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n'userai des formules dont se couvre l'estime que chacun fait de soi, heureuse invention de nos académies! je dirai de mes écrits qui sont assurément les plus beaux de ce siècle, faibles productions qu'accueille avec bonté le public indulgent; et de moi, le premier homme du monde, sans contredit, votre très-humble serviteur, vigneron quoiqu'indigne.

Dans celle-ci, venant d'Amiens, sans signature pareillement, vous me dites, Monsieur, que je serai pendu. Pourquoi non? D'autres l'ont été d'aussi bonne maison que moi: le président Brisson, honnête homme et savant, pour avoir conseillé au roi de de se défier des courtisans, fut pendu par les Seize, royalistes quand même, défenseurs de la foi, de l'autel et du trône. Il demanda, comme grâce, de pouvoir achever, avant qu'on le pendit, son Traité des usages et coutumes de Perse qui devait être, disait-il, une tant belle oeuvre. Peu de choses y manquait ; c'eût été bientôt fait : il ne fut non plus écouté que le bonhomme Lavoisier, depuis en cas pareil, et Archimède jadis. Parmi tous ces grands noms je n'ose me placer; mais pourtant j'ai aussi quelque chose à finir, et l'on va me juger, et je vois bien des Seize. Tout beau, soyons modeste.

Dans la vôtre, Monsieur, qui m'écrivez de Paris, vous me dites......, voici vos termes: Je suis de vos amis, Monsieur, et comme tel je vous dois un avis. On va vous remettre en prison; c'est une chose résolue, et je le sais de bonne part, non pas pour votre pétition des villageois qui veulent danser, écrit innocent et benin, qù personne n'a rien vu qui pût offenser le parti régnant. C'est le prétexte tout au

plus, l'occasion qu'on cherchait pour vous persécu cuter, mais non le vrai motif. On vous en veut, parce que vous êtes orléaniste, ami particulier du duc d'Orléans. Vous l'avez loué dans quelques brochures; vous êtes du parti d'Orléans. Voilà ce qui se dit de vous, et que bien des gens croient, non pas moi. Je juge de vous tout autrement. Vous n'êtes point orléaniste, ami ni partisan du duc ; vous n'aimez aucun prince, vous êtes républicain.

Ce sont vos propres mots. Suis-je donc républicain? J'ai lu de bons auteurs et réfléchi long-temps sur le meilleur gouvernement. J'y pense même encore à mes heures de loisir; mais j'avancé peu dans cette recherche, et loin d'avoir acquis par de telles études l'opinion décidée que vous me supposez, je trouve, s'il faut l'avouer, que plus je médite et moins je sais à quoi m'en tenir; d'où vient que dans la conversation, et bien des gens m'en font un reproche, aisément je me range, sans nulle complaisance, à l'avis de ceux qui me parlent, pourvu qu'ils aient un avis, et non de simples intérêts sur ces grandes questions débattues de nos jours avec tant de chaleur. Je conteste fort peu: j'aime la liberté par instinct, par nature. Je serais républicain avec vous en causant, car vous l'êtes, je le vois bien, et vous m'étaleriez toutes les bonnes raisons qui se peuvent donner en faveur de ce gouvernement. Vous n'auriez point de peine à me gagner; mais bientôt, rencontrant quelqu'un qui me dirait et montrerait par vives raisons qu'il peut y avoir liberté dans la monarchie, s'il n'allait même jusqu'à prétendre, car c'est l'opinion de plusieurs, et elle se peut soutenir, qu'il n'y a de li

berté que dans la monarchie, alors je passerais de ce côté, abandonnant la république, tant je suis maniable, docile, doutant de mes propres idées, en tout aisé à convertir, pour peu qu'on me veuille prêcher, non forcer.

