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vénération. Depuis quand n'est-il donc plus permis de dire, d'une manière générale, que tel vice, tel défaut, tel genre de dépravation règne dans telle classe de la société ?

Ici, j'interpelle encoré l'accusation. Niez vous les faits ? J'offre de les prouver. Les avouez-vous? J'ai donc eu raison d'avancer ce que j'ai avancé.

Expliquez-vous enfin d'une manière cathégorique. Est-ce pour avoir controuvé des faits que vous m'accusez? Ce n'est plus qu'une question de vérité historique; nous pouvons la décider avec des autorités. M'accusez-vous pour avoir dit des vérités fàcheuses à quelques amours-propres ? Alors, je vous demande où est la loi qui condamne la vérité et qui fait du mensonge un devoir de morale publique. Mais du moins expliquez-vous : parlez; qu'on sache ce que vous voulez, ce que vous prétendez. Niez franchement les faits, ou bien avouez-les franchement, sans vous perdre en vaines déclamations qui ne prouvent rien, si ce n'est votre embarras et votre faiblesse.

Pour moi, je vous dirai que de tout temps l'histotorien, le moraliste, l'écrivain satirique, ont été en possession de censurer les vices généraux, et surtout les vices des cours. Je vous dirai

que l'auteur que vous accusez n'a fait que redire, avec moins de force peut-être, ce que mille auteurs estimés avaient dit avant lui. On vous a cité Massillon et Montesquieu; écoutez maintenant Mézeray et Bassompierre.

Mézeray parle de l'introduction des femmes à la cour. « Du commencement, dit-il, cela eut de fort >> bons effets, cet aimable sexe y ayant amené la po

>>

» litesse et la courtoisie, et donnant de vives pointes » de générosité aux âmes bien faites. Mais depuis que » l'impureté s'y fut mêlée, et que l'exemple des plus grands eût autorisé la corruption, ce qui était au<< paravant une belle source d'honneur et de vertu, » ADVINT UN SALE BOURBIER DE TOUS LES VICES; le » déshonneur SE MIT EN CRÉDIT, LA PROSTITUTION SE » SAISIT DE LA FAVEUR, on y entrait, on s'y mainte» nait par ce moyen; bref, les charges et les emplois » se distribuaient à la fantaisie des femmes, et parce » que d'ordinaire, quand elles sont une fois déréglées, » elles se portent à l'injustice, aux fourberies, à la >> vengeance et à la malice, avec bien plus d'effron»terie que les hommes même, elles furent cause » qu'il s'introduisit de très-méchantes maximes dans » le gouvernement, et que l'ancienne candeur gau»loise fut rejetée, encore plus loin que la chasteté. » Cette corruption commença sous le règne de Fran»çois 1, se rendit presque universelle sous celui de » Henri II, et SE DÉBORDA ENFIN JUSQU'AU DERNIER » PÉRIODE SOus Charles IX et Henri III. » MézeHistoire de France, Henri III, tom. 3, p. 446

ray,

447.

Voyons maintenant comment Bassompierre s'exprime sur le compte d'un courtisan. « C'était un >homme assez mal fait, et il y a lieu de s'étonner » qu'il ait réussi en ce temps-là, où l'on ne parvenait » à rien que par les femmes, comme je pense qu'il en » a été DE TOUT TEMPS, dans TOUTES les cours, et »crois que qui voudrait y regarder de bien près, ON }» TROUVERAIT PLUS DE MAISONS QUI SE SONT FAIT » GRANDES PAR CETTE VOLE QU'AUTREMENT, »

Je pourrais multiplier ces citations à l'infini, il faut se borner; passons à un autre point.

Le dernier chef d'accusation a été soutenu avec moins d'insistance, et si quelque chose m'étonne encore, c'est qu'on ne l'ait pas entièrement abandonné. Vous penserez comme moi, sans doute, quand je l'aurai remis sous vos yeux.

