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quer à ce qu'ils vous ont promis, d'oublier ce qu'ils vous doivent. J'entends par-là, seulement, qu'ils s'abusent et vous trompent avec le zèle le plus pur pour vos excellences étrangères. Venez, il y fait bon; accourez, vous disent-ils. Cette nation est lâche. Ce ne sont plus ces Français, la terreur de l'Europe, l'admiration du monde. Ils furent grands, fiers, généreux. Mais domptés aujourd'hui, abattus, mutilés, bistournés par Napoléon, ils se laissent ferrer et monter à tous venants; il n'est bât qu'ils refusent, coups dont ils se ressentent, ni joug trop humiliant pour eux. Quand d'abord nous revinmes derrière vous dans ce pays, nous les appréhendions; ce nom, cette gloire, nous en imposaient, et long-temps nous n'osâmes les regarder en face. Mais à présent nous les bravons, chaque jour nous les insultons, et non seulement ils le souffrent, mais, le croiriez-vous, ils nous craignent; nous, que vous avez vus dans l'opprobre, la fange, rebutés partout, signalés parmi les espions, les escrocs, à toutes les polices de l'Europe, nous sommes ici l'épouvantail de ceux qui vous firent trembler, et c'est de nous qu'on les menace lorsqu'on veut qu'ils obéissent. Venez donc, accourez; butin sûr, proie facile et tributs vous attendent, ou ne bougez; fiez-vous à nous. Avec sept hommes, nous nous chargeons de tondre et d'écorcher le Français pour votre compte, moyennant part dans la dépouille, et récompense, comme de raison.

Voilà ce qu'ils vous mandent par M. de Maulonzier. Gardez-vous de les croire, puissances étrangères, ne les écoutez mi, car ils vous mèneraient loin. Leurs notes ne sont pas mot d'Évangile. Demandez à

Foucher ce qu'il en pense, et combien de fois luimême a été pris pour dupe, lorsqu'il croyait, par leur moyen, en attraper d'autres. Il faut l'avouer néanmoins, il y a du vrai dans ce qu'ils vous disent. Nous souffrons des choses....., des gens..... Quinze ans de galère, tranchons le mot, ont abaissé notre humeur fière et sont cause que nous endurons vos correspondants; ce qui a bon droit les étonne. Cependant, par bonheur, échappés du bagne de Napoléon, nous avons des hommes encore, et ne sommes pas sans quelque vigueur; témoin tant de machines qu'on emploie pour nous empêcher de faire acte de virilité, à quoi même on ne réussit pas. Préfets, télégraphes, gendarmes, censure, loi des suspects, rien n'y sert; missionnaires, jésuites, aumôniers y perdent leur peu de latin; et on a beau prêcher, menacer, caresser, promettre, destituer, dès qu'il s'agit d'élire, les choix tombent sur des hommes. Soit hasard ou malice, en voilà cent quinze de compte fait dans une seule chambre où il y en aurait bien plus, n'était ce qui s'y introduit de la cour et des antichambres ministérielles. Anglais, dont on nous vante ici l'esprit public, ayant fait ce mot, vous avez la chose sans doute; mais, en bonne foi, croyez-vous vos ministres fort empêchés à écarter de leur chemin les citoyens incorruptibles, à se débarrasser de ces gens que rien ne peut gagner, qui ne composent point, ne connaissent que leur mandat, et ne voient de bien pour eux que dans le bien commun de tous, préférant l'estime publique aux places offertes ou acquises, au rang, aux honneurs, à l'argent, et, que sert de le dire? à la vie, moins chère, moins nécessaire aux

hommes, sans quoi les verrait-on en faire si bon marché? Aurions-nous vu, dans le cours de nos révolutions, tant d'âmes à l'épreuve du péril, si peu à l'épreuve de l'or et des distinctions, et souvent le plus brave soldat être le plus lâche courtisan, s'il n'était vrai qu'on aime les biens et les honneurs plus que la vie? Celui qui meurt pour son pays, fait moins que celui qui refuse de gouverner contre les lois. Or, de telles gens nous en avons; nous avons de ces hommes qui savent rendre un portefeuille, mépriser une préfecture, une direction de la Banque, et qui, avant de vous livrer, messieurs du congrès, cette terre, soit à vous, soit à vos féaux, y périront eux et bien d'autres: car tout le peuple est avec eux, non tel qu'on vous le dépeint, faible, abattu, timide. Cette nation n'est point avilie: par vous provoquée au combat, usant de la victoire, elle vous fit esclave et le fut avec vous, parce qu'autrement ne se peut. Insensé qui croit asservir et te dispenser d'obéir: mais, rompue la chaîne commune, il vous en reste plus qu'à nous.

