Page images
PDF
EPUB

entretenir des nymphes d'opéra, à l'insu de madame la comtesse. Cela sérait tout-à-fait dans le bel air de la cour, et vaudrait mieux pour nous que de le voir donner notre argent à des soldats qui communient et nous suicident dans les rues, qui escortent la procession et nous coupent le nez en passant; à des juges qui appliquent la loi si rudement aux uns, si doucement aux autres; à des prêtres qui ne nous enterrent que quand nous mourons à leur guise et en restituant. Il arriverait que bientôt, ne comptant plus sur ces gens-là, nous essaierions de nous en passer, de nous garder, de nous juger, de nous enterrer les uns les autres, et, en un besoin, de nous défendre nous-mêmes sans soldats; seul moyen, ce dit-on, d'être bien défendus, et tout en irait mieux. La cour passerait le temps gaiement, sans s'embarrasser de contenter les puissances étrangères. Voilà le conseil que je donne à M. Decazes, par la voie de votre journal. Mais M. Decazes ne vous lit point; il travaille avec Mademoiselle.

Au reste, il est bien vrai, Messieurs, et vous avez raison de le dire, que nous sommes un peuple religieux; et plus que jamais aujourd'hui. Nous gardons les commandements de Dieu bien mieux depuis qu'on nous prêche moins. Ne point voler, ne point tuer, ne convoiter la femme ni l'âne, honorer père et mère, nous pratiquons tout cela mieux que n'ont fait nos pères, et mieux que ne font actuellement, non tous nos prêtres, mais quelques uns revenus de lointain pays. Rarement à courir le monde devient-on plus homme de bien; mais un ecclésiastique, dans la vie vagabonde, prend d'étranges habitudes. Messire Jean

Chouart était bon homme, tout à son bréviaire, à ses ouailles; il était doux, humble de cœur, secourait l'indigent, confortait le dolent, assistait le mourant; il apaisait les querelles, pacifiait les familles : le voilà revenu d'Allemagne ou d'Angleterre, espèce de hussard en soutanc, dont le hardi regard fait rougir nos jeunes filles, et dont la langue sème le trouble et la discorde; hardi, querelleur, cherchant noise; c'est un drôle qui n'a pas peur, tout prêt à faire feu sur les bleus, au premi'r signe de son évêque. Tels sont nos prêtres de retour de l'émigration. Ils ont besoin de bons exemples et en trouveront parmi nous. Mais si nous sommes plus forts qu'eux sur les commandements de Dieu, ils nous en remontrent à leur tour sur les commandements de l'Église, qu'ils se rappellent mieux que nous, et dont le principal est, je crois, donner tout son bien pour le Ciel. Vous me demandez, disait ce bon prédicateur Barlette, comment on va en paradis ? les cloches du couvent vous le disent: donnez, donnez, donnez. Le latin du moine est joli. Vos quæritis a me, fratres carissimi, quomodo itur ad paradisum? hoc dicunt vobis campana monasterii, dando, dando, dando.

LETTRE VII.

Véretz, 20 décembre 1819.

[ocr errors]

MONSIEUR,

Chacun ici commente à sa manière le discours royale d'ouverture. Il y a des gens qui disent: on ne restaure point un culte. Les ruines d'une maison, c'est le mot du bonhomme, se peuvent réparer, non les ruines d'un culte. Dieu a permis que l'église romaine, depuis le temps de Léon X, déchût constamment jusqu'à ce jour. Elle ne périra point, parce qu'il est écrit : Les portes de l'enfer..... ; mais sont-ce nos ministres qui la doivent relever avec le télégraphe, ou M. de Marcellus avec quelques grimaces? Pour restaurer le paganisme à Rome, les empereurs firent tout ce qu'ils purent, et ils pouvaient beaucoup; ils n'en vinrent point à bout. Marie, en Angleterre, et d'autres souverains, essayèrent aussi de restaurer l'ancien culte; ils n'y réussirent pas, et même, comme on sait, mal en prit à quelques-uns.. En matière de religion, ainsi que de langage, le peuple fait la loi, le peuple de tout temps a converti les rois. Il les a faits chrétiens de païens qu'ils étaient; de chrétiens catholiques, schismatiques, hérétiques; ils les fera raisonnables, s'il le devient lui-même; il faut finir par là.

