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cère et de bonne foi. La dévotion s'allie à tout. Lorsqu'on fait en Italie assassiner son ennemi, cela coûte vingt ou six ducats, selon qu'on veut le damner ou qu'on ne le veut pas. Pour ne le point damner, on lui dit avant de le tuer : Recommande ton âme à Dieu; pardonne-moi, et fais un acte de contrition. Il dit son in manus, pardonne, et on l'égorge; il va en paradis. Mais voulant le damner, on s'y prend autrement. Il faut tâcher de le trouver en péché mortel; et, pour le plus sûr, on lui dit, le poignard levé : Renie Dieu, ou je te tue. Il renie, on le tue, et il va en enfer. Ces choses se font tous les jours, là où personne ne voudrait, pour rien au monde, avoir goûté d'un potage gras le vendredi. Voilà la dévotion vraie, naïve, non feinte, non suspecte d'hypocrisie. La morale, dit-on, est fondée là-dessus.

Ces gens sont dévots sans nul doute, et Maingrat l'est aussi; amoureux de plus, c'est-à-dire, sujet à l'amour, qui, chez les hommes de sa robe, se tourne souvent en fureur. Un grand médecin l'a remarqué : cette maladie, sorte de rage qu'il appelle érotomanie, semble particulière aux prêtres. Les exemples qu'on en a vus, assez nombreux, sont tous de prêtres catholiques, tels que celui qui massacra, comme raconte Henri Étienne, tous les habitants d'une maison, hors la personne qu'il aimait; et l'autre dont parle Buffon. Celui-là, parce qu'on sut à temps le lier et le traiter, guérit; sans quoi il eût commis de semblables violences. Il a lui-même écrit au long, dans une lettre qui depuis est devenue publique, T'histoire de sa frénésie, dont il explique les causes

aisées à concevoir. Dévot et amoureux, jeune, confessant les filles, il voulut être chaste.

Quelle vié en effet, quelle condition que celle de nos prêtres! on leur défend l'amour, et le mariage surtout; on leur livre les femmes. Ils n'en peuvent avoir une, et vivent avec toutes familièrement, c'est peu, mais dans la confidence, l'intimité, le secret de leurs actions cachées, de toutes leurs pensées. L'innocente fillette, sous l'aile de sa mère, cntend le prêtre d'abord, qui bientôt l'appelant, l'entretient seul à seule; qui, le premier, avant qu'elle puisse faillir, lui nomme le péché. Instruite, il la marie, marice, la confesse encore et la gouverne. Dans ses affections, il précède l'époux, et s'y maintient toujours. Ce qu'elle n'oserait confier à sa mère, avouer à son mari, lui prêtre le doit savoir, le demande, le sait, et ne sera point son amant. En effet le moyen? n'est-il pas tonsuré ? il s'entend déclarer à l'oreillé, tout bas, par une jeune femme, ses fautes, ses passions, ses désirs, ses faiblesses, recueille ses soupirs sans se sentir ému ; et il a vingt-cinq ans.

Confesser une femme! imaginez ce que c'est. Tout au fond de l'église une espèce d'armoire, de guérite, est dressée contre le mur exprès, où ce prêtre, non Maingrat, mais quelque homme de bien, je le veux, sage, pieux, comme j'en ai connu, homme pourtant et jeune, ils le sont presque tous, attend le soir aprèsvêpres sa jeune pénitente qu'il aime; elle le sait, l'amour ne se cache point à la personne aimée. Vous în'arrêtercz-là : son caractère de prêtre, son éducation, son vou..... Je vous réponds qu'il n'y a vœu qui tienne; que tout curé de village, sortant du sé–

minaire, sain, robuste et dispos, aime sans aucun doute une de ses paroissiennes. Cela ne peut être autrement; et si vous contestez, je vous dirai bien plus, c'est qu'il les aime toutes, celles du moins de son àge; mais il en préfère une qui lui semble, sinon plus belle que les autres, plus modeste et plus sage, et qu'il épouserait; il en ferait une femme vertueuse, pieuse, n'était le pape. Il la voit chaque jour, la rencontre à l'église ou ailleurs, et devant elle assis aux veillées de l'hiver, il s'abreuve, imprudent, du poison de ses

yeux.

