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avait alors que les honnêtes gens, c'est-à-dire les gens présentés; c'était-là le monde, tout le monde, et le monde était heureux. Faites ainsi, mon maître, vous serez adoré comme ce bon empereur; la cour vous bénira, les poètes vous loueront, et la postérité en croira les poètes. Voilà les éléments d'histoire qu'on enseignait alors aux princes. Peu de mention d'ailleurs de ces rois tels que Louis XII et Henri IV, en leur temps, maudits de la cour, pour n'avoir su donner comme d'autres faisaient si généreusement, si magnifiquement, avec choix néanmoins. Donner au riche, aider le fort, c'est la maxime du bon temps, de ce bon temps qui va revenir tout à l'heure, sans aucun doute, à moins que jeunesse ne grandisse et vieillesse périsse.

Mais la jeunesse croît chez nous et voit croître avec elle ses princes; je dis avec elle, et je m'entends. Nos enfants, plus heureux que nous, vont connaître leurs princes élevés avec eux, et en seront connus. Déjà voilà le fils aîné du duc d'Orléans, je sais cela de bonne part et vous le garantis plus sûr que si les gazettes le disaient, voilà le duc de Chatres au collége, à Paris. Chose assez simple, direz-vous, s'il est en âge d'étudier; simple sans doute, mais nouvelle pour les personnes de ce rang. On n'a point encore vu de prince au collége; celui-ci, depuis qu'il y a des colléges et des princes, est le premier qu'on ait élevé de la sorte, et qui profite du bienfait de l'instruction publique et commune; et de tant de nouveautés écloses de nos jours, ce n'est pas la moins faite pour surprendre. Un prince étudier, aller en classe! un prince avoir des camarades! Les princes jusqu'ici

ont eu des serviteurs, et jamais d'autre école que celle de l'adversité, dont les rudes leçons étaient perdues souvent. Isolés à tout âge, loin de toute vérité, ignorant les choses et les hommes, ils naissaient ils mouraient dans les liens de l'étiquette et du cérémonial, n'ayant vu que le fard et les fausses couleurs étalées devant eux; ils marchaient sur nos têtes, et ne nous apercevaient que quand par hasard ils tombaient. Aujourd'hui, connaissant l'erreur qui les séparait des nations, comme si la clef d'une voûte, pour user de cette comparaison, pouvait en être hors et ne tenir à rien, ils veulent voir des hommes, savoir ce que l'on sait, et n'avoir plus besoin de malheurs pour s'instruire, tardive résolution, qui, plus tôt prise, leur eût épargné combien de fautes, et à nous combien de maux ! Le duc de Chartres au collége, élevé chrétiennement et monarchiquement, mais je pense, aussi un peu constitutionnellement, aura bientôt appris ce qu'à notre grand dommage ignoraient ses aïeux, et ce n'est pas le latin que je veux dire, mais ces simples notions de vérités communes que la cour tait aux princes, et qui les garderaient de faillir à nos dépens. Jamais de dragonnades ni de Saint-Barthélemy, quand les rois, élevés au milieu de leurs peuples parleront la même langue, s'entendront avec eux sans truchement ni intermédiaire; de jacquerie non plus, de ligues, de barricades. L'exemple ainsi donné par le jeune duc de Chartres aux héritiers des trônes, ils en profiteront sans doute. Exemple heureux autant qu'il est nouveau! que de changements il a fallu, de bouleversements, mais aussi que d'amendements dans le monde pour amener là cet en

fant! Et que dirait le grand roi, le roi des honnêtes gens, Louis-le-Superbe, qui ne put souffrir, confondus avec la noblesse du royaume, ses bâtards même, ses bâtards! tant il redoutait d'avilir la moindre parcelle de son sang! Que dirait ce parangon de l'orgueil monarchique, s'il voyait aux écoles, avec tous les enfants de la race sujette, un de ses arrière-neveux, sans pages ni jésuites, suivre des exercices et disputer des prix, tantôt vainqueur, tantôt vaincu; jamais, dit-on, favorisé ni flatté en aucune sorte, chose admirable au collége même (car où n'entre pas cette peste de l'adulation), croyable pourtant si l'on pense que la publicité des cours rend l'injustice difficile, qu'entre eux les écoliers usent peu de complaisance, peu volontiers cèdent l'honneur, non encore exercés aux feintes qu'ailleurs on nomme déférence, égards, ménagements, et qu'a produits l'horreur du vrai. Là, au contraire, tout se dit, toutes choses ont leur vrai nom et le même nom pour tous; là, tout est matière d'instruction, et les meilleures leçons ne sont pas celles des maîtres. Point d'abbé Dubois, point de Menins; personne qui dise au jeune prince: Tout est à vous, vous pouvez tout; il est l'heure que vous voulez. En un mot, c'est le bruit commun qu'on élève là le duc de Chartres comme tous les enfants de son âge; nulle distinction, nulle différence, et les fils de banquiers, de juges, de négociants, n'ont aucun avantage sur lui; mais il en aura lui beaucoup, sorti de là, sur tous ceux qui n'auront pas reçu cette éducation. Il n'est, vous le savez, meilleure éducation que celle des écoles publiques, ni pire que celle de la cour. Ah! si au lieu de Chambord pour le duc

