Page images
PDF
EPUB

gens eux lui dirent que depuis peu un dieu se manifestait, lequel avait coutume de rarement se montrer, et que quand il apparaissait, toute l'Egypte en faisait fête. Cette réponse ouïe, Cambyse dit que c'était mensonge que cela, et comme menteurs les fit mourir. Ceux-là morts, il manda les prêtres, et eux disant les mêmes choses, il repartit qu'il voulait voir si leur Dieu était bonne bête, et commanda aux prêtres de lui amener Apis, et ils l'allèrent quérir. Or cet Apis ou Epaphus naît veau d'une vache, qui ne peut après cela en porter d'autres, sur laquelle vache il descend du ciel un éclair, au dire des Egyptiens, dont elle engendre Apis et de ce veau qu'on nomme Apis les marques sont telles : le corps noir, sur le front un blanc à quatre angles, sur le dos la semblance d'un aigle, tous les crins doubles à la queue, et sur la langue un scarabée.

Apis étant venu amené par les prêtres, Cambyse feru qu'il était méchant de folie, tira sa dague, dont lui voulant donner dans le ventre, il l'atteint à la cuisse, et riant, dit aux prêtres : « Coquins, voilà vos dieux qui ont de la chair et du sang et qui sentent les coups du fer; digne en effet des Egyptiens un dieu tel que celui-là, Mais je vous apprendrai à vous moquer de moi. » Cela dit, il commande à ceux qui avaient charge de telles choses de fouetter les prêtres et tuer quiconque des Egyptiens serait trouvé à faire fête, moyennant quoi la fête cessa. Les prêtres furent traités ainsi qu'il avait dit, et Apis malade de sa blessure était gissant dans le temple, où finablement il mourut et fut enseveli par les prêtres à l'insu de Cambyse.

Cambyse, au dire des Egyptiens, pour avoir commis ce méfait, aussitôt après devint fou, étant auparavant peu sage, et premièrement fit mourir son frère de même père et mère, Smerdis qu'il avait par envie renvoyé de l'Egypte en Perse, parce que seul entre les Perses il tendait l'arc, à deux doigts près, qu'avaient apporté d'Ethiopie les Ichthyophages. Nul autre Perse que Smerdis n'en sut autant faire. Lui parti, Cambyse eut en songe une vision. Il lui fut avis qu'un messager venant de Perse apportait nouvelle que Smerdis assis sur le siége royal touchait de sa tête au ciel, à raison de quoi ayant peur que son frère le tuant, ne devint roi, il envoie en Perse Prexaspès, qui lui était le plus dévoué entre tous les Perses, lequel montant à Suses fit mourir Smerdis, aucuns disent à la chasse, d'autres dans la mer Rouge et qu'il le fit noyer.

Par là commencèrent, dit-on, les méchancetés de Cambyse. Depuis il fit mourir sa sœur venue quant et lui en Egypte, et qui lui était pareillement sœur des deux côtés, et voici comme il l'épousa. Car les Perses auparavant n'avaient du tout accoutumé d'habiter avec leurs sceurs. Cambyse aimait une de ses sœurs et la voulant avoir à femme, comme il pensa que c'était chose contraire à l'usage, fit appeler les juges royaux pour savoir d'eux s'il y avait point une loi qui permît au frère d'épouser sa sœur. Les juges royaux sont gens choisis, qui, leur vie durant, hors qu'ils soient convaincus de quelque iniquité, rendent la justice aux Perses et interprètent les lois, et toute affaire vient à eux. Interrogés lors par Cambyse, ils lui firent une réponse juste et sans danger

pour eux-mêmes, disant n'y avoir point de loi qui autorisât le mariage entre frère et soeur, mais bien une loi par laquelle il est permis au roi de faire ce qu'il veut. Voilà comment ils évitèrent d'enfreindre la loi pour Cambyse, et eux-mêmes, pour ne pas mourir s'ils eussent défendu la loi, en trouvèrent une favorable au roi voulant pour femme sa sœur. Ainsi Cambyse eut en mariage celle qu'il aimait, et peu après il épousa encore une autre sœur à lui. La plus jeune des deux fut celle qu'il tua en Egypte, ce qu'on raconte en deux manières, comme la mort de Smerdis. Car les Grecs disent que Cambyse un jour faisait combattre ensemble un lionceau et un jeune levron, étant cette sienne femme et sœur à les regarder avec lui, et que comme le chien se trouvait le plus faible, un autre jeune chien frère de ce levron accourut à son aide, rompant le lien qui l'attachait; au moyen de quoi le lionceau fut vaincu par les deux lévrons; que Cambyse prenait plaisir à voir ce combat, mais elle assise près de lui pleurait, dont s'étant aperçu Cambyse lui en demanda la cause, et elle dit qu'en voyant ce chien secourir et venger son frère, il lui souvenait de Smerdis; qu'il n'y aurait nul qui jamais le voulut venger. C'est le récit des Grecs et que pour cette parole Cambyse la fit mourir; mais les Egyptiens racontent autrement qu'eux deux étant à table assis, elle prit une laitue dont elle ôtait les feuilles une à une, lui demandant comment il la trouvait plus belle, ou dégarnie, ou bien feuillue, à quoi il répondit feuillue. Lors elle : « Ainsi fais-tu de la maison de Cyrus que tu vas dit-elle, effeuillant tout comme moi cette laitue »; dont Cambyse irrité lui sautant sur le