D'autres disent : il y aurait moyen, si on le voulait tout de bon, de rallumer le zèle dans les coeurs un peu tièdes pour la vraie religion; le moyen serait de

:

la persécuter infaillible recette, éprouvée mille fois, et même de nos jours. La religion doit plus aux gens de 93 qu'à ceux de 1815. Si elle languit encore, et s'il faut un peu d'aide au culte dominant, comme l'assurent les ministres, la chose est toute simple; au lieu de gager les prêtres, mettez-les en prison et défendez la messe; demain le peuple sera dévôt, autant qu'il le peut être à présent qu'il travaille; car l'abbé de la Mennais a dit une vérité : le mal de notre siècle, en fait de religion, ce n'est pas l'hérésie, l'erreur, les fausses doctrines; c'est bien pis, c'est l'indifférence. La froide indifférence a gagnée toutes les classes, tous les individus, sans même en excepter l'abbé de la Mennais et d'autres orateurs de la cause sacrée, qui ne s'en soucient pas plus, et le font assez voir. Ces amis de l'autel ne s'en approchent guères : Je ne remarque point qu'ils hantent les églises. Quel est le confesseur de M.de Châteaubriant? Certes ceux qni nous prêchent ne sont pas des Tartuffes; ce ne sont pas des gens qui veulent en imposer. A leurs œuvres on voit qu'ils seraient bien fachés de passer pour dévôts, d'abuser qui que soit : ils ont le masque à la main.

C'est toi qui l'as nommé docte abbé; notre mal est le tien, l'indifférence pour la religion. Il en a fait un livre, comme ces médecins qui composent des traités sur une maladie dont eux-mêmes sont atteints, et en raisonnent' d'autant mieux. Il dit en un endroit, si j'ai bonne mémoire: Est-ce faute de zèle qu'on ne dispute plus, ou faute de disputes qu'il n'y a plus de zèle. Je trouve, quant à moi, que l'on dispute assez et que le zèle ne manque pas; mais depuis quelque

temps il a changé d'objet car même, dans ce qui s'écrit sur la religion maintenant, de quoi est-il question? De la présence réelle? en aucune façon. De la fréquente communion? nullement. De la lumière du Thabor, de l'immaculée conception, de l'accessibilité, de la consubstantialité du père et du fils? aussi peu. De quoi donc s'agit-il? Du revenu des prêtres, des biens vendus, de la dîme et des bois du clergé, soit futaies ou taillis: voilà de quoi l'on dispute. Ajoutez-y les donations, les legs par testament, l'argent, l'argent comptant, les espèces ayant cours. Voilà ce qui enflamme le zèle de nos docteurs, voilà sur quoi on argumente; mais de Canon, pas un mot. Du dogme, on n'en dit rien; il semble que là-dessus tout le monde soit d'accord: on s'embarrasse peu que les cinq propositions soient ou ne soient pas dans le livre de Jansenius. Il est question de savoir si les évêques auront de quoi entretenir des chevaux, des laquais, et des......

On demandait naguères au grand vicaire de S....: Quels sont vos sentimens sur la grâce efficace, sur le pouvoir que Dieu nous donne d'exécuter les commandements? Comment accordez-vous, avec le libre arbritre, le mandata impossibilia volentibus et conantibus? Que pensez-vous de la suspension du sacrement dans les espèces, et croyez-vous qu'il en dépende, comme la substance de l'accident? Je pense, répondit-il en colère, je pense à ravoir mon prieuré, et je crois que je le raurai.

C'est un homme à connaître que ce grand vicaire de S...., homme de bonne maison, d'excellente compagnie. On dit bien, l'air aisé ne se prend qu'à l'ar

« PreviousContinue »