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voyant ce qui se passait, se voulurent mettre en défense. L'un d'abord prend son arc, l'autre saisit une pique; ils en vinrent aux mains: celui qui avait l'arc, "'ennemi étant près, quasi sur lui, ne s'en put aider; l'autre combattait de sa pique et blesse d'un coup à la cuisse Aspathine, d'un second Intapherne à l'œil : même Intapherne en perdit l'œil, mais ne mourut pas de cette blessure. L'un des mages donc blesse ces deux; l'autre, comme son arc ne lui servit dè rien (il y avait une chambre à coucher qui donnait dans la salle des hommes); là se sauve et fermait la porte; mais deux des sept l'enfoncent et entrent avec lui, Darius et Gobryas, lequel Gobryas étant aux prises avec le mage Darius dans l'obscurité ne savait comment faire de peur de frapper Gobryas. Celui-ci le voyant n'agir point, lui demande qui l'empêchait; crainte de te frapper, dit-il; à quoi lui aussitôt repart: Dague, dusses-tu tuer les dieux. Adonc Darius pousse sa dague, et d'aventure n'atteignit que le mage scul.

Ayant de la sorte tué les mages, puis coupé leurs têtes, ils laissent là leurs propres blessés, autant comme hors d'état de marcher qu'afin de garder la citadelle; et les cinq autres courent dehors, les têtes des mages à la main, faisant des cris, menant grand bruit. Ils appelaient tous les Perses et leur contaient l'affaire, montrant ces têtes et en même temps tuaient tous les mages qu'ils rencontraient. Les Perses entendant et la tromperie des mages et ce qu'avaient fait les sept, en voulurent de leur part autant faire, et à coups de dague tuaient des mages tout ce qu'ils en purent trouver; et si la nuit n'y eût mis fin, pas ́un seul n'en fût échappé. Les Perses célèbrent ce jour

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publiquement plus qu'aucun jour, et en ont fait une grande fête qu'ils appellent mogophonie, durant laquelle il n'est permis à nul mage de se montrer dehors, mais tous les mages ce jour là se tiennent clos dans leurs maisons.

Le tumulte appaisé, au bout de dix jours ceux qui s'étaient soulevés contre le mage, délibérèrent entre eux; et là furent dits des discours que bien des Grecs ne pourront croire, et furent dits néanmoins. Otanès était d'opinion de mettre en commun les affaires, disant ainsi : << M'est avis que nous ne devons plus avoir un monarque tout seul, chose qui n'est de soi plaisante ni utile. Vous savez jusqu'où se porta l'insolence de Cambyse, et avez expérimenté par vousmême celle du mage. Comment serait la monarchie une bonne et sage police, sous laquelle un fait ce qu'il veut et ne rend compte ni raison? Le plus homme de bien du monde, qu'on le place en telle autorité, c'est le mettre hors du sens commun. Car insolence en lui s'engendre des biens dont il jouit, et d'autre part envie est dans l'homme par nature, lesquelles deux choses ayant, il a toute malice et vice. Car beaucoup d'actes détestables il les commet par insolence et beaucoup d'autres par envie, et ainsi ne laisse mal à faire. Le tyran qui possède tout, doit ce semble, ignorer l'envie, et pourtant le contraire avient. Car à l'égard des citoyens, il est jaloux des bons et les hait tant qu'ils vivent, caresse les méchants, accueille la calomnie, et chose de toutes la plus bizarre, qui le loue modérément, il s'en fàche et l'impute à manque de respect; qui lui veut complaire, il s'en fâche comme de flatterie intéressée. Encore est-ce peu s'il

ne remue les antiques lois, force les femmes, tue sans jugement. Peuple au contraire gouvernant a le plus beau de tous les noms, Isonomie, et ne s'y fait rien de ce qu'on voit dans la monarchie. Les magistratures sont au sort; chacun rend compte de sa charge et en répond. Les déterminations se prennent en commun. J'opine donc à ce que laissant la monarchie, nous fassions le peuple grand; car dans le peuple est

tout. »

