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voulait rétablir, d'accord avec ses supérieurs, la pureté de l'ancien régime. Pour y mieux réussir, il forma chez sa tante, venue avec lui à Saint-Opre, une école de petites filles auxquelles elle montrait à lire, les instruisant et préparant pour la communion. Il assistait aux leçons, dirigeait l'enseignement. Deux déjà parmi elles approchaient de quinze ans, et lui parurent mériter une attention particulière. Il les fit venir chez lui; distinction enviée de toutes leurs compagnes, flatteuse pour leurs parents. Ces jeunes filles donc vont chez le jeune curé. Partout cela se fait depuis quelques années, aux champs comme à la ville; les magistrats l'approuvent, et les honnêtes gens en augurent le prompt rétablissement des mœurs. Elles y allaient souvent, ensemble ou séparées; c'etait pour écouter des lectures chrétiennes, répéter le catéchisme, apprendre des versets, des psaumes, des ́oraisons; et tant y allèrent, qu'à la fin une d'elles se sent mal à l'aise, souffrante : elle avait des maux de

cœur.

Lisez l'histoire, et comparez, monsieur l'anonyme, le passé avec le présent. Pour moi je ne fais autre chose; c'est la meilleure étude qu'il y ait. Je trouve que, du temps de nos pères, Guillaume Rose, étant curé d'une paroisse de Paris, catéchisait de jeunes filles, qui s'assemblaient pour recevoir les picuses leçons chez une dame. Là venait entre autres assidument la fille unique, âgée de treize à quatorze ans, du président de Neuilly, qui bientôt fut grosse des œuvres de l'abbé Guillaume. Au temps des bonnes moeurs, pareille chose arrivait sans qu'on y prit trop garde, quand les filles n'avaient point de père

président. Celui-ci porta plainte; on décréta Guillaume; le clergé intervint. La justice n'a jamais beau jeu contre le clergé, qui d'abord ne veut pas qu'on le juge, et en ce temps-là menait le peuple. Messire Guillaume se moqua du parlement, du président, et de la fille, et de l'enfant, puis fut évêque de Senlis, dévoué au pape son créateur, comme on dit à Rome.

De ce genre est un autre fait moins ancien, mais horrible et par là plus semblable à celui de Maingrat. Il n'y a pas quarante ans que, dans un couvent près de Nogent-le-Rotrou, on élevait de jeunes demoiselle sous la direction d'un saint homme prêtre-abbé qui les confessait, les instruisait, catéchisait, et continua longues années, sans qu'on eût de lui nul soupçon. Mais à la fin, on découvrit qu'il en avait séduit plusieurs, et que, quand une devenait grosse, il l'empoisonnait, la gardait, écartant d'elle tout le monde, sous prétexte de confession ou d'exhortation à la mort, ne la quittait point qu'elle ne fût morte, ensevelie, enterrée. De tels faits rarement parviennent à la connaissance du public. Le saint personnage fut enlevé secrètement et enfermé, suivant la coutume d'alors. Retournons à l'abbé Maingrat.

Cette enfant se trouve grosse; ne sachant comment faire, ayant peur de sa mère, va se confesser au curé d'un village non loin de celui-là, à un homme tout différent de Maingrat. Il laissait danser, ne songeait point aux manches de chemise. La pauvrette lui dit son malheur, et refusant de déclarer qui en était cause, ne voulait accuser qu'elle seule. Mais, lui dit le curé, ma fille, est-il marié cet homme? - Non. Il faut l'épouser. - Impossible! elle se trompait; car

qui peut empêcher un homme de se marier, s'il ne l'est, de faire une épouse de celle qu'il a rendu mère? quelle loi le défend? quelle morale? elle devait dire pauvre enfant! Dieu, les hommes, le bon sens, la nature, l'Evangile et la religion le veulent; mais le pape ne veut pas; et pour cela je meurs, pour cela je suis perdue. Ainsi à peine répondait elle, avec plus de sanglots que de mots, aux questions de ce bon curé qui, enfin pourtant, parvenu à lui faire nommer l'abbé Maingrat, dès le soir même alla chez lui et lui parla. L'autre se fàche au premier mot, s'emporte et crie contre le siècle, accusant Voltaire et Rousseau et la philosophie, et la corruption de la de la révolution. Le bon homme eut beau dire et faire, il n'en put tirer autre chose. Au bout de quelques jours, la fille disparut, sans que jamais parents ni amis en pussent avoir de nouvelles. On en demanda de tous côtés et long-temps, inutilemet; on finit par n'y plus penser. Voilà la première partie de l'histoire du curé Maingrat.

