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de son éloge; mais ce que j'en ai dit est loin d'égaler ce que je laisse à dire à d'autres. Car, sans parler de tant de connaissances utiles ou agréables, dont nous serions encore privés, sans la guerre entreprise pour elle, on peut dire que nous lui devons de n'être pas aujourd'hui assujettis aux barbares. Ce fut par elle, en effet, que la Grèce apprit à unir toutes ses forces contre eux, et l'Europe lui doit le premier triomphe qu'elle ait obtenu sur l'Asie, triomphe qui fut l'époque d'un changement total dans le sort de la Grèce. Car nous étions depuis long-temps accoutumés à voir nos villes commandées par ceux d'entre les barbares que la fortune réduisait à fuir leur propre pays. C'est ainsi que Danaüs était sorti de l'Égypte pour venir gouverner Argos; que Cadmus, né à Sidon, avait régné sur les Thébains; que les Cariens bannis s'étaient emparé des îles, et la postérité de Tantale, de tout le Péloponèse. Mais après avoir détruit Troye, la Grèce reprit bientôt une telle supériorité, qu'elle soumit, à son tour, jusque dans le cœur de l'Asie, des villes et des provinces.

>> Ceux donc qui voudront entreprendre d'ajouter à l'éloge d'Hélène de nouveaux ornements, trouveront assez, dans de semblables considérations, de quoi composer à sa louange des discours fleuris. >>

AVERTISSEMENT

SUR LA LETTRE A M. RENOUARD.

(Pour l'intelligence de ce qui suit, il faut premièrement savoir que Paul-Louis, auteur de cette lettre, ayant découvert à Florence, chez les moines du mont Cassin, un manuscrit complet des Pastorales de Longus, jusque-là mutilées dans tous les imprimés, se préparait à publier le texte grec et une traduction de ce joli ouvrage, quand il reçut la permission de dédier le tout à la Princesse: ainsi appelait-on en Toscane la sœur de Bonaparte, Elisa. Cette permission, annoncée par le préfet même de Florence, et devant beaucoup de gens, à Paul-Louis, le surprit. Il ne s'attendait à rien moins, et refusa d'en profiter, disant pour raison que le public se moquait toujours de ces dédicaces; mais l'excuse parut frivole: le public, en ce temps-là, n'était rien, et Paul-Louis passa pour un homme peu dévoué à la dynastie qui devait remplir tous les trônes. Le voilà noté philosophe, indépendant et pis encore, et mis hors de la protection du gouvernement. Aussitôt on l'attaque; les gazettes le dénoncent comme philosophe d'abord, puis comme voleur de grec. Un signor Puccini, chambellan italien de l'auguste Elisa, quelque peu clerc, écrit en France, en Allemagne; cette vertueuse princesse ellemême mande à Paris qu'un homme, ayant trouvé par hasard, déterré un morceau de grec précieux,

s'en était emparé pour le vendre aux Anglais. Cela voulait dire qu'il fallait fusiller l'homme et confisquer son grec, s'il y eût eu moyen; car déjà les savants étaient en possession du morceau déterré qui complétait Longus, de ce nouveau fragment en effet très-précieux, imprimé, distribué gratis avec la version de Paul-Louis.

Un autre Florentin, un professeur de grec appelé Furia, fort ignorant en grec et en toute langue, fâché de l'espèce de bruit que faisait cette découverte parmi les lettres d'Italie, met la main à la plume, comme feu Janotus, compose une brochure. Les brochures étaient rares sous le grand Napoléon: celle-ci fut lue de-là les monts, et même parvint à Paris. M. Renouard, libraire, accusé dans ce pamphlet de s'entendre avec Paul-Louis, pour dérober du dérober du grec aux moines, répondit seul; Paul-Louis pensait à autre chose.

