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m'entendez. Les femmes ont fait les grandes maisons; ce n'est pas, comme vous croyez bien, en cousant les chemises de leurs époux, ni en allaitant leurs enfants. Ce que nous appelons, nous autres honnête femme, mère de famille, à quoi nous attachons tant de prix, trésor pour nous, serait la ruine du courtisan. Que voudriez-vous qu'il fit d'une dame honesta, sans amants, sans intrigues, qui, sous prétexte de vertu, claquemurée dans son ménage, s'attacherait à son mari? Le pauvre homme verrait pleuvoir les grâces autour de lui, et n'attraperait jamais rien. De la fortune des familles nobles il en paraît bien d'autres causes, telles que le pillage, les concussions, l'assassinat, les proscriptions, et surtout les confiscations. Mais qu'on y regarde, on verra qu'aucun de ces moyens n'eût pu être mis en œuvre sans la faveur d'un grand, obtenue par quelque femme. Car, pour piller, il faut avoir commandements, gouvernements, qui ne s'obtiennent que par les femmes ; et ce n'était pas tout d'assassiner Jacques Coeur ou le marchéchal d'Ancre, il fallait, pour avoir leurs biens, le bon plaisir, l'agrément du roi, c'est-à-dire, des femmes qui gouvernaient alors le roi ou son ministre. Les dépouilles des huguenots, des frondeurs, des traitants, autres faveurs, bienfaits qui coulaient, se répandaient par les mêmes canaux aussi purs que la source. Bref, comme il n'est, ne fut, ni ne sera jamais, pour nous autres vilains, qu'un moyen de fortune, c'est le travail; pour la noblesse non plus il n'y en a qu'un, et c'est.......、 la prostitution, puisqu'il faut, mes amis, l'appeler par son nom. Le vilain s'en aide par fois, quand il

se fait homme de cour, mais non avec tant de succès.

C'en est assez sur cette matière, et trop peut-être. Ne dites mot de tout cela dans vos familles ; ce ne sont pas des contes à faire à la veillée, devant vos enfants. Histoires de cour et de courtisans, mauvais récits pour la jeunesse, qui ne doit pas de nous apprendre jusqu'à quel point on peut mal vivre, ni même soupçonner au monde de pareilles mœurs. Voilà pourquoi je redoute une cour à Chambord. Qu'une fois ils entendent parler de cette honnête vie et d'un lieu, non loin d'ici, où l'on gagne gros à se divertir et ne rien faire, où, pour être riche à jamais, il ne faut que plaire un moment, chose que chacun croit facile, en n'épargnant aucun moyen ; à ces nouvelles, je vous demande qui les pourra tenir qu'ils n'aille d'abord voir ce que c'est, et, l'ayant vu, adieu parents, adieu le champ qui paie si mal un labeur sans fin, rendant quelques gerbes au bout de l'an pour tant de fatigues, de sueurs. On veut chaque mois toucher des gages, et non s'attendre à des moissons; on veut servir, non travailler. De là, mes amis, tout ce qu'engendre oisiveté, plus féconde encore quand elle est compagne de servitude. La cour, centre de corruption, étend partout son influence; il n'est nul qui ne s'en ressente; selon la distance où il se trouve. Les plus gâtés sont les plus proches; et nous que la bonté du ciel fit naître à cent lieues de cette fange, nous irions

à notre porte! A Dieu ne plaise!

payer pour l'avoir

C'est ce que me disait un bonhomme du pays de Chambord même, que je vis dernièrement à Blois ;

