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cune preuve, et ce n'est pas à moi de prouver cette négative, ce qui ne se peut humainement; c'est à ceux qui veulent m'oter l'usage de mon droit de faire voir que je l'ai perdu, sans quoi mon droit subsiste et ne peut m'être enlevé par la seule parole du préfet.

Un mot encore là-dessus, Messieurs. Je prouve mon domicile ici, non seulement par le fait de mon établissement héréditaire à Luynes, mais par une infinité d'actes, de citations, de jugements, acquisitions et ventes de propriétés foncières faites en différents temps par moi, dans ce département. Il faudrait, pour détruire ces preuves, m'opposer un acte formel d'élection de domicile ailleurs. Ce sont là des choses connues de tout le monde et de moi-même, qui ne sais rien en pareille matière.

Vous êtes bien surpris, Messieurs; ceux d'entre vous qui ont pu voir et connaître dans ce pays, mon père, ma mère et mon grand-père, et qui m'ont vu leur succéder; qui savent que non seulement j'ai conservé les biens de mon père dans ce département, mais qu'ailleurs je ne possède rien et ne puis être chez moi qu'ici, dans la maison de mon père, à Luynes, où je n'ai jamais cessé d'avoir, je ne dis pas mon principal, mais mon unique établissement, connu de tous ceux qui me connaissent; les personnes qui savent tout cela, penseront que ce qui m'arrive a quelque chose d'extraordinaire, et ne concevront sûrement pas qu'on puisse nier, parlant à vous, mon domicile parmi vous; car autant vaudrait, moi présent, nier mon existence. Oui, de pareilles chicanes sont extraordinaires. Cela est nouveau, surprenant, et je

pardonne à ceux qui refusent d'y ajouter foi, l'ayant seulement entendu dire. Voici cependant une chose encore plus, dirai-je incroyable? non, plus bizarre, plus singulière.

Quand je serais domicilié (comme il est clair que je ne le suis pas, puisque le maire l'assure au préfet) quand même je serais domicilié dans ce département, payant 1300 francs d'impôts, cela ne suffirait pas encore, il me faudrait, pour exercer mes droits d'électeur, prouver à M. le préfet et le convaincre, qui plus est, que je n'ai voté nulle part ailleurs, nulle part depuis quatre ans. Entendez bien ceci, Messieurs; je vais le répéter. Pour qu'on me laisse user de mes droits de citoyen dans ce département, il faut que je fasse voir clairement au préfet, par des documents positifs, par des preuves irrécusables, que je n'ai pas voté comme électeur à Lyon, que je n'ai pas voté à Rouen, point voté à Bordeaux, ni à Nantes, ni à Lille, ni.....; mais prenez la liste de tous les départements, c'est celle des preuves de non vote et de non exercice de mes droits que je dois fournir au préfet, sans compter que quand j'aurai prouvé que je n'ai point voté cette année, il me faudra faire la même preuve pour l'année passé, pour l'autre année, enfin pour toutes les années, tous les chefs-lieux de départements où j'ai pu voter depuis qu'on vote. Comprenez-vous maintenant, Messieurs? si vous refusez de m'en croire, lisez la circulaire imprimée du préfet, en date du 16 septembre, vous y trouverez ce paragraphe :

Dans le cas où vous n'auriez pas encore joui de vos droits d'électeur dans le département (c'est

Messieurs le cas où je me trouve), il est nécessaire que vous vouliez bien m'envoyer un acte qui constate que depuis quatre ans vous n'avez pas exercé ces droits dans un autre département.

