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leurs princes. Un espoir restait toutefois. Un prodige, une royale naissance, bien plus miraculeuse que celle dont nos aïeux furent témoins, se renouvela. Un cri de reconnaissance et d'admiration se fit entendre. Une antique et auguste habitation avait fait partie des apanages de la couronne. Une pensée noble se présenta tout-à-coup, et elle fut répétée; elle fut suivie de l'exécution, ce fut à l'amour qu'un appel fut adressé.

Ouf! demeurons-en là sur l'appel à l'amour. Si vous ne dormez pas, cherchez-moi, je vous prie, par plaisir inventez, imaginez quelque chose de plus lourd, de plus maussade et de plus monotone que cette psalmodie de maître de Broë, par laquelle il exprime pourtant son allégresse. L'auteur de la brochure n'y a point mis d'allégresse, dit maître de Broë, qui, pour cette omission, le condamne à la prison. Lui, de peur d'y manquer, il commence par là, et d'abord se réjouit.

D'aise on entend sauter la pesante baleine (1).

Mais il a un peu l'air de se réjouir par ordre, par devoir, par état, et on lui dirait presque, comme le président disait à Paul-Louis: Sont-ce là les pensées qu'a pu vous inspirer la royale naissance? Est-ce ainsi que le cœur parle ? une si triste joie, un hymne si lugubre, sont plus suspects que le silence. Ne poussons pas trop cet argument, de peur d'embarrasser le

(1) Homère.

pauvre magistrat. Car il ne faudrait rien pour fairede son allégresse une belle et bonne offense à la morale publique, et même à la personne du prince, s'il

est vrai

.........

Qu'un froid panégyrique

Déshonore à la fois le héros et l'auteur.

Abrégeons son discours, au risque de donner quelque force à ses raisons, en les présentant réunies. Voici ce notable discours brièvement, compendieusement traduit de baragouin en français, comme dit Panurge.

Il commence par son commencement. Car on assure qu'il n'en a qu'un pour toutes les causes de ce genre: le duc de Berry est mort; le duc de Bordeaux est né. On a voulu offrir Chambord au jeune prince.. Éloge de Chambord et de la souscription.

A cet exorde déjà long, et qui remplirait plusieurs pages, il en fait succéder un autre non moins long, pour fixer, dit-il, le terrain, c'est-à-dire le point de la question, comme on parle communément.

Il ne s'agit pas d'un impôt dans la souscription: proposée pour l'acquisition de Chambord, et le mot même indique un acte volontaire. De quoi donc s'avise Paul-Louis de contrarier la souscription, qui ne l'oblige point, ne lui coûtera rien? C'est fort mal fait à lui. Cela le déshonore. Vous ne voulez pas souscrire? eh bien, ne souscrivez pas. Qui vous force? Un moment, de grâce entendons-nous, M. l'avocatgénéral. Je ne souscrirai pas, sans doute, si je ne veux; car je n'ai point d'emploi, de place qu'on me puisse

ôter. Je ne cours aucun risque, en ne souscrivant pas, d'être destitué. Mais je paierai pourtant, si ma commune souscrit; je paierai malgré moi, si mon maire veut faire sa cour à mes dépens. Et quand je dis doucement: je ne veux pas payer, vous, monsieur de Broë, vous criez en prison; ajoutant que je suis maître, qu'il dépend bien de moi, que la souscription est toute volontaire; que ce n'est pas un impôt. Comment l'entendez-vous?

Or, cette pensée noble, cette récompense noble, cette souscription noble et libre, comme on voit, l'auteur entreprend de l'arrêter. Il veut empêcher de souscrire les gens qui en seraient tentés, paralyser l'élan, glacer l'élan des cœurs un peu plus généreux que le sien, tandis que maître Jean, par de nobles discours, chauffe l'élan des cours. Mais ne le copions pas; j'ai promis de le traduire, et de l'abréger surtout, afin qu'on puisse le lire.

y a

des

Voilà l'objet de la brochure. Elle est écrite contre l'élan, et on ne saurait s'y méprendre. Puis il accessoires, des diatribes contre les rois, les prêtres et les nobles.

