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et qu'Amasis m'ayant parée de beaux atours me donne à toi comme sa fille, tandis que vraiment je suis née d'Apriès son maître, qu'il à fait périr en soulevant les Égyptiens contre lui. » Ce fut cette parole qui fut cause à Cambyse grandement couroucé de mouvoir guerre à l'Égypte. Ainsi le racontent les Perses. Mais les Égyptiens font Cambyse de leur pays et veulent que Cyrus non Cambyse, ait demandé la fille d'Apriès, quoi disant, ils ne disent pas vrai. Ils savent (car ce ce n'est pas à eux qu'il faut apprendre les coutumes et l'histoire de Perse) que d'abord, par la loi, le bâtard n'y peut régner, y ayant enfants légitimes, et que de plus la mère de Cambyse était Cassandanc, la fille de Pharnaspès Achéménide, et non pas cette Egyptienne. Ils confondent ainsi les faits pour paraître en quelque manière tenir à la maison de Cyrus; mais il n'en est que ce que j'ai dit. Toutefois on fait encore ce conte, peu croyable à mon sens; qu'un jour une femme persane entra chez les femmes de Cyrus, et voyant près de Cassandane ses enfants beaux à merveille, en fit de grandes louanges; sur quoi Cassandane, qui était femme de Cyrus: « Moi, ditelle, mère de tels enfants, Cyrus cependant me méprisc, et cette étrangère égyptienne, il la tient chère et l'honore. » Ainsi parlait-elle par haine qu'elle portait à Nitétis; et que là-dessus l'aîné de ses enfants, Cambyse, se prit à dire : Quand je serai grand, j'irai en Egypte et je mettrai tout sens dessus dessous; qu'il pouvait avoir bien dix ans lorsqu'il tint ce langage; dont les femmes s'émerveillèrent, et qu'en ayant toujours gardé le souvenir, lorsqu'il fut homme et roi, il fit l'expédition d'Égypte.

Une chose avint qui aida l'entreprise de cette guerre. Dans les troupes auxiliaires d'Amasis y avait un homme d'Halicarnasse, son nom était Phanès, brave de sa personne et d'esprit avisé ; lequel Phanès ayant possible à se plaindre d'Amasis, un jour fuit d'Egypte par mer, pour aller devers Cambyse, et attendu qu'il n'était pas personnage peu considérable entre les alliés, instruit d'ailleurs de toutes choses concernant l'Égypte, Amasis envoie après lui, désirant fort le ravoir; et celui qu'il envoya sur une galère à trois rangs, était son plus fidèle eunuque, lequel de fait le prit en Lycie, mais pris ne le sut ramener; car Phanès, plus fin, l'abusa. Car, ayant énivré ses gardes, il se sauva en Perse et fut trouver Cambyse, qui pour lors se préparait à marcher contre l'Égypte, et était en peine comment passer le désert. Il lui conte tout ce qu'il savait des affaires d'Amasis, lui donne des avis pour sa marche. Son conseil était d'envoyer au roi des Arabes demander sûreté pour le passage.

Ce n'est que par là seulement qu'on trouve l'entrée de l'Egypte. Car, de la Phénicie aux confins de la ville de Cadytis, c'est terre des Syriens de Palestine, comme on les appelle. De Cadytis, ville à mon sens peu inférieure à celle de Sardes, jusqu'à Jenyse, tous les ports où l'on se peut approvisionner sont à l'Arabe. Puis de Jenyse, c'est encore pays syrien jusqu'au lac Serbonide, au long duquel le mont Casius s'étend vers la mer. A partir du lac Serbonide, où Typhon se cacha, dit-on, de-là c'est Egypte. Tout entre Jenyse, le mont Casius et le lac Serbonide (qui

n'est pas si peu de pays qu'il n'y ait bien trois jours de marche), tout cela est désert sans eau.

Une chose peu remarquée de ceux qui voyagent en Egypte, c'est cela que je vais dire. De toute la Grèce et encore de la Phénicie, deux fois l'an, il vient en Egypte grand nombre de jarres pleines de vin, et si n'y en voit-on pas une, par manière de dire, ni le moindre vase de terre à serrer le vin. Que deviennent-elles donc ? Le voici. Chaque chef de tribu est tenu de ramasser toutes le jarres qui se peuvent trouver dans sa ville, pour les conduire à Memphis, et ceux de Memphis, de les porter à leur tour pleines d'eau dans le désert de Syrie, tellement que ce qu'il en arrive de dehors chaque année, enlevé se va joindre aux autres en Syrie; et ce sont les Perses qui ont imaginé ce moyen d'assurer leur marche en Egypte, faisant ainsi provision d'eau depuis qu'ils eurent conquis l'Egypte. Mais lors n'y avait point encore de ces amas d'eau. C'est pourquoi Cambyse, par conseil de l'homme d'Halicarnasse, envoya vers l'Arabe et lui fit demander sûreté pour le passage, laquelle il obtint en donnant et recevant la foi.

