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PROCÈS

DE PAUL-LOUIS COURIER.

ASSEZ de gens connaissent la brochure intitulée : Simple discours. Lorsqu'elle parut on la lut; et déjà on n'y pensait plus, quand le gouvernement s'avisa de réveiller l'attention publique sur cette bagatelle oubliée, en persécutant son auteur qui vivait aux champs loin de Paris. Le pauvre homme étant à labourer un jour, reçut un long papier signé Jaquinot Pampelune, dans lequel on l'accusait d'avoir offensé la morale publique, en disant que la cour autrefois ne vivait pas exemplairement; d'avoir en même temps offensé la personne du Roi, et de ce non content, provoqué à offenser ladite personne. A raison de quoi Jaquinot proposait de le mettre en prison et et l'y retenir douze années, savoir: deux ans pour la morale, cinq ans pour la personne du Roi, et cinq pour la provocation. Si jamais homme tomba des nues, ce fut Paul-Louis à la lecture de ce papier timbré. Il quitte ses boeufs, sa charrue, et s'en vient courant à Paris, où il trouva tous ses amis non moins surpris de la colère de ce monsieur de Pampelune, et en grand émoi la plupart. Il n'alla point voir Jaquinot, comme lui conseillaient quelques-uns, ni le substitut

de Jaquinot qu'on lui recommandait de voir aussi, ni le président, ni les juges, ni leurs suppléants, ni leurs clercs, non qu'il ne les crût honnêtes gens et de fort bonne compagnie, mais c'est qu'il n'avait point envie de nouvelles connaissances. Il se tint coi; il attendit, et bientôt il sut que Jaquinot ayant dû premièrement faire approuver son accusation par un tribunal, ne sais lequel, les juges lui avaient rayé l'offense à la personne du Roi et la provocation d'ofense. C'était le meilleur et le plus beau de son paier réquisitoire; chose fàcheuse pour Pampelune ; bonne affaire pour Paul-Louis, qui en eut la joie qu'on peut croire, se voyant acquitté par là de dix ans de prison sur douze, et néanmoins encore inquiet de ces deux qui restaient, se fut accomodé à un an avec Jaquinot pour n'en entendre plus parler, s'il n'éût trouvé Maître Berville, jeune avocat déjà célèbre, qui lui défendit de transiger, se faisant fort de le tirer de là. Votre cause, lui disait-il, est imperdable de tout point; il n'y en cût jamais de pareille, et je défie M. Réglet de faire un jury qui vous condamne. Où M. Réglet trouvera-t-il douze individus qui déclarent que vous offensez la morale en copiant les prédicateurs? que vous corrompez les mœurs publiques en blâmant les mœurs corrompues et la dépravation des cours? Réglet n'aura jamais douze hommes qui fasse cette déclaration, qui se chargent de cette opprobre. Allez, bonhomme, laissez-moi faire, et si l'on vous condamne, je me mets en prison pour vous.

Paul-Louis toutefois doutait un peu. Maître Ber

ville, se disait-il, est dans l'âge où l'on s'imagine que le bon sens et l'équité ont quelque part aux affaires du monde, où l'on ne saurait croire encore

Les hommes assez vils, scélérats et pervers

Pour faire une injustice aux yeux de l'univers (1).

Or, comme dans cette opinion qu'il a du monde en général, il se trompe visiblement, il pourrait bien se tromper aussi dans son opinion sur le cas particulier dont il s'agit. Ainsi raisonnait Paul-Louis, et cependant écoutait le jeune homme bien disant, auquel à la fin il s'en remet, lui confiant sa cause imperdable. Il la perdit, comme on va voir; il fut condamné tout d'une voix, déclaré coupable du fait et des circonstances par les jurés, choisis, triés, tous gens de bien, propriétaires, ayant, dit-on, pignon sur rue, et de probité non suspecte. Mais, par la clémence des juges, il n'a que pour deux mois de prison cela est un peu différent des douze ans de maître Jaquinot, qui, à ce que l'on dit, en est piqué au vif, et promet de s'en venger sur le premier auteur, ayant quelque talent, qui lui tombera entre les mains. De fait, pour un écrit tel que le Simple discours, goûté aussi généralement et approuvé de tout le monde, on ne pouvait guères en être quitte à meilleur marché aujourd'hui.

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Ce fut le 28 août dernier, au lieu ordinaire des séances de la Cour d'assises, que, la cause appelée, comme on dit au barreau, l'accusé comparut. La

(1) Molière.

salle était pleine. On jugea d'abord un jeune homme
qui avait fait quelques sottises, à ce qu'il paraissait
du moins, ayant perdu tout son argent dans une mai-
son privilégiée du Gouvernement, avec des femmes
protégées, taxées par le Gouvernement, après quoi
le Gouvernement accusa Paul-Louis, vigneron, d'of-
fense à la morale publique, pour avoir écrit un dis-
cours contre la débauche. Mais il faut conter tout par
ordre. On lut l'acte d'accusation, puis le président
prit la parole et interrogea Paul-Louis.
Le président. Votre nom?

Courier. Paul-Louis Courier.
Le président. Votre état ?
Courier. Vigneron.

Le président. Votre âge?
Courier. Quarante-neuf ans.

Le président. Comment avez-vous pu dire que la noblesse ne devait sa grandeur et son illustration qu'à l'assassinat, la débauche, la prostitution?

Courier. Voici ce que j'ai dit: Il n'y a pour les nobles qu'un moyen de fortune, et de même pour tous ceux qui ne veulent rien faire : ce moyen, c'est la prostitution. La cour l'appelle galanterie. J'ai voulu me servir du mot propre, et nommer la chose par son nom.

Le président. Jamais le mot de galanterie n'a eu cette signification. Au reste, si l'histoire a fait quelques reproches à des familles nobles, ils peuvent également s'appliquer aux familles qui n'étaient pas nobles.

Courier. Qu'appelez-vous reproches, M. le président? Tous les Mémoires du temps vantent cette

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