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« O vous, législateurs nommés par les préfets, pré» venez ce malheur (le morcellement des grandes propriétés); faites des lois, empêchez que tout le » monde ne vive! ôtez la terre au laboureur et le tra» vail à l'artisan, par de bons priviléges, de bonnes corporations. Hâtez-vous; l'industrie aux champs » comme à la ville, envahit tout, chasse partout l'antique et noble barbarie. On vous le dit, on >> vous le crie: que tardez-vous encore? qui vous » peut retenir? peuple, patrie, honneur? lorsque » vous voyez là emplois, argent, cordons et le baron » de Frimont. »

»

Je dois vous le confesser; dans ma simplicité, j'avais imaginé que, par une méprise étrange, mais qui n'est pas plus étrange que le reste de l'accusation, le ministère public avait pris au sérieux les conseils ironiques de l'auteur, et qu'il allait lui reprocher d'avoir engagé les pouvoirs législateurs à faire des lois pour empêcher que tout le monde ne vive, etc., etc... C'est ainsi seulement que je concevais la possibilité d'une accusation d'outrage à la morale publique, et je me promettais de vous désabuser facilement.

Je m'étais trompé : l'accusation a pris une autre marche; et ici, je ne la comprends plus.

S'il s'agissait d'une accusation politique, je la trou

verais seulement très-mal fondée, mais enfin, je la concevrais, puisque le passage a trait à la politique: mais c'est une accusation de morale publique qu'on vous présente; or, qu'ont de commun avec la morale publique, le mode d'élection des députés, et la recomposition de la grande propriété ?

C'est insulter la nation que de prétendre qu'elle abandonne à ses préfets le choix de ses législateurs? Toujours des reproches étrangers à la question! Mais qu'a donc écrit ici M. Courier, que le gouvernement lui-même n'ait dit cent fois à la tribune? Les ministres ne nous ont-ils pas souvent entretenus de la nécessité de donner au gouvernement de l'influence dans les élections? Et comment le gouvernement exerce-t-il cette influence? Par ses agents, apparemment? Et ces agents, qui sont-ils? dans les départements? Les préfets. Qu'a donc dit M. Courier?

Vous offensez les Chambres, en les supposant disposées à faire des lois pour ôter le pain au laboureur. Encore une accusation étrangère au procès, car nous ne sommes point accusés d'offense envers les Chambres, mais d'outrage à la morale publique.

Je répondrai d'un seul mot: si les Chambres se croyaient offensées, elles avaient droit de rendre plainte et de provoquer des poursuites. Elles ne l'ont pas fait; elles ne se sont donc pas jugées offensées; et vous, vous n'avez pas droit, quand elles gardent le silence, de devancer leur plainte et d'agir sans leur provocation.

Avant de quitter cette discussion, je veux, Messieurs les jurés, vous proposer une épreuve irrécusable pour discerner la vérité de l'erreur, et pour ap

précier les charges de l'accusation. Vous n'ignorez pas, et c'est un des plus simples axiomes de la logique, que le contraire d'une proposition fausse et nécessairement une proposition vraie par la même raison, toute proposition qui outragera la morale publique, aura nécessairement pour contraire une vérité fondamentale de morale publique. Ainsi, qu'un auteur fasse l'apologie du larçin ou du mensonge, vous n'aurez qu'à renverser sa proposition, et vous trouverez que le mensonge, que le larcin sont des actions repréhensibles : ce sont là, en effet, des principes de morale incontestables.

Si, au contraire, la proposition ainsi renversée ne nous donne qu'un sens insignifiant, indifférent ou ridicule, il est évident que la proposition primitive ne renfermait pas d'outrage à la morale publique. Appliquons aux propositions incriminées cette méthode d'appréciation.

La cour donne tout aux princes;

Les prêtres donnent tout à Dieu ;

Les apanages, les listes civiles ne sont pas pour les princes;

Le revenu des abbayės n'est pas pour Jésus-Christ ; Le prince, à Chambord, apprendra ce que peuvent enseigner Chambord et la cour.

J'aimerais mieux qu'il vécût avec nous qu'avec ses ancêtres;

Les courtisans s'enrichissent par la prostitution ; Les préfets ont beaucoup d'influence dans la nomination des députés.....

Prenons les propositions inverses, et voyons quel

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