Les Arabes gardent la foi autant que peuple qu'il y ait, quand ils l'ont jurée, ce qui se fait en cette manière. Deux voulant se jurer la foi, un troisième se met entre eux deux, et avec une pierre tranchante leur incise le dedans des mains près des grands doigts; puis, prenant du vêtement de chacun une floche imbibée de leur sang, il en frotte sept pierres posées à terre entre eux deux, et en ce faisant invoque et Bac-' chus et Uranie; et cependant celui qui engage sa foi présente à ses amis l'étranger ou le citoyen, si c'en est

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un, avec lequel il s'engage; et les amis sont garants. de la foi jurée. Ils ne reconnaissent de dieux que Bacchus et Uranie, et disent que leur façon de se couper les cheveux en rond, se rasant le tour des des tempes, est celle-là même de Bacchus. Ils appellent Bacchus Ourotal et Uranie Alilat.

Ayant donné la foi aux envoyés de Cambyse, l'Arabe, pour lui faire service, usa d'une telle invention. Il remplit d'eau des outres de peau de chameau, et les chargeant sur tout autant qu'il pût trouver de chameaux vivants, les mena dans le désert, où il attendit la venue de Cambyse et de son armée. C'est là le récit qu'on en fait le plus vraisemblable; si faut-il dire le moins probable aussi, puisqu'autrement se raconte. Un grand fleuve est en Arabie nommé Coris, lequel donne dans la mer qu'on appelle Erythrée. De ce fleuve donc on prétend que le roi des Arabes, par un tuyau qu'il fit de peaux de boeufs crues et autres, cousues ensemble de longueur à venir jusque dans le désert, conduisit l'eau; que dans le désert il fit creuser de grands réservoirs, pour recevoir et garder l'eau conduite de la sorte en trois différents endroits par trois tuyaux. Il y a du fleuve au désert douze journées de chemin.

Or, campé à la bouche du Nil qu'on appelle Pélusiaque, Psamménite, fils d'Amasis, attendait Cambyse, Car Cambyse ne trouva pas, lorsqu'il vint en Egypte, Amasis vivant. Après quarante et quatre ans de règne, il était mort, n'ayant éprouvé durant ce temps nul événement désastreux, et mort et embaumé fut mis dans les tombeaux, dans le lieu sacré où lui-même les avait bâtis. Régnant Psamménite en

Egypte, un prodige arriva. Ce fut la pluie à Thèbes d'Egypte, où jamais pluie n'était tombée, ni ne s'est vue oncque depuis, à ce que disent les Thébains. Car il ne pleut du tout point dans la haute Egypte, et toutefois il plut à Thèbes alors quelques gouttes.

Les Perses donc, après avoir traversé le désert, comme ils furent près des Égyptiens, sur le point d'en venir aux mains, les alliés de l'Égyptien, Grecs et Cariens, voulant mal à Phanès de ce qu'il amenait une armée étrangère, pour s'en venger, inventent ceci. Phanès avait laissé des enfants en Égypte ; il les font venir au camp, et à la vue du père, ils placent un cratère entre les deux armées; puis amenant là ces enfants, l'un après l'autre, les égorgent jusqu'au dernier dans ce cratère, où ils versèrent, après cela, de l'eau et du vin; et tous ayant bu de ce sang, vont au combat qui fut terrible. De part et d'autre y demeurèrent grand nombre de gens, et les Égyptiens

furent défaits.

Là j'ai vu chose surprenante, dont je m'enquis à ceux du pays, les ossements de tous ces morts sur le champ de bataille séparés (car ils étaient à part, ceux des Perses d'un côté, comme d'abord on les mit, de l'autre ceux des Égyptiens), et les crânes des Perses si faibles, qu'à les frapper d'un petit caillou seulement tu les percerais, ceux des Égyptiens, au contraire, tellement solides, qu'à grand peine les rompras-tu d'une grosse pierre; et la raison qu'ils m'en donnèrent, laquelle je crois aisément, c'est que les Égyptiens dès l'enfance vont la tête rase, dont les os se durcissent au soleil, et cela est cause en même temps qu'ils ne deviennent point chauve. Car il n'est

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