de Bordeaux, on nous parlait de payer sa pension au collége (et plût à Dieu qu'il fût en âge que je l'y pusse voir de mes yeux), s'il était question de cela, de bon cœur j'y consentirais et voterais ce qu'on voudrait, dût-il m'en coûter ma meilleure coupe de sain-foin: il ne nous faudrait pas plaindre de cette dépense; il y va de tout pour nous. Un roi ainsi élevé ne nous regarderait pas comme sa propriété, jamais ne penserait nous tenir à cheptel de Dieu ni d'aucune puis

sance.

Mais à Chambord, qu'apprendra-t-il ? ce que peuvent enseigner et Chambord et la cour. Là, tout est plein de ses aïeux. Pour cela précisément je ne l'y trouve pas bien, et j'aimerais mieux qu'il vécut avec nous qu'avec ses ancêtres. Là il verra partout les chiffres d'une Diane, d'une Châteaubriant, dont les noms souillent encore ces parois infectés jadis de leur présence. Lés interprètes, pour expliquer de pareils emblêmes, ne lui manqueront pas, on peut le croire; et quelles instructions pour un adolescent destiné à régner! Ici, Louis, le modèle des rois, vivait (c'est le mot à la cour) avec la femme Montespan, avec la fille Lavalière, avec toutes les femmes et les filles que son bon plaisir fut d'ôter à leurs maris, à leurs parents. C'était le temps alors des mœurs, de la religion; et il communiait tous les jours. Par cette porte entrait sa maîtresse le soir, et le matin son confesseur. Là, Henri faisait pénitence entre ses mignons et ses moines; mœurs et religion du bon temps! Voici l'endroit où vint une fille éplorée demander la vie de son père, et l'obtint (à quel prix!) de François, qui, là, mourut de ses bonnes moeurs. En cette cham

bre, un autre Louis....; en celle-ci, Philippe.... sa fille...... oh mœurs! oh religion! perdues depuis que chacun travaille et vit avec sa femme et ses enfants. Chevalerie, cagoterie, qu'êtes-vous devenues? Que de souvenirs à conserver dans ce monument, où tout rcspire l'innocence des temps monarchiques! et quel dommage c'eût été d'abandonner à l'industrie ce temple des vieilles mœurs, de la vieille galanterie (autre mot de cour qui ne se peut honnêtement traduire), de laisser s'établir des familles laborieuses et d'ignobles ménages sous ces lambris témoins de tant d'illustres débauches! Voilà ce que dira Chambord au jeune prince, logé là d'allieurs comme l'était le roi François Ier, et comme aucun de nous ne voudrait l'être. Dieu préserve tout honnête homme de jamais habiter une maison bâtie par le Primaticcio. Les demeures de nos pères ne nous conviennent non plus aujourd'hui que leurs lois, et comme nous valons mieux qu'eux, à tous égards, sans nous vanter trop, ce me semble, et à n'en juger seulement que par la conduite des princes, qui n'étaient pas, je erois, pires que leurs sujets; vivant mieux de toute manière, nous voulons être et sommes en effet mieux logés.

Que si l'acquisition de Chambord ne vaut rien pour celui à qui on le donne, je vous laisse à penser pour nous qui le payons. J'y vois plus d'un mal, dont le moindre n'est pas le voisinage de la cour. La cour, à six lieues de nous, ne me plaît point. Rendons aux grands ce qui leur est dû; mais tenons-nous en loin le plus que nous pourrons, et ne nous approchant jamais d'eux, tâchons qu'ils ne s'approchent point de nous, parce qu'ils peuvent nous faire du mal et ne

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