Or, je vous prie, celle-là, lorsqu'il l'entend ven ir le lendemain, approcher du confessionnal, qu'il reconnaît ses pas et qu'il peut dire ; c'est elle; que se passet-il dans l'âme du pauvre confesseur ? honnêteté, deyoir, sages résolutions, ici servent de peu, sans une grâce du ciel toute particulière. Je le suppose un saint; ne pouvant fuir, il gémit apparemment, soupire, se recommande à Dieu; mais si ce n'est qu'un homme, il frémit, il désire, et déjà malgré lui, sans le savoir peut-être, il espère. Elle arrive, se met à ses genoux, à genoux devant lui dont le coeur saute et palpite. Vous êtes jeune, Monsieur, ou vous l'avez été; que vous semble entre nous d'une telle situation? Seuls, la plupart du temps, et n'ayant pour témoins que ces murs, que ces voûtes, ils causent; de quoi? hélas! de tout ce qui n'est pas innocent. Ils parlent, ou plutôt murmurent à voix basse, et leurs bouches s'approchent, leur souffle se confond. Cela dure une heure ou plus, et se renouvelle souvent.

Ne pensez pas que j'invente. Cette scène a lieu telle que je vous la dépeins, et dans toute la France;

chaque jour se renouvelle par quarante mille jeunes prêtres, avec autant de jeunes filles qu'ils aiment, parce qu'ils sont hommes, confessent de la sorte, enentretiennent tête à tête, visitent, par ce qu'ils sont prêtres, et n'épousent point, parce que le pape s'y oppose. Le pape leur pardonne tout, excepté le mariage, voulant plutôt un prêtre adultère, impudique, débauché, assassin, comme Maingrat, que marié. Maingrat tue ses maîtresses, on le défend en chaire : ici, on prêche pour lui; là, on le canonise. S'il en épousait une, quel monstre! il ne trouverait d'asile nulle part. Justice en serait faite bonne et prompte, comme du maire qui les aurait mariés. Mais quel maire oserait?

Réfléchissez maintenant, Monsieur, et voyez s'il était possible de réunir jamais en une mêine personne deux choses plus contraires que l'emploi de confesseur et le vœu de chasteté; quel doit être le sort de ces pauvres jeunes gens, entre la défense de posséder ce que nature les force d'aimer, et l'obligation de converser intimement, confidemment avec les objets de leur amour, si enfin ce n'est pas assez de cette monstrueuse combinaison pour rendre les uns forcenés, les autres, je ne dis pas coupables, car les vrais coupables sont ceux qui, étant magistrats, souffrent que de jeunes hommes confessent de jeunes filles, mais criminels, et tous extrêmement malheureux. Je sais là-dessus leur secret.

J'ai connu à Livourne le chanoine Fortini, qui peut-être vit encore, un des savants hommes d'Italie, et des plus honnêtes du monde. Lié avec lui d'abord par nos études communes, puis par une mu

tuelle affection, je le voyais souvent, et ne sais comment un jour je vins à lui demander s'il avait observé son vœu de chasteté. Il me l'assura, et je pense qu'il disait vrai en cela comme en toute autre chose. Mais, ajouta-t-il, pour passer par les mêmes épreuves, je ne voudrais pas revenir à l'âge de vingt ans. Il en avait soixante et dix. J'ai souffert, Dieu le sait et m'en tiendra compte, j'espère; mais je ne recommencerais pas. Voilà ce qu'il me dit, et je notai ce discours si bien dans ma mémoire, que je me rappelle ses propres mots.

A Rocca di Papa je logeais chez le vicaire où je tombai malade. Il eut grand soin de moi, et prit cette occasion de me parler de Dieu, auquel je pcnsais plus que lui et plus souvent, mais autrement. Il voulait me convertir, me sauver, disait-il. Je l'écoutais volontiers; car il parlait toscan, et s'exprimait des mieux dans ce divin langage. A la fin je guéris; nous devînmes amis; et, comme il me prêchait toujours, je lui dis: Cher abbé, demain je me confesse, si tu veux te marier et vivre heureux. Tu ne peux l'être qu'avec une femme, et je sais celle qu'il te faut. Tu la vois chaque jour, tu l'aimes, tu péris. Il me mit la main sur la bouche, et je vis que ses yeux se remplissaient de pleurs. J'ai ouï conter de lui depuis des choses fort étranges, et qui me rappelèrent ce qu'on lit d'Origènes.

Voilà où les reduit le malheur de leur état. Mais pourquoi, me direz-vous, quand on est susceptible de telles impressions, se faire prêtre ? Eh! Monsieur, se font-ils ce qu'ils sont? Dès l'enfance élevés pour la milice papale, séduits, on les enrôle; ils pronon

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