Il est vrai que l'auteur ne parle pas des prêtres, on n'en dit qu'un seul mot bien simple, et que partout il loue les princes. Mais ce sont des parachutes. Il ne pense pas ce qu'il dit des princes, et pense ce qu'il ne dit pas des prêtres.

Deux remarques ensuite: 1 L'auteur ne s'afflige point de la mort du duc de Berry, ne se réjouit point de la naissance du duc de Bordeaux. Il n'a pas dit un mot de mort ni de naissance. Il n'y a ni allégresse ni désolation dans sa brochure. 20 L'auteur parle du

jeune prince comme d'un enfant à la mamelle. Il dit le maillot simplement, sans dire l'auguste maillot; la bavette, et non pas la royale bavette. Il dit, chose horrible, de ce prince, qu'un jour son métier sera de régner.

Après s'être étendu beaucoup sur tous ces points, maître de Broë déclare enfin qu'il ne s'agit pas de tout cela. Ce n'est pas là-dessus que porte l'accusation, dit-il. On n'attaque pas le fond de la brochure, ni même les accessoires dont nous venons de parler, mais des propositions incidentes seulement. Là-dessus il s'écrie: Voilà le terrain fixé.

Puis il entame un autre exorde.

Dans les affaires de cette nature, on n'examine que les passages déterminés suivant la loi par l'acte même d'accusation. Or, il y en a quatre ici.

La loi est fort insuffisante. Les écrivains sont si adroits, qu'ils échappent souvent au procureur du roi. Il faut leur appliquer, d'une manière frappante, la loi (style de Broë). La liberté d'écrire jouit de tous. ses droits; elle est libre (Broë tout pur), bien qu'elleaille en prison quelquefois. Elle enjambe sur la licence (Broë! Broë!) par l'excessive indulgence des magistrats.

On avait d'abord assayé, dans le premier réquisitoire, d'accuser l'auteur de cet écrit d'offense à la personne du roi. On y a renoncé par réflexion.

Vient enfin l'examen des passages inculpés, dont le premier est celui-ci :

« Car la cour donne tout au prince, comme les prêtres tout à Dieu, et ces domaines, ces apanages, » ces listes civiles, ces budgets ne sont guères autre

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»ment pour le roi que le revenu des abbayes n'est » pour Jésus-Christ. Achetez, donnez Chambord, » c'est la cour qui le mangera, le prince n'en sera ni pis ni mieux. »

Les prêtres tout à Dieu! Ah! oui, demandez aux pauvres. Tirade d'éloquence. Les abbayes! Oh! non. Il n'y a plus d'abbayes. Tirade de haut style sur la révolution. De morale, pas un mot, ni des phrases inculpées.

Le second passage est celui-ci :

» Mais à Chambord, qu'apprendra-t-il? Ce que » peuvent enseigner et Chambord et la cour. Là, » tout est plein de ses aïeux. Pour cela précisément » je ne l'y trouve pas bien; et j'aimerais mieux qu'il » vécût avec nous qu'avec ses ancêtres.....»

Maître de Broë n'examine point non plus ce passage, ni ce qu'il peut avoir de contraire à la morale. Il le cite et le laisse là, sans autrement s'en occuper. Mais, dit-il, ensuite de ces phrases, il y en a d'autres horribles. Il ne les lira pas, parce qu'il n'en est point parlé dans l'acte d'accusation. Cependant elles sont horribles. Beau mouvement d'éloquence à propos de ces phrases, dont il n'est pas question et qu'on n'accuse pas. L'auteur, dit maître Jean, représente nos rois, ou du moins quelques uns, comme ayant mal vécu et donné en leur temps de fort mauvais exemples. Il les peint corrompus, dissolus, pleins de vices, et condamne leurs déportements sans avoir égard aux convenances. Les tableaux qu'il en fait (non de sa fantaisie, mais d'après les histoires) sont scandaleux d'abord, et en outre immoraux, licencieux, déshonnêtes. Le scandale abonde de nos jours,

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