Il parut aussi des estampes, dont une le représentait dans une bibliothèque, versant toute l'encre de son cornet sur un livre ouvert, et ce livre c'était le manuscrit de Longus. Car il y avait fait, en le copiant, comme il est expliqué dans l'écrit qu'on va lire, une tache, unique prétexte de la persécution et de tant de clameurs élevées contre lui. On criait qu'il avait voulu détruire le texte original, afin de posséder seul Longus. Une excellence à porte-feuille trouve ce raisonnement admirable, et sans en demander davantage, ordonne de saisir le grec et le français publiés par Paul-Louis à Rome et à Florence, et ce fut une chose plaisante; car de peur qu'il n'eût seul ce qu'il donnait à tout le monde, le vizir de la librai

rie, ne sachant ce que c'était que grec ni manuscrits, connaissant aussi peu Longus que son traducteur, d'abord avait écrit de suspendre la vente de l'œuvre, quelle qu'elle fût; puis apprenant qu'on ne vendait pas, mais qu'on donnait ce grec et ce français au petit nombre d'érudits amateurs de ces antiquités, il fit séquestrer tout, pour empêcher Paul-Louis de se l'approprier. Celui-ci ne s'en émut guère, et laissait sa Chloé dans les mains de la police, fort résolu à ne jamais faire nulle démarche pour l'en tirer; mais à la fin, il eut avis qu'on allait le saisir lui-même et l'arrêter: Cela le rendit attentif, et il commençait à réver aux moyens de sortir d'affaire, quand il fut mandé chez le préfet de Rome, où il était alors, pour donner des éclaircissements sur sa conduite, ses liaisons, son état, son bien, sa naissance et son pâté d'encre, le tout par ordre supérieur. Il écrivit à ce préfet, non sans humeur; voici sa lettre :

»

« Monsieur, j'ai négligé de répondre aux calom»nies publiées contre moi depuis environ un an, croyant que ces sottises feraient peu d'impression » sur les esprits sensés; mais puisque le ministre y » met de l'importance, et qu'enfin il faut m'expliquer » sur ce pitoyable sujet, je vais donner au public, de» vant lequel on m'accuse, ma justification aussi » claire et précise qu'il me sera possible. Vous rece» orez, Monsieur, le premier exemplaire de ce mé» moire très-succint, où son Excellence trouvera les renseignements qu'elle désire. »

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Le préfet répondit : « M.gardez-vous bien de rien pu» blier sur l'affaire dont il est question; vous vous » exposeriez beaucoup, et l'imprimeur qui vous pré

»terait son ministère ne serait pas moins compromis.

Il s'agissait d'un pâté d'encre, et remarquez, car il y a en toute histoire moralité, tout est matière d'instruction à qui veut réfléchir: admirez en ceci la doctrine du pouvoir; les calomnies s'impriment, mais la réponse, non. Chacun peut bien dire au public dans les pamphlets, dans les journaux, Paul-Louis est un voleur; mais il ne faut pas que celui-ci puisse parler au même public et montrer qu'il est honnête homme. Le ministre évoque l'affaire à son cabinet, où lui seul en décidera, et fera Paul-Louis honnête homme ou fripon, selon qu'il croira convenir au service de sa majesté, selon le bon plaisir de son altesse impériale madame Bacciocchi.

Paul-Louis, bien empêché, récrivit au préfet : Monsieur, j'ignorais qu'il fallût votre permission » pour imprimer mon petit mémoire justificatif; » mais puisqu'elle m'est nécessaire, je vous supplie » de me l'envoyer.» Il n'eut point de réponse et l'avait bien prévu. Heureusement il se souvint d'un pauvre diable d'imprimeur nommé Lino Contadini, qui demeurait près de la Sapience, n'imprimait que des almanachs, et devait être peu en règle avec la nouvelle censure. Il va le trouver et lui dit : Or sù, presto, sbrighiamola e si stampi questa cosa per l'excellentissimo signor prefetto di pulizia; c'est-à-dire : Vite, qu'on imprime ceci pour monseigneur excellentissime préfet de police (ou de propreté, car c'est le même mot en italien.) A quoi le bonhomme répondit : Padron mio riverito, come farò? Non capisco parola di francese; che vuol ella ch'io possa raccapezzar mai in questo benedetto straccio pieno di cossature?

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