Telle fut l'opinion d'Otanès; mais Mégabyse qui préférait l'olygarchie ainsi parla : « Ce qu'allègue Otanès afin d'abolir la tyrannie, de ma part vous soit dit également; mais en ce qu'il conseille de porter la puissance au peuple, il a failli à rencontrer le meilleur avis. Car il n'est rien plus insolent ni moins capable de raison qu'une multitude sans frein, et de peur d'un tyran nous soumettre au vil peuple, je ne vois en cela nul bon sens; l'un s'il fait quelque mal, il le connaît du moins. L'autre ne le peut même connaître. Et que connaîtrait-il, qui ne sait ni n'apprit rien de beau ni d'honnête? il emporte de furic et précipite tout semblable à un torrent. Obéisse au peuple quiconque est ennemi du nom persan; mais nous, parmi les meilleurs hommes, choisissons, faisons une classe et lui donnons le pouvoir, dont par ainsi nous serons nous-mêmes participants. Aussi que des seuls gens de bien peut venir le bien commun de

tous. »

Telle fut l'opinion de Mégabyze, sur quoi Darius le troisième déclara son avis, et dit : « Pour moi, ton propos, Mégabyze, en tant qu'il touche la multitude, me semble juste et de bon sens, mais non quant à l'o

ligarcbie, Car trois choses étant les meilleures qu'on sache en fait de gouvernement, le peuple supposé. bon, l'oligarchie, le monarque, je maintiens celui-ci de tout point préférable; car un chef homme de bien est ce qu'il y a de meilleur. Car usant de conseils selon son caractère, il gouverne le peuple irréprochablement. Outre que d'un seul les desseins contre l'ennemi sont plus secrets; mais là ou la vertu s'exerce entre plusieurs, comme dans l'oligarchie, sourdent les haines privées qui sont cause de grands maux. Car chacun prétendant l'emporter et conduire les délibérations, on en vient à se haïr; de ces inimitiés naissent les factions, des factions les meurtres, qui ne sauraient finir sinon par la monarchic, d'où se peut connaître aisément combien celle-ci est meilleure. Le peuple d'autre part gouvernant, de nécessité le vice prend pied dans la commune. Le vice une fois établi engendre non pas haine entre les vicieux, mais forte amitié au contraire, eux agissant d'accord ensemble pour le mal public; et ainsi va jusqu'à ce qu'un prenne autorité sur le peuple et ôte l'empire à telles gens, lequel a raison de ce révéré par le peuple même, de cette révérence que lui porte un chacun profite et se fait monarque. En somme et pour finir d'un mot, d'où nous est venu la liberté? qui nous l'a donné? est-ce le peuple, l'oligarchie ou un inonarque? mon sentiment, puisqu'un seul homme nous a fait libres, c'est de nous tenir à un seul et de n'innover point aux coutumes de nos pères, sages et bonnės; car ainsi ne nous vaudrait rien. »

Ces trois avis donc proposés, quatre des sept délibérants se déclarèrent pour le dernier. Alors Otanès

qui avait conseillé l'Isonomie, voyant son avis rejeté, se prit à dire au milieu d'eux : « Hommes conjurés, il est sans doute qu'un de nous va devenir roi, soit par le sort, soit par le choix du peuple à qui on s'en remettra, soit de toute autre manière. Je n'entends point pour moi le disputer avec vous. Je ne veux gouverner ni être gouverné; mais je vous cède ici l'empire à une condition pourtant, qui est que nul de vous ne commandera jamais ni à moi ni aux miens issus de moi à perpétuité. » Comme il eut dit ces. mots, les six lui octroyèrent sa demande sur l'heure, moyennant quoi lui se retira du milieu d'eux, s'assit

à

part, et ne concourut point avec eux. Aujourd'hui encore cette maison est la seule en Perse qui soit libre et n'obéit qu'autant qu'elle veut, sauf les lois et coutumes qu'elle ne peut transgresser.

Le demeurant des sept tint conseil sur la manière d'élire un roi la plus équitable, et d'abord fut délibéré qu'à Otanès et ceux de sa race (venant la royauté à écheoir à un d'eux sept) serait donné par distinction particulière chaque année un habillement à la médoise et tout ce qui se peut chez les Perses de plus honorable en présent. La cause pourquoi ils voulurent lui faire ces présents, c'est qu'il avait eu le premier dessein du complot et avait assemblé les autres. Tels furent les dons et honneurs décernés à Otanès seul. Pour eux en commun ils réglèrent que toujours qui voudrait des sept entrerait au palais royal sans être annoncé, fors que le roi fut à dormir avec une femme; que le roi ne pourrait épouser femme qui ne fut de famille d'un des conjurés; et quant à l'élec

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