Page images
PDF
EPUB

Les bévues des ministres coûtent cher, il est vrai, mais non pas aux ministres. Mieux vaut tuer un marquis, disent les médecins, que guérir cent vilains, cela vaut mieux pour le médecin; pour les ministres non; mieux vaut tuer les vilans, et, selon leurs conséquences, les fautes changent de non. Contenter le public, s'en faire estimer est fort bien; il n'y a nul mal assurément, et Laffite a raison de se conduire comme il fait, parce qu'il a besoin, lui, de l'estime, de la confiance publique, étant homme de négoge, roturier, non pas duc. Mais le point, pour un ministre, c'est de rester ministre ; et pour cela, il faut savoir, non ce qui s'est fait à Lyon, mais ce qui s'est dit au lever, dont ne parlent pas les journaux. La presse étant libre, il n'y a point de conspirations, dites-vous, messieurs de gauche. Vraiment, on le sait bien. Mais, sans conspirations, comment sauver l'état, le trône, la monarchie? et que deviendraient les agens de sûreté, de surveillance? Comme le scandale est nécessaire pour la plus grande gloire de Dieu, aussi sont les conspirations pour le maintien de la haute police. Les faire naître, les étouffer, charger la mine, l'éventer, c'est le grand art du ministère; c'est le fort et le fin de la science des hommes d'état; c'est la politique transcendante chez nous, perfectionnée depuis peu par d'excellents hommes en ce genre, que l'Anglais jaloux veut imiter et contrefait, mais grossièrement. N'y ayant ni complots, ni machinations, ni ramifications, que voulez-vous qu'un ministre fasse de son génie et de son zèle pour la dynastie ? Quelle intrigue peut-on entamer avec espoir de la mener à bien, si tout est affiché le même jour? Quelle trame saurait

on mettre sur le métier ? les journaux apprennent aux ministres ce que le public dit, chose fort indifférente; ils apprennent au apprennent au public ce que les ministres font, chose fort intéressante; ou ce qu'ils veulent faire, encore meilleur à savoir. Il n'y a nulle parité; le profit est tout d'une part. Outre que les ministres, dès qu'on sait ce qu'ils veulent faire, aussitôt ne le veulent ou ne le peuvent plus faire. Politique connue, politique perdue; affaires d'état, seerets d'état, secrétaires d'état!..... Le secret, en un mot, est l'âme de la politique, et la publicité n'est bonne que pour le public.

Voilà une partie de ce qu'on eût pu répondre aux orateurs de gauche, admirables d'ailleurs dans tout ce qu'ils ont dit pour la défense de nos droits, et forts sur la logique autant qu'imperturbables sur la dialectique. Leurs discours seront des monuments de l'art de discuter, d'éclaircir la question, réfuter les sophismes, analyser, approfondir. Courage, mes amis, courage, les ministres se moquent de nous; mais nous raisonnons bien mieux qu'eux. Ils nous mettent en prison, et nous y consentons; mais nous les mettons dans leur tort, et ils y consentent aussi. Que cette poignée de protégés du général Foi nous lie, nous dépouille, nous égorge; il sera toujours vrai que nous les avons menés de la belle manière; nous leur avons bien dit leur fait, sagement toutefois, prudemment, décemment. La décence est de rigueur dans un gouvernement constitutionnel.

Mais ce qui m'étonne de ces harangues si belles dans le Moniteur, si bien déduites, si frappantes par le raisonnement, qu'il ne semble pas qu'on y puisse

