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tion, voici ce qu'ils résolurent; que celui dont le cheval au lever du soleil hennirait le premier sur l'esplanade où ils iraient chevaucher le matin, celui là serait roi. Or avait Darius, parmi ses domestiques, un palefrenier homme de sens, lequel s'appelait OEbarès. Finie la délibération, comme ils se furent séparés, Darius dit à cet homme : « ОEbarès, pour élire un roi nous voulons faire ainsi. Nous monterons à cheval. Celui dont le cheval hennira le premier au lever du soleil aura la royauté. C'est à toi maintenant si tu sais quelque secret, de le mettre en usage pour faire que ce prix tombe à nous et non pas à quelque autre en partage. » Le palefrenier répond: «S'il ne tient qu'à cela, maître, que tu sois roi, aie bonne espérance et t'en remets à moi. J'ai telle drogue au moyen de laquelle nul autre que toi ne régnera. » Darius repart: « S'il est ainsi que tu possèdes tel secret, c'est le temps ou jamais de l'employer. Car au point du jour se fait l'épreuve qui doit décider entre nous. »

Cela entendu OEbarès s'y prit en cette façon. La nuit venue, il conduisit à l'esplanade une jument, celle qu'aimait davantage le cheval de Darius, l'ayant liée, en fit approcher le cheval de Darius, par plusieurs fois le fit aller et venir au long de cette cavale et même la toucher en passant, puis enfin lui permit de saillir la cavale. Or le jour commençant à poindre, voici venir les six ainsi qu'il était convenu, montés sur leurs chevaux, et eux traversant l'esplanade, comme ils furent vers cet endroit où la nuit passée la cavale avait été liée, là le cheval de Darius

se mit à courir et hemir. En même temps on ouït tonner et se vit un éclair sans nuage, qui fut à Darius une sorte d'inauguration et comme une voix du ciel se déclarant pour lui. Les autres aussitôt sautant à bas de leurs chevaux adorèrent Darius et l'appelèrent roi.

Aucuns ainsi content l'invention que trouva OLbarès; mais d'autres disent, et de fait la chose en deux façons se racontent par les Perses, qu'il tint sa main cachée sous ses bragues, l'ayant frottée d'abord aux parties de la cavale, jusqu'à ce que le matin les chevaux allant partir, il sortit cette main, la porta aux narines du cheval de Darius et la lui fit sentir, lequel aussitôt se prit à souffler et hennir.

Darius donc fils d'Hystaspès fut déclaré roi et tous les peuples de l'Asie hors les Arabes lui obéirent, soumis par Cyrus premièrement et par Cambyse après. Les Arabes oncques n'obéirent aux Perses comme esclaves, mais furent leurs hôtes depuis qu'ils eurent fait passer en Egypte Cambyse; jamais les Perses n'eussent su, malgré les Arabes, avoir entrée en Egypte.

Ses premières femmes, Darius les prit étant roi chez les Perses, deux filles de Cyrus, Atossa et Artystone, l'une Atossa mariée d'abord à Cambyse son frère, l'autre Artystone encore vierge. Il épousa aussi une fille de Smerdis fils de Cyrus, appelée Parmis, aussi eut la fille d'Otanès, celle-là qui reconnut le mage, et tout fut plein de sa puissance. Il fit faire au commencement et dresser un type de pierre, où pour figure il y avait un homme à cheval, et y fit engraver des lettres qui disaient: Darius fils d'Hystaspès, par la

vertu de son cheval (disant le nom) et d'Ebarès son palefrenier, obtint la royauté des Perses.

Cela fait il établit en Perse vingt gouvernements que là ils appellent Satrapies.....

PRÉFACE

DE LA TRADUCTION DE LA LUCIADE,

OU DE L'ANE DE LUCIUS DE PATRAS.

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« Nous avons lu, dit Photius, les Métamorphoses » de Lucius de Patras en plusieurs livres. Sa phrase » est claire et pure; il y a de la douceur dans son style; il ne cherche point à briller par un bizarre emploi des mots, mais dans ses récits il se plaît tròp >> au merveilleux; tellement qu'on le pourrait appe» ler un second Lucien : et même ses deux premiers >> livres sont quasi copiés de celui de Lucien, qui a » pour titre la Luciade ou l'Ane; ou peut-être Lu>> cien a copié Lucius; car nous n'avons pu découvrir

qui des deux est le plus ancien. Il semble bien a dire >> vrai, que de l'ouvrage de Lucius, l'autre a tiré le » sien comme d'un bloc, duquel abattant et retran» chant tout ce qui ne convenait pas à son but, mais dans le reste, conservant et les mêmes tournures et » les mêmes expressions, il a réduit le tout à un livre » intitulé par lui la Luciade ou l'Ane. L'un et l'autre » ouvrage est rempli de fictions et de saletés, mais » avec cette différence que Lucien plaisante et se rit » des superstitions païennes, comme il a toujours fait, au lieu que Lucius parle sérieusement et en >> homme persuadé de tout ce qui se raconte de pres

tiges, d'enchantements, de métamorphoses d'hom» mes en bêtes, et autres pareilles sottises des fables » anciennes. »>

Voilà ce que dit Photius, ou du moins ce qu'il a voulu dire; car ses expressions dans le grec sont assez embarassées. Son jugement d'ailleurs, et le grand sens que quelques-uns lui ont attribué, brillent peu dans cette notice. Qu'est-ce, en effet, que ce parallèle de Lucien et de Lucius, et cet amour du merveil leux qu'il leur reproche, comme s'il parlait de Ctésias ou d'Onésicrite? Lucien s'est moqué des histoires pleines de merveilles et des fables extravagantes dont la lecture, à ce qu'il paraît, était de son temps fort goutée. C'est dans ce dessein qu'il a écrit son Histoire véritable, parodie trés-ingénieuse, et depuis souvent imitée, des contes à dormir de bout, d'Iamblique et de Diogène. L'auteur de cette plaisanterie aime les récits merveilleux, comme Molière le langage précieux. Sans mentir, il fallait que Photius ne connût guères les deux écrivains qu'il compare si mal à

propos.

Ce qu'il ajoute et cette différence qu'il prétend établir entre Lucien et Lucius, dont l'un, dit-il, parle tout de bon, l'autre se moque en écrivant les mêmes choses dans les mêmes termes, c'est bien là encore une rêverie toute manifeste, moins étrange cependant que celle de saint Augustin sur le même sujet. On ne sait, dit ce Père, s'il est vrai que Lucius ait été quelque temps transformé en âne. Je ne vois pas pourquoi il en doute, ayant accoutumé de dire: Credo quia absurdum. Mais à moins d'une pareille raison, qui jamais se persuadera que Lucius ait

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