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galanterie, et la noblesse en était fière comme de son' plus beau privilége. La noblesse prétendait devoir seule fournir des maîtresses aux princes, et quand' Louis XV prit les siennes dans la roture, les femmes titrées se plaignirent.

Le président. Jamais l'histoire n'a fait l'éloge de la prostitution.

Courier. De la galanterie, M. le président, de la galanterie.

Le président. Vous avez employé le mot de prostitution. Vous savez ce que vous dites. Vous êtes un homme instruit. On rend justice à vos talents, à vos rares connaissances.

Courier. J'ai employé ce mot faute d'autre plus précis. Il en faudrait un autre. Car, à dire vrai, cette espèce de prostitution n'est pas celle des femmes publiques. Elle est différente et infiniment pire.

Le président. Comment la souscription pour S. A. R. Mgr. le duc de Bordeaux ne vous a-t-elle inspiré que de pareilles idées ?

Courier. Dans ce que j'ai écrit il n'y a rien contre la famille royale.

Le président. Aussi n'est-ce pas de quoi l'on vous accuse ici.

Courier. C'est qu'on ne l'a pas pu, M. le président. On eût bien voulu faire admettre cette accusation. Mais il n'y a pas eu moyen. On cherchait un délit plus grave; on n'a trouvé que ce prétexte d'offense à la morale publique.

Le président. Vous insultez une classe, une partie

de la nation.

Courier. Je n'insulte personne. J'ai parlé des an

cêtres de la noblesse actuelle, dans laquelle je connais de fort honnêtes gens qui ne vont point à la cour. J'en ai vu à l'armée faire comme les vilains, défendre leur pays. Serait-ce insulter les Romains de dire que leurs aïeux furent des voleurs, des brigands? Feraisje tort aux Américains si je les déclarais descendus de malfaiteurs et de gens condamnés à la déportation? J'ai voulu montrer l'origine des grandes fortunes dans la noblesse, et de la grande propriété.

Le président. Vous avez outragé tout le corps de la noblesse, l'ancienne et la nouvelle, et vous ne respectez pas plus l'une que l'autre.

Courier. Sans m'expliquer là-dessus, je vous ferai remarquer, M. le président, que j'ai spécifié, particularisé la noblesse de race et d'antique origine.

Le président. Eh bien, dans l'ancienne noblesse, il y a des familles sans tache, qui ne doivent rien aux femmes les Noailles, les Richelieu..

Courier. Les Richelieu ! Tout le monde sait l'histoire du pavillon d'Hanovre, et de la guerre d'Allemagne. Madame de Pompadour étant premier ministre.....

Le président. Assez; point de personnalités.

Courier. Je réponds à vos questions, M. le président. Sans madame de Maintenon, les Noailles....... Le président. On ne vous demande pas ces détails historiques.

Courier. La prostitution, M. le président; toujours la prostitution.

Le président. Les faveurs de la cour s'obtiennent sur le champ de bataille, par des services...... Courier. Par les femmes, M. le président.

Le président. Votre décoration de la légion d'honneur, l'avez-vous donc eue par les femmes ?

Courier. Ce n'est pas une faveur, et je n'ai pas fait fortune il s'agit des fortunes. Je n'ai jamais eu rien de commun avec la cour, et puis je ne suis pas noble.

Le président. Vous avez la noblesse personnelle, vous êtes noble.

Courier. J'en doute, M. le président, permettezmoi de vous le dire; je doute fort que je sois noble. Mais enfin, je veux bien m'en rapporter à vous.

(A chaque réponse de l'accusé il s'élevait dans l'assemblée un murmure qui peu à peu se changeait en applaudissements. L'avocat-général crut devoir mettre ordre à cela. M. le président, dit-il, ce bruit est contraire à la loi.)

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Le président. Messieurs, point d'applaudissements. Vous n'êtes pas au spectacle. Je ferai sortir d'ici tous les perturbateurs. Prévenu, vous avez dit que la

cour mangerait Chambord.

Courier. Oui. Qu'y a-t-il en cela qui offense la morale?

Le président. Mais? qu'entendez-vous par la cour? Courier. La définir serait difficile. Toutefois je dirais que la cour est composée des courtisans, des gens qui n'ont point d'autre état que de faire valoir leur dévouement, leur soumission respectueuse, leur fidélité inviolable.

Le président. Il n'y a point chez nous de courtisans en titre. La cour, ce sont les généraux, les maréchaux, les hommes qui entourent le roi. Et que

veut dire encore les prêtres donnent tout à Dieu? Cela est contre la religion.

Courier. Contre les prêtres tout au plus. Ne confondons point les prêtres avec la religion, comme on veut toujours le faire.

Le président. Les prêtres sont désintéressés; ils ne veulent rien que pour ·les pauvres.

Courier. Oui, le pape se dit propriétaire de la terre entière. C'est donc pour la donner aux pauvres. Au reste, ce que j'ai écrit n'offense pas même les prêtres; car il signifie simplement: les prêtres voudraient que tout fût consacré à Dieu.

Après cet interrogatoire, où le public ne parut pas un seul moment indifférent, l'avocat-général, maître Jean de Broë, prit la parole, ou, pour mieux dire, prit son papier, car il lisait. C'est un homme de petite taille, qui parle des grands magistrats, et assure que la noblesse leur appartient de droit avec ce qui s'ensuit, honneurs et priviléges, d'où l'on peut sans faute conclure que, dans cette affaire, croyant plaider sa propre cause et combattre pour ses foyers, il y aura mis tout son savoir. Il prononça un discours long, et que peu de gens auront lu imprimé dans le Moniteur, mais que personne ne comprendrait si on le rapportait ici, tant les pensées en sont obscures, le langage impropre. C'est vraiment une chose étrange à concevoir que cette barbarie d'expression dans les apôtres du grand siècle. Les amis de Louis XIV ne parlent pas sa langue. On entend célébrer Bossuet, Racine, Fénélon en style de Marat, et la cour polie en jargon des antichambres de Fou

ché. Il y en a chez qui cette bizarrerie passe toute créance; et si je citais une phrase comme celle-ci, par exemple: Qui profitera d'un bon coup? Les honnêtes gens? Laissez donc. Ils sont si bétes! vous la croiriez de quelque valet, et des moins éduqués. Elle est du marquis de Castel Bajac, imprimée sous son nom, dans le Conservateur. Ainsi parlent ces gens nés autrement que nous, c'est-à-dire bien nés, qui se rangent à part, avec quelque raison; classe privilégiée, supérieure, distinguée. Voilà leur langage familier. Veulent-ils s'exprimer noblement ? ce ne sont qu'altesses, majestés, excellences, éminences. Ils croient que le style noble est celui du blason. Malheur des courtisans, ne point connaître le peuple, qui est la source de tout bon sens. Ils ne voient en leur vie que des grands et des laquais, leur être se compose de manières et de bassesses,

Je dis donc, revenant à maître de Broë, que pour ceux qui l'emploient,

C'est un homme impayable, et qui par son adresse,
Eût fait mettre en prison les sept sages de Grèce.

comme mauvais sujets, perturbateurs. Sa prose est bonne pour les jurés, s'ils sont amis de M. Réglet. Mais à moins de cela, on ne saurait y prendre plaisir. Son discours, qui d'abord ennuie dans la Gazette officielle, assomme au second paragraphe; et par cette considération, je renonce à le placer ici, comme je voulais, si je n'eusse craint d'arrêter tout court mes lecteurs. Car, qui pourrait tenir à ce style: Un exécrable forfait avait privé la France d'un de ses meil

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