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Mon cher Monsieur, comment ferai-je? n'entendant pas un mot de français, que puis-je comprendre à ce chiffon tout plein de ratures? Eh bien! repartit Paul-Louis, nous y travaillerons ensemble; mais dépêchons, le préfet attend. Les voilà donc à la besogne, et Paul-Louis, compositeur, correcteur, imprimeur et le reste. Ce fut un merveilleux ouvrage que cette impression; il y avait dix fautes par ligne, mais à toute force on pouvait lire. La chose achevée, vient un scrupule à ce bonhomme d'imprimeur. Ne nous faudrait-il pas, dit-il, pour faire ce que nous faisons, une permission, un permesso? Non, dit Paul-Louis. Si fait dit l'autre. Et quoi, pour le préfet? Attendez, dit Lino, je reviens tout-à-l'heure. Il s'en va chez le préfet, et cependant Paul-Louis fait un paquet d'une centaine d'exemplaires, qu'il emporte. Un quart-d'heure après l'imprimerie était pleine de sbires. Ce sont les gendarmes du pays.

Ayant ce qu'il voulait à-peu-près, Paul-Louis écrivit encore au préfet une dernière lettre : « Mon» sieur, j'ai trompé l'imprimeur Lino. Je lui ai fait » accroire qu'il travaillait pour vous: je lui ai parlé » en votre nom et comme chargé de vos ordres. Je » l'ai hâté en l'assurant que vous attendiez impa» tiemment le résultat de son travail; enfin, tous les » moyens que j'ai pu imaginer, je les ai mis en oeu»vre pour abuser cet homme qui, pensant vous ser» vir, ignorait ce qu'il faisait. Après une telle décla » ration, je vous crois, Monsieur, trop raisonnable » pour vous en prendre à lui, et non pas à moi seul, » de la publication de mon factum littéraire. Je ne » vous prie plus que de vouloir bien l'adresser avec

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» cette lettre au ministre, curieux de savoir à quoi je m'occupe et qui je suis. »

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Le pauvre Lino fut arrêté, interrogé, réprimandé, et renvoyé. Le préfet n'adressa au ministre ni lettre ni brochure; mais bientôt après il reçut une verte semonce de ses maîtres. Laisser imprimer, publier la plainte d'un homme maltraité, quelle bécue pour un préfet! L'espèce de supercherie dont il avait été la dupe ne l'excusait pas aux yeux d'un gouvernement fort. Il était responsable, la plainte avait paru; c'était sa faute à lui, gagé précisément pour empêcher cela. Il en faillit perdre sa place, ct c'eût été dommage vraiment; il ne serait pas ce qu'il est (conseiller d'état) aujourd'hui, s'il eût cessé alors de servir les dynasties.

Paul-Louis, depuis ce temps, vécut à Rome tranquille, n'entendant plus parler de préfet ni de ministre. Sa lettre fit du bruit, en Italie surtout. Les Lombards se réjouirent de voir Florence moquée, et truitée d'ignorante. Quelques écrits parurent en faveur de Paul-Louis: on voulut y répondre, mais le gouvernement l'empêcha et imposa silence à tous. On redoutait alors la moindre discussion dont le public eût été juge. Celle-ci, d'abord sotte et ridicule sculement, eut des suites sérieuses, fâcheuses même, tragiques. Furia en fut malade, Puccini en mourut; ear étant à dîner un jour chez la comtesse d'Albani, veuve du prétendant d'Angleterre, il se prit de querelle avec un des convives qui défendait Paul-Louis, et s'emporta au point que de retour chez lui le soir, il écrivit une lettre d'excuses à madame d'Albani, se mit au lit et mourut regretté d'un chacun, car il était

bon homme, à la colère près. Paul-Louis n'en fut pas cause, comme on le lui a reproché; mais s'il eût pu prévoir cette catastrophe, la crainte de tuer un chambellan ne l'eût pas empêché apparemment d'écrire, quand il crut le devoir faire pour sa propre défense.

Ce qui, dans cette brochure déplut, ce fut un ton libre, un air de mécontentement fort extraordinaire alors, la façon peu respectueuse dont on parlait des employés du gouvernement; et plus que tout, ce fut qu'on y faisait connaître la haine de l'Italie pour ce gouvernement et pour le nom français, Bonaparte croyait être adoré partout, sa police le lui assurait chaque matin: une voix qui disait le contraire embarrassait fort la police, et pouvait attirer l'attention de Bonaparte, comme il arriva; car un jour il en parla, voulut savoir ce que c'était qu'un officier retiré à Rome, qui faisait imprimer du grec. Sur ce qu'on lui en dit, il le laissa en repos.)

LETTRE A M. RENOUARD,

LIBRAIRE,

SUR UNE TACHE FAITE A UN MANUSCRIT DE FLORENCE.

J'AI Vu, Monsieur, votre notice d'un fragment de Longus nouvellement découvert, c'est-à-dire, votre apologie au sujet de cette découverte, dans laquelle on vous accusait d'avoir trempé pour quelque chose. Il me semble que vous voilà pleinement justifié, et je m'en réjouirais avec vous, si je pouvais me réjouir. Mais cette affaire, dont vous sortez si heureusement, prend pour moi une autre tournure, et tandis que vous échappez à nos communs ennemis, je ne sais en vérité ce que je vais devenir.

On me mande de Florence que cette pauvre traduction, dont vous avez appris l'existence au public, vient d'être saisie chez le libraire, qu'on cherche le traducteur, et qu'en attendant qu'il se trouve, on lui fait toujours son procès. On parle de poursuites, d'informations, de témoins, l'on se tait du reste (1).

Voyez, Monsieur, la belle affaire où vous m'avez

(1) Hemistiche de Corneille, allusion hardie à l'intervention de l'auguste princesse, au refus de la dédicace, et autres faits connus alors de tout le monde à Florence, et peut-être même dans les faubourgs.

engagé. Car ce fut vous, s'il vous en souvient, qui eûtes la première pensée de donner au public ce malheureux fragment. Moi, qui le connaissais depuis deux ans, quand je vous en parlai à Bologne, je n'avais pas songé seulement à le lire.

Sans ce fragment fatal au repos de ma vie,

Mes jours dans le loisir couleraient sans envie;

je n'aurais eu rien à démêler avec les savants Florentins; jamais on ne se serait douté qu'ils sussent si peu leur métier, et l'ignorance de ces messieurs ne paraissant que dans leurs ouvrages, n'eût été connue de personne,

Car vous savez bien que c'est là tout le mal, et que cette tache dont on fait tant de bruit, personne ne s'en soucie. Vous n'avez pas voulu le dire parce que Vous êtes trop sage. Vous vous renfermez dans les bornes strictes de votre justification, et, par une modération dont il y a peu d'exemples, en répondant aux mensonges qu'on a publiés contre vous, vous taisez les vérités qui auraient pu faire quelque peine à vos calomniateurs. A quoi vous servait en effet, assuré de vous disculper, d'irriter des gens qui, tout méprisables qu'ils sont, ont une patente, des gages, une livrée; qui, sans être grand chose, tiennent à quelque chose, et dont la haine peut nuire? Et puis, ce que vous taisiez, vous saviez bien que je serais obligé de le dire, que vous seriez ainsi vengé sans coup férir, et que le diable, comme on dit, n'y perdrait rien.

Pour moi, tant que tout s'est borné à quelques articles insérés dans les journaux italiens, à quelques

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