Que vous en semble, Messieurs? Pour moi, lisant cela, je me crus déchu sans retour du droit que la Charte m'octroie, et sans pouvoir m'en plaindre, puisque c'était la loi. Ainsi l'avait réglé la loi que le préfet citait exactement. Car à ce même paragraphe, la circulaire ajoute : Comme le prescrit la loi du 5 février 1817. Le moyen, je vous prie, Messieurs, de fournir la preuve qu'on demandait? Comment démontrer au préfet, de manière à le satisfaire, que depuis quatre ans je n'ai voté dans aucun des 'quatrevingt-quatre départements qui, avec celui-ci composent toute la France. Il m'eût fallu pour cela, non un acte seulement, mais quatre-vingt-quatre actes d'autant de préfets aussi sincères et d'aussi bonne foi que celui de Tours; encore ne pourrais-je, avec toutes leurs attestations, montrer que je n'ai pas voté. Quelque absurde en soi que me parut la demande d'une telle preuve, de la preuve d'un fait négatif, je croyais bonnement, je l'avoue, cette demande autorisée par la loi qu'on me citait, et n'avais aucun doute sur cette allégation, tant je connaissais peu les ruses, les profondeurs..... J'admirais qu'il pût y avoir des lois si contraires au bon sens. Or, on me l'a fait voir cette loi où j'ai lu ce qui suit à l'art. cité :

<< Le domicile politique de tout Français est dans » le département où il a son domicile réel. Néan» moins il pourra le transférer dans tout autre dépar>>tement où il paiera des contributions directes, à la

» charge par lui d'en faire, six mois d'avance, une » déclaration expresse devant le préfet du départe»ment où il aura son domicile politique actuel, et » devant le préfet du département où il voudra le » le transférer.

» La translation du domicile réel ou politique ne >> donnera l'exercice du droit politique, relativement » à l'élection des députés, qu'à celui qui, dans les » quatre ans antérieurs, ne l'aura point exercé dans » un autre département. ›

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Tout cela paraît fort raisonnable, mais s'y trouverait-il un seul mot qui autorise le préfet à demander un acte tel que celui dont il est question dans la circulaire, et qui m'oblige à le produire ? il ne s'agit là d'autre chose que de translation de domicile, et l'on m'applique cet article à moi, cultivant l'héritage de mon père et de mon grand-père, et de cette application résulte la demande d'une preuve négative qu'aucune loi ne peut exiger.

Il faut cependant m'y résoudre et montrer à la préfecture que je n'ai voté nulle part. Sans cela je ne puis voter ici. Sans cela je perds mon droit, et le pis. de l'affaire, c'est que cela sera ma faute. La même circulaire le dit expressément et finit par ces mots :

de

J'ai lieu de croire que vous vous empresserez m'envoyer la pièce dont la loi réclame la remise (quoique la loi n'en dise rien), afin de ne pas vous priver de l'avantage de concourir à des choix utiles et honorables. On aurait droit de vous reprocher votre négligence, si vous en apportiez dans cette circon

stance.

Belle conclusion! Si je néglige de prouver que je

n'ai voté nul part, si je ne produis une pièce impossible à produire, je suis déchu de mon droit, et de plus ce sera ma faute. Ciel, donnez-nous patience! C'est-là ce qu'on appelle ici administrer, et ailleurs gouverner.

Je ne m'arrêterai pas davantage, Messieurs, à vous faire sentir le ridicule de ce qu'on exige de moi. La chose parle d'elle-même. Je n'ai vu personne qui ne fût choqué de l'absurdité de telles demandes, et afflige en même temps de la figure que font faire au gouvernement ceux qui emploient, en son nom, de si pitoyables finesses, en le servant, à ce qu'ils disent. Dieu nous préserve, vous et moi, d'être jamais servis de la sorte! Non, parmi tant d'individus qui dans les choses de cette nature diffèrent d'opinion presque tous, et desquels on peut dire avec juste raison, autant de têtes autant d'avis et de façons de voir toutes diverses, je n'en ai pas trouvé un seul qui pût rien comprendre aux prétextes dont on se sert pour m'écarter de l'assemblée électorale. Et par quelle raison veut-on m'en éloigner? Que craint-on de moi qui, depuis trente ans, ayant vu tant de pouvoirs nouveaux, tant de gouvernements se succéder, me suis accomodé à tous et n'en ai blâmé que les abus, partisan déclaré de tout ordre établi, de tout état de choses supportable, ami de tout gouvernement, sans rien demander à aucun? D'où peut venir, Messieurs, ce système d'exclusion dirigé contre moi, contre moi seul? car je ne crois pas qu'on ait fait à personne les mêmes difficultés, et j'ai lieu de penser que des lettres imprimées, et en apparence adressées à tous les électeurs de ce département, ont été composées pour

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