ventre, comme elle était grosse d'enfant, la fit avorter et mourir.

Tels actes furieux fit Cambyse à l'encontre de ses proches, soit vengeance d'Apis, soit autre cause. qu'il y eût, étant nature comme elle est sujette à tant de maux. Aussi avait-il, ce dit-on, de naissance une grande maladie que quelques-uns nomment sacrée. Partant ne se faut étonner qu'éprouvant en son corps si griève souffrance, il n'eût pas l'esprit sain. Autres actes pareils furent par lui commis envers les Perses. On raconte qu'un jour il dit à Prexaspès, qui près de lui était le plus considéré, portait ses ordres, même avait son fils échanson de Cambyse, charge non des moindres aussi; un jour il lui dit : « Prexaspès, que diton de moi et quel homme pensent les Perses que je sois? Maître, répondit Prexaspès, de toutes choses ils te louent, si ce n'est qu'ils te croient trop adonné au vin. » Qu'il dit cela comme un langage que tenaient les Perses, à quoi l'autre en courroux repart: « Les Perses donc me disent trop adonné au vin; ils me croient insensé, privé de jugement, et par ainsi leur premier dire ne fut pas véritable. » De fait Cambyse auparavant, en un conseil où assistait Crésus avec les Perses, ayant demandé quel homme il leur paraissait être au prix de son père Cyrus, par les Perses fut répondu qu'il valait bien plus que son père, ayant tout ce qu'il avait eu, et l'Egypte encore et la mer. Voilà ce que dirent les Perses; mais Crésus fut mal satisfait de cette réponse, et prenant la parole, dit: « Je ne trouve pas, fils de Cyrus, que tu sois égal à ton père; car il te manque un fils tel qu'il a laissé toi. >> Lequel propos plut à Cambyse, qui loua la réponse de

Crésus; et qu'en colère alors, remémorant ces choses, il dit à Prexaspès : « Tu vas tout-à-l'heure connaître s'ils disent vrai les Perses, ou si, parlant ainsi, ce sont eux au contraire qui ont perdu le sens; car avec ce trait si je frappe au milieu du coeur de ton fils que voilà là bas devant ma porte, les Perses sans doute sont menteurs. Si je faux, dis qu'ils ont raison, et que je ne sais ce que je fais. » Cela dit, il tend son arc et du trait frappe l'enfant; lequel étant tombé, il commanda de l'ouvrir et regarder le coup, et qu'en effet le fer était au milieu du cœur. Sur quoi transporté d'aise et s'éclatant de rire, il dit au père : « Tú le vois, Prexaspès; je ne suis pas fou. Si sont eux, et ne savent ce qu'ils disent; mais toi, vis-tu jamais, dismoi, archer aussi sûr comme je suis. » Et que Prexaspès le voyant du tout hors de séns, davantage craignant pour soi, répondit: « Maître, le dieu même ne tirerait pas plus juste. ».

C'étaient là ses œuvres alors. En une autre occasion, il fit sans nul valable raison enterrer vifs pardessus la tête douze des premiers personnages qui fussent en toute la Perse. Sur ces actions Crésus de Lydie le crut devoir admonester de telles paroles : « O roi, ne te laisse emporter à chaude colère de jeunesse, mais plutôt tâche à te modérer. Prévoyance en tout vaut sagesse, et n'est chose en quoi ne se doive regarder la fin. Tu fais mourir sans nulle raison gens de ton pays et enfants; mais si tu agis de la sorte, garde que les Perses un jour ne se bandent contre toi. Ainsi m'a enchargé ton père et recommandé de t'aviser et admonester pour ton bien. » Voilà comme il le conseillait par amitié qu'il lui portait; mais l'autre

« PreviousContinue »