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A MESSIEURS

DU CONSEIL DE PRÉFECTURE A TOURS.

MESSIEURS,

JE paie dans ce département 1314 francs d'impôts, et ne puis obtenir d'être inscrit sur la liste des électeurs. A la préfecture, on me dit que mon domicile est à Paris, que je ne dois pas voter ici, et on me renvoie à l'art. 104 du Code civil, ainsi conçu :

Le domicile est au lieu du principal établisse

» ment.

« Le changement de domicile s'opérera par le fait » d'une habitation réelle dans un autre lieu, joint à » l'intention d'y fixer son principal établissement.

>> La preuve de l'intention résultera d'une déclara>>tion expresse faite tant à la municipalité du lieu que » l'on quittera, qu'à celle du lieu où l'on aura trans» féré son domicile. >>

Cette déclaration, je ne l'ai faite nulle part, ni à Paris, ni ailleurs; mon principal établissement est la maison de mon père, à Luynes; là est le champ que je cultive, et dont je vis avec ma famille ; là mon toît paternel, la cendre de mes pères, l'héritage qu'ils m'ont transmis, et que je n'ai quitté que quand il a fallu le défendre à la frontière. N'ayant rempli, en aucun lieu, aucune des formalités qui constituent,

suivant la loi, le changement de domicile, je suis, à cet égard, comme si jamais je n'eusse bougé de ma maison de Luynes. C'est l'opinion des gens de loi que j'ai consultés là-dessus, et j'en ai consulté plusieurs qui, de contraire avis en tout le reste (car ils suivent différents partis dans nos malheureuses dissensions), sur ce point seul n'ont qu'une voix. En résumé, voici ce qu'ils disent.

Mon domicile de droit est, selon le Code, à Luy-nes. Mon domicile de fait à Véretz, où j'ai, depuis deux ans, maisons, femme et enfants. Ces deux communes étant dans le même arrondissement du département d'Indre-et-Loire, mon domicile est de toute façon, dans ce département, où je dois voter comme électeur. Si je nommais les jurisconsultes de qui je tiens cette décision, vous seriez étonnés, Messieurs, vous admireriez, j'en suis sûr, qu'entre des hommes de sentiments si opposés, surtout en matière d'élections, il ait pu se trouver un point sur lequel tous fussent d'accord, et c'est ce qui donne d'autant plus de poids à leur avis.

Mais que dire après cela d'une note qu'on me produit comme pièce convaincante, et d'une autorité irréfragable, décisive? Cette note du maire de Véretz, adressée au préfet de Tours, porte en termes clairs et précis Courrier, propriétaire domicilié à Paris. Dans ce peu de mots, je trouve, Messieurs, deux choses à remarquer l'une que le maire de Véretz qui me voit depuis deux ans établi à sa porte, dans cette commune dont il est le premier magistrat, et où lui-même m'a adressé des citations à domicile, ne veut pas néanmoins que j'y sois domicilié. L'autre

:

chose fort remarquable, est qu'en même temps il me déclare domicilié à Paris. Le préfet prenant acte de cette déclaration, part de là. Mon affaire est faite, ou la sienne peut-être, j'entends celle du préfet. Il refuse, quelque réclamation que je puisse lui adresser, de m'admettre au rang des électeurs, et me voilà déchu de mon droit.

Que signifie cependant cette assertion du maire? sur quoi l'a-t-il fondé? il pouvait nier mon domicile dans la commune de Véretz, si je n'en avait fait aucune déclaration légale. Mais avancer et affirmer que mon domicile est à Paris, où je n'ai pas une chambre, pas un meuble, c'est être un peu hardi, ce me semble. De quelque part qu'aient pu lui venir ces instructions, fut-ce même de Paris, il est mal informé. Aussi mal informé est le préfet, qui, sur ce point, eût mieux fait de s'en rapporter à la notoriété publique, recommandée par les ministres comme un bon moyen de compléter les listes électorales. Cette notoriété lui eût appris d'abord que nul n'est mieux que moi établi et domicilié dans ce département, et que je n'eus de ma vie domicile à Paris, non plus qu'à Vienne, à Rome, à Naples et dans les autres capitales, où tour à tour me conduisirent les chances de la guerre et l'étude des arts, et où j'ai résidé plus long-temps qu'à Paris, sans perdre pour cela mon domicile au lieu de mon unique établissement dans le département d'Indre et Loire.

Certes, quand je bivouaquais sur les bords du Danube, mon domicile n'était pas là. Quand je retrouvais, dans la poussière des bibliothèques d'Italie, les chefs-d'œuvres perdu de l'antiquité grecque, je n'é

tais pas à demeure dans ces bibliothèques. Et depuis, lorsque seul, au temps de 1815, je rompis le silence de la France opprimée, j'étais bien à Paris, mais non domicilié. Mon domicile était à Luynes, dans le pays malheureux alors dont j'osai prendre la défense.

Si je me présentais pour voter a Paris, où on me dit domicilié, le préfet de Paris, sans doute aussi scrupuleux que celui-ci, ne manquerait pas de me dire Vous êtes Tourangeau, allez voter à Tours. Vous n'avez point ici de domicile élu, votre établissement est à Luynes. Et si je contestais, il me présenterait une pièce imprimée, signée de moi, connue de tout le monde à Paris. C'est la pétition que j'adressais en 1816 aux deux Chambres, en faveur de la commune de Luynes, et qui commence par ces mots : Je suis Tourangeau, j'habite Luynes. Vous voyez bien, me dirait-il, que quand vous parliez de la sorte pour les habitans de Luynes, persécutés alors et traités en ennemis par les autorités de ce temps, vous vous regardiez comme ayant parmi eux votre domicile. Montrez-moi que depuis Vous avez transporté ce domicile à Paris, et je vous y laisse voter. Le préfet de Paris me tenant ce langage, aurait quelque raison. Les ministres l'approuveraient indubitablement, et le public ne pourrait le blâmer. Mais ici le cas est différent; j'en ai donné la preuve et n'ai pas besoin d'y revenir. J'y ajouterai seulement que, pour m'ôter mon domicile et le droit de voter dans ce département où est mon manoir paternel, il faudrait me prouver que j'ai fait élection de domicile ailleurs, et non le dire simplement; au lieu que ma négative suffit quand on n'y oppose au

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