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passé, Jean Choinart, fermier de la commune de Toucigny, approchant l'août, va voir ses blés, trouve sa récolte trop belle (il avait spéculé sur la hausse des grains), rentre chez lui et se défait. Beaucoup de gens embarrassés dans leurs affaires prennent ce parti, le seul qui ne soit pas sujet au repentir. On aime mieux maintenant être mort que ruiné. Nos aïeux ne se tuaient point. Naissant pour la misère, ils la savaient souffrir. Ils n'ambitionnaient point un champ, une maison, s'en passaient comme du pain, n'espérant rien en ce monde et ayant peur de l'autre. Nous voilà saufs de Saint Anicet, temps critique pour nos bourgeois. Si la vigne peut passer fleur et ne point couler, on ne saura où mettre tout le vin cette année. Jamais tant de lamme ne s'est vue au cep, ni si bien préparée. Les champs aussi promettent du blé à pleine faucille. Laboureur et vigneron sont contents jusqu'ici; chose rare, tous deux se louent du ciel et du temps. Mais combien de hasards encore avant que l'un ou l'autre puisse faire argent de son labeur, payer sa quote et vivre! Sécheresse, pluie, orages, ordonnances royales, arrêtés du préfet, du maire, mille chances, mille fléaux et rien d'assuré que l'impôt. Il y a des gens dont la récolte ne craint ni temps ni grêle, et ce ne sont pas ceux qui versant, labourant; font le meilleur guérêt, mais qui ayant une place, ne font rien ou font la cour. Sans autre avance ni embarras, ils moissonnent en toute saison. Quand le bonhomme a dit: Travaillez, prenez de la peine, il sommeillait un peu, ce semble. Pour bien parler, il fallait dire : Présentez des respects, faites des révérences, c'est le fonds qui manque le moins.

Personne maintenant ne veut être soldat. Ce métier, sous les nobles, sans espoir d'avancement, est. une galère, un supplice à qui ne s'en peut exempter.. On aime encore mieux être prêtre. De jeunes paysans n'ayant rien, se mettent volontiers au séminaire ; mais avant de prendre les ordres, ceux qui trouvent quelque ressource, jettent la soutane et s'en vont, comme fit naguères Berthelot, Sylvain, le second fils de Berthelot du Ponceau. Agé de vingt-deux ans, il avait étudié pour se faire d'église. Une veuve l'épouse, le sauve et du service militaire, car elle paie un homme pour lui, et du service divin qui n'est guères meilleur. Ils vont vivre heureux dans leur ferme entre Pernay et Ambillou.

-La bande noire achette encore le château des Ormes, le château de Chanteloup et le château de Leugny, voulant dépecer tous ces châteaux, au très-grand profit du pays, et tous les biens qui en dépendent. On vendra là des matériaux à bon marché, des terres fort cher. Plus de cinq cents maisons vont se refaire du débris de ces vieux donjons depuis long-temps inhabités ou inhabitables. Plus de six mille arpents vont être cultivés par des propriétaires au lieu de nonchalants fermiers. La bande noire fait beaucoup de bien. C'est une société infiniment utile, charitable, pieuse, qui divise la terre et veut que chacun en ait selon l'ordre de Dieu. Mais une autre bande vraimentnoire, ennemie du partage, prétend que toute la terre lui appartient, propriétaire universel de droit divin, acquiert tous les jours, ne vend point; bande la pire qui soit et la plus malfaisante, si on ne la connaissait.

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Quand Bonaparte reviendra, ou son fils que voilà tantôt grand, il ôtera les droits réunis et ne lèvera d'argent que ce qu'il en faudra pour les dépenses publiques. Il mariera les prêtres, car enfin ces genslà ne se peuvent passer de femmes et ne s'en passent pas; cela fait du désordre. Il avancera les soldats, nos enfants seront officiers. Nous élirons nos maires, nos juges de paix; ce sera le bon temps qu'on attend depuis long-temps.