Et voilà le tort qu'ont avec moi les gouvernants et leurs agents. Ils ne causent jainais, ne répondent à rien. Je leur dis qu'il ne faut pas nous faire payer Chambord, et le prouve de mon mieux, assez clairement, ce me semble. Étant d'avis contraire, s'ils daignaient s'expliquer, s'ils entraient en propos, on verrait leurs raisons, et le moindre discours, fondé sur quelque apparence de bon sens, m'amènerait aisément à croire que je me trompe ; qu'acheter Chambord est pour nous la meilleure affaire, et que nous avons de l'argent de reste. On m'a persuadé des choscs plus étranges; mais ils ne répondent mot, et me mettent en prison. Quel argument, je vous prie? Est-ce là raisonner. Dès-lors plus de doute. J'ai dit la vérité; j'abonde dans mon sens et n'en veux pas démordre. Ma remarque subsiste. Me voilà convaincu, et le public avec moi, qu'ils ne savent que dire, qu'ils n'ont pas même pour eux de mauvaises raisons; que ne voulant s'amender ni s'avouer dans l'erreur, c'est le vrai qui les fàche; et je triomphe en prison.

Une autre fois je les avertis que de jeunes curés dans nos campagnes, par un zèle indiscret, compromettent la religion, en éloignent le peuple au lieu de l'y ramener. Que font mes gouvernants là-dessus? Vous croyez qu'ils vont examiner si je dis vrai, afin

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d'y apporter remède. J'en use de la sorte et vous aussi, je pense, quand on vous donne quelque avis. Mais des ministres, fi! ce serait s'abaisser. Ce serait ce qu'à la cour on nomme recevoir la loi des sujets ? Sans rien examiner, on me remet en prison, et je triomphe encore comme Wackefield à Newgate; il y mourut; voici l'histoire :

C'était un homme de bien, fameux par son savoir. Les ministres, voulant augmenter le budget, vantaient l'économie et la gloire que ce serait à la nation anglaise de payer plus d'impôts qu'aucune de l'Europe. Les impôts, selon eux, ne pouvaient être trop forts. Que l'on âte à chacun la moitié de son bien, le rapport des fortunes entre elles restant le même, personne n'est appauvri. Si, disaient-ils, une maison s'enfonçait d'un étage ou deux, en gardant son niveau, elle en serait plus solide. Ainsi la réduction de toutes les fortunes au profit du trésor consolide l'État, et cette réduction est une chose en soi absolument indifférente. Oui bien pour vous, dit Wackefield dans un écrit célèbre alors, pour vous qui habitez le haut de la maison; mais nous, dans les étages bas, nous sommes enterrés, monseigneur. Ce mot parut séditieux, offensant le roi, la morale, subversif de l'ordre social, et le bon Wackefield, traduit devant ses juges naturels, qui tous dépendaient des ministres, avec un avocat également naturel qui dépendait des juges, son procès instruit dans la forme, s'entendit condamner à trois ans de prison. Il n'y fut pas ce temps; au bout de quelques mois malade, ses amis, comme il était peu riche, avaient souscrit entre eux,

pour que sa femme et ses enfants pussent loger près de la prison: mais l'autorité s'y opposant, au nom de l'ordre social, il mourut sans secours, sans consolation, moins à plaindre que ceux qui le persécutaient; car il avait pour lui l'approbation publique, l'assurance d'avoir bien dit et bien fait. Mais ils vécurent eux, dévorés de soucis, de rage ambitieuse, ou se coupèrent le cou, las de mentir, de tromper, d'augmenter le budget et de faire curée des entrailles du peuple à de lâches courtisans.

Ainsi périt Wackefield, pour une scule parole. Rien n'est si dangereux que de parler à ceux qui sont forts et veulent de l'argent. C'est la bourse à la main qu'il faut répondre. Eh bien, connaissant ces exemples, que n'en profittiez-vous? de semblables leçons devaient vous rendre sage, même avant celle que vous avez eue en votre personne; voilà ce qu'on me dit: pourquoi écrire enfin ? et qui diantre vous pousse à vous faire imprimer? Ne sauriez-vous vous taire, et comme dit Boileau, imiter de Courard le silence prudent? Ce Courard, bel esprit, par principe de conduite, parlait peu et n'écrivait point; il réussit dans le monde et fut de l'académie. Car alors aussi, on faisait académiciens ceux qui n'écrivaient point, sans toutefois mettre en prison ceux qui écrivaient. Vous, Paul-Louis, vous deviez être non seulement prudent, mais muet; afin, sinon de parvenir à l'académie, de vivre en paix, du moins. Il fallait vous tenir coi, tailler votre vigne, non votre plume; vous faire petit, ne bouger, de peur d'être le moins du monde aperçu, entendu. On vous guettait, vous

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