Ne vous hâtez donc point, n'accourez pas si vite, ne cédez pas sitôt aux voeux qui vous appellent, et ne croyez point trop aux promesses qu'on vous fait, de peur, en arrivant, de trouver du mécompte; car voici, en peu de mots, comment vous serez reçus, si vous venez ici au secours du parti habile, fort et nombreux.

Les missionnaires prêcheront pour vous; les religieuses du Sacré-Cœur prieront Dieu, non de vous convertir, mais de vous amener à Paris, et lèveront au ciel leurs innocentes mains en faveur des Pandours, supplieront en mauvais latin le Seigneur infi

niment miséricordieux d'exterminer la race impie, de livrer à la fureur du glaive les ennemis de son saint nom, c'est-à-dire ceux qui refusent la dîme, et d'écraser contre la pierre les têtes de leurs enfants. Mais malheureusement tout n'est pas moine chez

nous.

La nation (laissons-là cette classe élevée pour qui le général Foy a tant d'estime depuis qu'il ne la protége plus, poignée de fidèles toute à vous, qui ne peut se passer de vous et n'a de patrie qu'avec vous), la nation se divise en nobles et vilains: des nobles, les uns le sont par la grâce de Dieu, les autres par le bon plaisir de Napoléon. Lequel vaut mieux? on ne sait. Ce sont deux corps qui s'estiment, dit Foy, réciproquement, s'admirent et volontiers prennent des airs l'un de l'autre. La Tulippe, homme de cour, a quitté son briquet pour se faire talon rouge: c'est maintenant, on le peut dire, un cavalier parfait, rempli de savoir-vivre et de délicatesse; on n'a pas meilleur ton que monsieur ou monseigneur le comte de la Tulipe; et voilà Dorante hussard; depuis quand ? depuis la paix ; sentant la caserne, si ce n'est peut-être le bivouac. Sous le fardeau de deux énormes épaulettes, il jure comme Lanne, bat ses gens comme Junot; et, faute de blessures, il a des rhumatismes, fruit de la guerre, entendez-vous, de ses campagnes de Hyde-Park et de Bond-Street; éperonné, botté, prêt à monter à cheval, il attend le boute-selle. L'esprit de Bonaparte n'est pas à SainteHélène, il est ici dans les hautes classes. On rêve, non les conquêtes, mais la grande parade; on donne le mot d'ordre, on passe des revues, on est fort sa

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tisfait. Un grand ne va point p....r sans son état-major, et le p....... d. M..... couche en bonnet de police. La vieille garde cependant grasseie et porte des odeurs.

Telle est l'admiration qu'ont les uns pour les autres ces gens de deux régimes en apparence contraires. Ils s'imitent, se copient. Ni les uns ni les autres ne vous donneront d'embarras. Vous trouverez des manières dans l'ancienne noblesse, et dans la nouvelle des formes. Les seigneurs vous accueilleront avec cette grâce vraiment française et cette politesse chevaleresque, apanage de la haute naissance. Nos aimables barons, formés sur le modèle d'Elleviou, vous enseigneront la belle tenue de l'état-major de Berthier et l'étiquette des maréchaux, sans oublier le dévouement, l'enthousiasme, le feu sacré. Tout ce qui est issu de race, ou destiné à faire race, s'accommode sans peine avec vous. Ces gens qui, tant de fois, ont juré de mourir; ces gens, toujours prêts à verser leur sang jusqu'à la dernière goutte pour un maître chéri, une famille auguste, une personne sacrée; ces gens, qui meurent et ne se rendent pas, sont de facile composition, et vous le savez bien.

Mais il y a chez nous une classe moins élevée, quoique mieux élevée, qui ne meurt pour personne et qui, sans dévouement, fait tout ce qui se fait, bâtit, cultive, fabrique, autant qu'il est permis; lit, médite, calcule, invente, perfectionne les arts, sait tout ce qu'on sait à présent et sait aussi se battre, si se battre est une science. Il n'est vilain qui n'en ait fait son apprentissage et qui là-dessus n'en remontre aux descendants des Duguesclin. Georges le labou

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