognito à notre bon correspondant. Tout Paris s'imagine qu'aux champs on vit heureux du lait de ses brebis en les menant paître sous la garde, non des chiens seulement, mais des lois. Par malheur, il n'y a de lois qu'à Paris. Il vaut mieux être là ennemi déclaré des ministres, des grands, qu'ici ne pas plaire à monsieur le maire.

PIÈCE DIPLOMATIQUE, a

EXTRAITE

DES JOURNAUX ANGLAIS.

(On l'a dit envoyée de Cadix à M. CANNING, par un de ses agents secrets, qui l'aurait eue d'un valetde-chambre, qui l'aurait trouvée dans les poches de sa MAJESTÉ CATHOLIQUE).

N°. 5.

A MON FRÈRE LE ROI D'ESPAGNE.

J'ai reçu la vôtre, mon Frère, ou mon Cousin, puisque nous sommes issus de germains. Vous voilà bientôt, grâce au ciel, hors des mains de vos rebelles sujets, dont je me réjouis avec vous comme parent, voisin et ami, entièrement de votre avis d'ailleurs sur notre autorité légitime et sacrée. Nous régnons de par Dieu qui nous donne les peuples, et nous ne devons compte de nos actes qu'à Dieu ou aux prêtres, cela s'entend. J'y ajoute, comme conséquence également indubitable, qu'il ne nous faut jamais recevoir la loi des sujets; jamais composer avec eux, ou du moins nous croire engagés par de telles compositions vaines et nulles de droit divin. C'est aux personnes

de notre rang le dernier degré d'abaissement, que promettre aux sujets et leur tenir parole, comme a très-bien dit Louis XIV, notre aïeul, de glorieuse mémoire, qui savait son métier de roi. Sous lui, on ne vit point les Français murmurer, quelque faix qu'il leur imposât, en quelque misère qu'il les pùt réduire, pas un d'eux ne souffla mot, lui vivant. Pour ses guerres, ses maîtresses, pour bâtir ses palais, il prit leur dernier sou; c'est régner que cela. Charles II d'Angleterre fit de même à-peu-prés; comme nous, rétabli après vingt ans d'exil et la mort de son père, il déclara hautement qu'il aimait mieux se soumettre à un roi étranger, ennemi de sa nation, que de compter avec elle, ou de la consulter sur les affaires de l'état; sentiments élevés et dignes de son sang, de son nom, de son rang. Moi qui vous écris ceci, mon Cousin, je serais le plus grand roi de l'Europe, si j'eusse voulu seulement m'entendre avec mon peuple. Rien n'était si facile. Me préserve le ciel d'une telle bassesse! j'obéis aux congrès, aux princes, aux cabinets, et en reçois des ordres souvent embarrassants, toujours fort insolents; j'obéis néanmoins. Mais ce que veut mon peuple et que je lui promis, je n'en fais rien du tout, tant j'ai de fierté dans l'âme et d'orgueil de ma race. Gardons-la, mon Cousin, cette noble fierté à l'égard des sujets, conservons chèrement nos vieilles prérogatives; gouvernons, à l'exemple de nos prédécesseurs, sans écouter jamais que nos valets, nos maîtresses, nos favoris, nos prêtres; c'est l'honneur de la couronne; quoi qu'il puisse arriver, périssent les nations plutôt que le droit divin.

Là-dessus, mon Cousin, j'entre comme vous

voyez, dans tous vos sentiments, et prie Dieu qu'il vous y maintienne, mais je ne puis approuver de même votre répugnance pour ce genre de gouvernement qu'on a nommé représentatif, et que j'appelle moi récréatif, n'y ayant rien que je sache au monde, si divertissant pour un roi, sans parler de l'utilité non petite qui nous en revient. J'aime l'absolu, mais ceci..... pour le produit, ceci vaut mieux. Je n'en fais nulle comparaison et le préfère de beaucoup. Le représentatif me convient à merveille, pourvu toutefois que ce soit moi qui nomme les députés du peuple, comme nous l'avons établi en ce pays fort heureusement. Le représentatif de la sorte est une cocagne, mon Cousin. L'argent nous arrive à foison. Demandez à mon neveu d'Angoulême, nous comptons ici par milliards, ou, pour dire la vérité, par ma foi, nous ne comptons plus, depuis que nous avons des députés à nous, une majorité, comme on l'appelle, compacte, dépense à faire, mais petite. Il ne m'en coûte pas..... Non, cent voix ne me coûtent pas, je suis sûr, chaque année, un mois de madamé du Cayla; moyennant quoi, tout va de soi-même; argent sans compte ni mesure, et le droit divin n'y perd rien; nous n'en faisons pas moins tout ce que nous voulons, c'est-à-dire ce que veulent nos courtisans.

Vos Cortès vous ont dégoûté des assemblées délibérantes; mais une épreuve ne conclut pas, feu mon frère s'en trouva mal, et cela ne m'a pas empêché d'y recourir encore, dont bien me prend. Voulez-vous être un pauvre diable comme lui, qui faute de cinquante malheureux millions..... Quelle misère! cinquant millions, mon Cousin, ne m'embarrassent non

plus qu'une prise de tabac. Je pensais comme vous vraiment, avant mon voyage d'Angleterre; je n'aimais point du tout ce représentatif; mais là j'ai vu ce que c'est; si le Turc s'en doutait il ne voudrait pas autre chose, et ferait de son Divan deux Chambres. Essayez-en, mon cher Cousin, et vous m'en direz des nouvelles. Vous verrez bientôt que vos Indes, vos galions, votre Pérou étaient de pauvres tirelires, au prix de cette invention-la, au prix d'un budget discuté, voté par de bons députés. Il ne faut pas que tous ces mots de liberté, publicité, représentation, vous effarouchent. Ce sont des représentations à notre bénéfice, et dont le produit est immense, le danger nul, quoiqu'on en dise. Tenez, une comparaison va vous rendre cela sensible. La pompe foulante..... Mieux encore, la marmite à vapeur, qui donne chaque minute un potage gras, lorsqu'on la sait gouverner, mais éclate et vous tue si vous n'y prenez garde; voilà l'affaire, voilà mon représentatif. Il n'est que de chauffer à point, ni trop, ni trop peu, chose aisée; cela regarde nos ministres, et le potage est un milliard. Puis, vantez-moi votre absolu qui produisait à feu mon frère, quoi? trois ou quatre cents millions par an, avec combien de peine! Ici chaque budget un millard, sans la moindre difficulté. Que vous en semble, mon cousin? Allons, mettez de côté vos petites répugnances, et faites potage avec nous en famille; il n'est rien de tel. Nous nous aiderons mutuellement à l'entretenir comme il faut, et prévenir les accidents.

Si vous l'eussiez que cette marinite représentative, au temps de l'île de Léon, l'argent ne vous eût point

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