Le maire de Véretz a battu le curé qui laisse danser, et en le battant lui a dit qu'il était mauvais prêtre, que sa messe ne valait rien, que chaque fois qu'il la disait il commettait un sacrilége et recrucífiait Jésus-Christ. Le curé est un vieillard de quatrevingt deux ans, instruit et sage, le maire un jeune homme de trente ans, beaucoup plus occupé des filles que du sacrifice de la messe. Le soufflet qu'il a donné dans cette occasion parut tel aux témoins, qu'aucun prêtre, disent-ils, n'en a reçu de pareil depuis Boniface VIII. Le maire de Véretz n'a pas mis un gant de fer, comme dit l'ambassadeur pour souffleter ce pape au nom du roi son maître, mais du coup a jeté par terre le bonhomme qui ne s'est pas relevé, garde encore le lit. Les apparences sont que Véretz ne dansera plus,

- On a volé au Polonais deux mille francs qu'il amassait depuis qu'il est ici. Chacun le plaint. C'est un homme doux, simple, bon, serviable comme tous ces déserteurs as armées étrangères. Il y en a plusieurs établis dans nos nvirons, mariés, vivant bien, le

sans aucun regret du pays où seigneur leur donnait la schlague et leur vendait le brand. vin au prix qu'il

voulait. Mauvais laboureurs la plupart; pour gou→ verner les chevaux ils n'ont point de pareils.

-La veuve Raillard qui vend du vin aux bateliers, a une cave secrète que nous connaissons tous, mais que les commis ignorent. Elle en venait hier, sa clef dans une main, dans l'autre une bouteille, quand les commis l'arrêtent au détour des Ruaux, saisissent la bouteille. Elle d'un coup de clef la brise entre leurs mains. Tout le monde en a ri. La contrebande n'est point une chose qu'on blâme. Peu de gens aujourd'hui mettent dans un contrat le vrai prix de la vente. Le gouvernement trompe, et qui le peut tromper est approuvé de tous. Il enseigne luimême la fourbe, le parjure, la fraude et l'imposture. D'un empire si saint la moitié n'est fondée.

Des gens ont conseillé au curé de Véretz, battu par le jeune maire, d'en demander justice, ayant preuves et témoins. Il l'a fait, il s'est plaint, les juges... Ce curé est un de ceux de la révolution : il prêta le serment et même fut grand vicaire constitutionnel, homme qui s'est assis dans la chaire empestée ; il a contre lui toute sa robe. Tout ce qui pense bien le tient duement battu, et applaudit au maire. Le procureur du roi, sans doute, ignorant cela, d'abord prit fait et cause pour l'église outragée, dans l'ardeur de son zèle voulait couper le poing qui avait frappé l'oint; mais averti depuis, il a changé de langage, trop tard; on ne lui pardonne pas d'avoir agi et fait agir la justice dans cette affaire, sans prendre le mot des jésuites. Messieurs les gens du roi, entre la chancellerie et la grande aumônerie, n'ont pas besogne faite, et sont en peine souvent. Le préfet mieux avisé,

instruit d'ailleurs, guidé par le coadjuteur, les moines, les dévotes et les séminaristes, en appuyant son maire, et criant anathême au prêtre de Baal, a montré qu'il entend la politique du jour. Les juges,...... comment faire contre un parti régnant? Ils en eurent grand honte, et sortant de l'audience, ne regardaient personne après cette sentence. Ils ont, bien malgré eux, pauvres gens, en dépit de la clameur publique, des preuves, des témoins, condamné le plaignant aux frais et aux dépens. Le parti voulait plus; il voulait une amende que messieurs de la justice ont bravement refusée. Le battu ne paie pas l'amende; c'est quelque chose; c'est beaucoup au temps où nous vivons. Il n'en faut pas exiger plus, et ce courage aux juges pourra ne pas durer.

Le maire, ainsi vainqueur du prêtre octogénaire, après avoir battu, dans une seule personne, la danse et la révolution, se flatte avec raison des bonnes grâ– ces du parti puissant et gouvernant. C'est une action d'éclat dont on lui saura gré, d'autant plus qu'ayant pour tout bien une terre qui appartient à M. le marquis de Chabrillant, bien d'émigré s'il faut le dire, il semblerait intéressé à se conduire tout autrement, et ne devrait pas être ami de la contre-révolution. Mais son calcul est fin, il raisonne à merveille. Se rangeant avec ceux qui le nomment voleur, fait rage contre ceux qui le veulent maintenir dans sa propriété, conduite très-adroite. Si ces derniers triomphent, la révolution demeure et tout ce qu'elle a fait ; il tient le marquisat, se moque du marquis. Les autres l'emportant, il pense mériter non seulement sa grâce et de n'être pas pendu, mais récompense, emploi et

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