car, comme je lui demandai ce qu'on pensait chez lui de cette affaire, et que désiraient les habitants : Nous voudrions bien, me dit-il, avoir le prince, mais non la cour. Les princes, en général, sont bons, et si ce n'était ce qui les entoure, il y aurait plaisir à demeurer près d'eux ; ce seraient les voisins du monde les meilleurs; charitables, humains, secourables à tous, exempts des vices et des passions que produit l'envie de parvenir, comme ils n'ont point de fortune à faire. J'entends les princes qui sont nés princes; quant aux autres, sans eux eût-on jamais deviné jusqu'où peut aller l'insolence? Nous en pouvons parler, habitants de Chambord. Mais ces princes enfin, quels qu'ils soient, d'ancienne ou de nouvelle date, par la grâce de Dieu ou de quelqu'un, affables ou brutaux, nous ne les voyons guères; nous voyons leurs valets, gentilshommes ou vilains, les uns pires que les autres; leurs carrosses nous écrasent et leur gibier nous dévore. De tout temps le gibier nous fit la guerre. Une seule fois il fut vaincu, en mil sept cent quatre-vingt-neuf: nous le mangeâmes à notre tour. Maîtres alors de nos héritages, nous commençions à semer pour nous, quand le héros parut et fit venir de l'Allemagne des parents ou alliés de nos ennemis morts dans la campagne de quatre-vingtneuf. Vingt couples de cerfs arrivèrent, destinés à repeupler les bois et ravager les champs pour le plaisir d'un homme, et la guerre ainsi rallumée continue. Depuis lors, nous sommes sur le qui vive, menacés chaque jour d'une nouvelle invasion des bêtes fauves, ayant à leur tête Marcellus ou Marcassus, Paris en saura des nouvelles, et devrait y penser au

moins autant que nous. Paris fut bloqué huit cents ans par les bêtes fauves, et sa banlieu, si riche, si féconde aujourd'hui, ne produisait pas de quoi nourrir les gardes de chasse. Pour moi, je vous l'avoue, en de pareilles circonstances, songeant à tout cela, considérant mûrement, rappelant à ma mémoire ce que j'ai vu dans mon jeune âge, et qu'on parle de rétablir, je fais des veux pour la bande noire, qui, selon moi, vaut bien la bande blanche, servant mieux l'état et le roi. Je prie Dieu qu'elle achète Chambord.

En effet, qu'elle l'achète six millions; c'est le moins à cinq cents francs l'arpent: tel arpent de la futaie vaut dix fois plus; que le tout soit revendu huit millions à trois ou quatre mille familles, comme nous avons vu dépecer tant de terres ici, et ailleurs. Je trouve à cela beaucoup et de grands avantages pour le public et pour un nombre infini de particuliers. Premièrement, acheteurs et vendeurs s'enrichissent, travaillent, cultivent au profit de tous et de chacun. L'état, le trésor, ou le roi, ou enfin qui vous voudrez, reçoit, tant en impôts que droits de mutation, la valeur du fonds en vingt ans, huit millions; c'est par an quatre cent mille francs qu'on diminuera du budget, quand le budget se pourra diminuer; nous, voisins de Chambord, nous y gagnons sur tous. Plus de gibier qui détruise nos blés, plus de gardes qui nous tourmentent, plus de valetaille près de nous, fainéante, corrompue, corruptrice, insolente; au lieu de tout cela, une colonie heureuse, active, laborieuse, dont l'exemple autant que les travaux nous profiteront pour bien vivre; colonie qui ne coûte rien, ni trans

port, ni expédition, ni flotte, ni garnison; point de frais d'état-major ni de gouvernement; point de permission ni de protection à obtenir de l'Angleterre;; c'est autre chose que le Sénégal. Et de fait, remarquez, me dit-il, que l'on envoie ici des missionnaires chez nous, et en Afrique des gens qui ont besoin de terre; double erreur: En Afrique, il faut des missionnaires; en France des colonies. Là doivent aller ces bons pères, où ils auront à convertir païens, musulmans, idolâtres; ici doivent rester les colons, où il y a tant à défricher, et où les domaines de la couronne sont encore tels que les trouva le roi Pharamond.

Cette pensée me plut; mais les gens de Chambord, comme vous voyez, ont peu d'envie de faire partie d'un apanage, croyant peut-être qu'il vaut mieux être à soi qu'au meilleur des princes, a part l'intérêt que chacun y peut avoir personnellement ; car il n'en est pas un, je crois, qui n'achetât plus volontiers pour lui-même un morceau de Chambord que le tout pour les courtisans; ils aiment mieux d'ailleurs pour voisins de bons paysans comme eux, laboureurs, petits propriétaires, qu'un grand, un protecteur, un prince; et en tant qu'il nous touche, je suis de cet avis. Je prie Dieu pour la bande noire, qui, d'elle-même, doit avoir Dieu favorable, car elle aide à l'accomplissement de sa parole. Dieu dit : Croissez, multipliez, remplissez la terre, c'est-àdire, cultivez-la bien; car, sans cela, comment peupler? et la partagez; sans cela, comment cultiver ? Or, c'est à faire ce partage d'accord, amiablement,

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