La seconde est connue par les papiers publics, où vous aurez pu voir comment, à cause des bruits qui couraient, on le transféra de Saint-Opre à la cure de Saint-Quentin. C'est la discipline. Quand un prêtre a donné quelque part du scandale, on l'envoie ailleurs. Dans les cas graves seulement, il est suspendu a sacris, privé pour un temps de dire messe, et si la justice s'en mêle, le clergé proteste aussitôt? car on ne peut juger les oints. Le curé de Pezai en Poitou, l'abbé Gelée, ex-capucin, ayant commis là une grosse et visible faute contre son vœu de chasteté, la justice se tut malgré toutes les plaintes, on le transféra où

il est et ne semble pas corrigé, comme ne le fut point l'abbé Maingrat, qui dans sa nouvelle paroisse, redoublant de sévérité, fit la guerre plus que jamais à la danse et aux manches de chemise. Certaine dévote, bientôt, femme d'un tourneur, jeune et belle, le prit pour confesseur, et le voyait chez elle souvent, sans qu'on en causât néanmoins; car elle passait pour trèssage. Un soir qu'elle était venue sur le tard à confesse, il la retint long-temps, puis l'envoie voir sa tante, qui demeurait chez lui, mais qu'il savait absente, në devoir point revenir ce jour-là, et partant par un autre chemin, arrive avant cette femme, entre, quand elle vint la fit entrer. Ce qui se passa là-dedans, on l'ignore. Il l'emporta morte dans une grotte près du village, où avec un couteau de poche, l'ayant dépecée par morceaux, un à un, il les alla jeter dans la rivière; c'est l'Isère. Ces lambeaux quelque temps après furent trouvés flottants sur l'eau, et réunis et reconnus, comme le couteau plein de sang oublié par lui dans la grotte. Alors on se souvint de la fille de SaintOpre.

Vous savez aussi comme il s'est soustrait aux poursuites, qui n'eussent pas eu lieu sans le maire. Par le maire seul tous les faits furent constatés, publiés malgré les dévots et le clergé qui ne voulaient pas qu'on en parlât. Telle est leur maxime de tout temps. S'il arrive, dit Fénélon, que le prêtre fassé une faute, on doit modestement baisser les yeux et se taire. Mais le bruit d'un acte si atroce s'étant promptement répandu, on essaya d'en jeter le soupçon sur quelque autre. Même un grand vicaire à Grenoble, l'abb Bochard, prêcha un sermon tout exprès sur les juge

ments téméraires, disant : « Mes frères, prenez garde; tel peut vous paraître coupable, qui, par son devoir, est tenu, lui en dût-il coûter et l'honneur et la vie, de celer le crimè d'autrui; et la malice d'autre part est si grande en ce siècle-ci, que, pour se laver, on ne feint point de calomnier et noircir les plus gens de bien. » C'était le mari de cette femme qu'on indiquait par là comme son vrai meurtrier, et le curé comme un martyr du secret de la confession. Cette pieuse invention, soutenue de toute la cabale dévote, aurait peut-être réussi et donné le change au public, sans le maire de Saint-Quentin, qui n'étant dévot ni dévoué, mais honnête homme seulement, par une information qu'il fit, força la justice d'agir. Le curé ne fut pas arrêté, parce que le Seigneur a dit: Gardez de toucher à mes oints. Condamné comme contumace, il s'est retiré en Savoie où maintenant il passe pour un saint et fait des miracles. On vient à lui de la vallée, de la montagne, en pélerinage; on accourt, les femmes surtout, le voir, lui demander sa bénédiction. Cette main les bénit: il leur tend cette main qu'elles baisent, femmes et filles, sans pensér, sans frémir, sachant ce qu'il a fait; car d'un lieu si voisin personne ne l'ignore. Mais on lui pardonne beaucoup, parce qu'il a beaucoup aimé; ou peut-être il se repent, et dès-lors il vaut mieux que quatre-vingt-dixneuf justes. Qu'il en confesse encore quelqu'une jeune, jolie, et qu'elle lui résiste, il en fera comme des autres, sans perdre pour cela le paradis. SaintBon avait tué père et mère. Saint-Maingrat ne tue que ses maîtresses, et ensuite fait pénitence.

Vous l'appelez hypocrite; moi je le crois dévot sin

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