répliquer un mot; ce qui me surprend, c'est de voir le peu d'effet qu'elles produisent sur les auditeurs. Nos Cicérons, avec toute leur éloquence, n'ont guèras persuadé que ceux qui, avant de les entendre, étaient de leur avis. Je sais la raison qu'on en donne: ventre n'a point d'oreilles, et il n'est pire sourd...... Vous dirai-je ma pensée? Ce sont d'habiles gens, sages et bien disants, orateurs, en un mot; mais ils ne savent pas faire usage de l'apostrophe, une des plus puissantes machines de la rhétorique, ou n'ont pas voulu s'en servir dans le cours de ces discussions, par civilité, je m'imagine, par ce même principe de décence, preuve de la bonne éducation qu'ils ont reçue de leurs parents: car l'apostrophe n'est pas polie; j'en demeure d'accord avec M. de Corday. Mais aussi trouvez-moi une tournure plus vive, plus animée, plus forte, plus propre à remuer une assemblée, à frapper le ministère, à étonner la droite, à émouvoir le ventre? L'apostrophe, Monsieur, l'apostrophe, c'est la mitraille de l'éloquence. Vous l'avez vu, quand Foy, artilleur de son métier..... Sans l'apostrophe, je vous défie d'ébranler une majorité lorsque son parti est bien pris. Essayez un peu d'employer, avec des gens qui ont dîné chez M. Pasquier, le syllogisme et l'enthymême. Je vous donne toutes les figures de Quintilien, tous les tropes de Dumarsais et et tout le sublime de Longin; allez attaquer avec cela un M. Poyféré de Cerre. Poussez à Marcassus, poussez à Marcellus la métaphore, l'antithèse, l'hypotypose, la catachrèse; polissez votre style et choisissez vos termes; à la force du sens unissez l'harmonie infuse dans vos périodes, pour charmer l'oreille d'un

préfet, ou porter le cœur d'un ministre à prendre pitié de son pays,

Vous serez étonné, quand vous serez au bout,

De ne leur avoir rien persuadé du tout.

Pas un seul ne vous écoutera; vous verrez la droite bâiller, le ministère se moucher, le ventre aller à ses affaires. Mais que Foy, dans ce moment de verve applaudi de toute la France, prélude une espèce d'apostrophe, sans autrement, peut-être, y penser: on dresse l'oreille aussitôt, l'alarme est au camp, les muets parlent, tout s'émeut; et s'il eût continué sur ce ton (mais il aima mieux rendre hommage aux classes élevées), s'il eût pu soutenir ce style, la scène changeait; M. Pasquier, surpris comme un fondeur de cloches, eût remis ses lois dans sa poche; et moi, petit propriétaire, ici je taillerais ma vigne sans crainte des honnêtes gens. O puissance de l'apostrophe!

C'est, comme vous savez, une figure au moyen de laquelle on a trouvé le secret de parler aux gens qui ne sont pas là, de lier conversation avec toute la nature, interroger au loin les morts et les vivants. Ou ma tous en Marathoni, s'écrie Démosthène en fureur. Cet ou ma tous est d'une grande force, et Foy l'eût pu traduire ainsi : Non, par les morts de Waterloo, qui tombèrent avec la patrie, non, par nos blessures d'Austerlitz et de Marengo, non jamais de tels misérables..... Vous concevez l'effet d'une pareille figure poussée jusqu'où elle peut aller, et dans la bouche d'un homme comme Foy; mais il aima mieux embrasser les auteurs des notes secrètes.

Moi, si j'eusse été là, (c'est mon fort que l'apostrophe, et je ne parle guères autrement; je ne dis jamais Nicole, apporte-moi mes pantoufles; mais je dis, ó mes pantoufles! et toi Nicole, et toi!.....) si j'cusse été là, député des classes inférieures de mon département, quand on proposa cette question de la liberté de la presse, j'aurais pris la parole ainsi :

Milord Castelreagh, mêlez-vous de vos affaires; pour Dieu, Herr Metternich, laissez-nous en repos; et vous, mein lieber Hardemberg, songez à bien cuire vos saur kraut.

Ou je me trompe, ou cette tournure eût fait effet sur l'assemblée, eût éveillé son attention, premier point pour persuader, premier précepte d'Aristote. Il faut se faire écouter, dit-il, et c'est à quoi n'ont pas pensé nos députés de gauche, à employer quelque moyen tel qu'en fournit l'art oratoire, pour avoir audience de l'assistance. Autre chose ne leur a manqué; car du langage, ils en avaient, et des raisons, ils l'ont fait voir, de l'invention et du débit, et avec tout cela n'ont su se faire écouter, faute de quoi? d'apostrophes, de ces vives apostrophes aux hommes et aux dieux, dans le goût des anciens. Sans laisser au ventre le temps de se rendormir, j'aurais continué de la sorte :

Eccellents ministres des hautes puissances étrangères, ne vous fiez point trop à vos amis de deçà. Ils vous en font accroire avec leurs notes secrètes; non que je les soupçonne de vouloir vous trahir. Ce sont d'honnêtes gens, fidèles, sur lesquels vous pouvez compter, dont les services vous sont acquis, et la reconnaissance assurée pour jamais, incapables de man

« PreviousContinue »