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depuis, convaincu par des preuves de la vérité de ce que d'abord il jugeait impossible, il a dit, Cela est incroyable. J'ose vous citer ses paroles et m'en prévaloir devant vous, parce que ses paroles sont mon bien, dans le malheur où je me trouve, et ont un grand poids, montrant mieux que je ne saurais faire, avec quelle audace M. de Beaune a foulé aux pieds toute justice, dans sa conduite à mon égard. Sa conduite, dans cette affaire, a été de tout point incroyable.

Passons sur le serment qui me coûte cinquante francs. Mais son refus d'autoriser la recherche des bois volés à M. Courier, que vous en semble, Messieurs? Un maire, la seule autorité à laquelle on puisse, loin des villes, recourir contre les voleurs, se faire ouvertement leur protecteur, le fauteur, le receleur, en quelque sorte, d'un vol public et manifeste, d'une suite continuelle de vols, cela est-il croyable? y voyez-vous, Messieurs, la moindre vraisemblance? Puis, cette fantaisie de se dire insulté, quand je vais, malgré moi (je ne voulais pas, on m'y força), lui faire une réquisition légale, nécessaire sur un objet pressant: cela encore se peut-il croire? Et cette rage ensuite, cette guerre acharnée, ce soin d'ameuter contre moi tout ce qui peut avoir ombre d'autorité dans le département, ce piége préparé d'une feinte douceur, pour me faire souscrire des aveux propres à me perdre; cette publication, cette amplification, du jugement qui me condamne, cette signature du greffier, cet extrait prétendu conforme, tout cela, non, Messieurs, ne paraît pas possible; et n'est croyable que pour ceux qui en ont été les témoins, ou qui

habitent les campagnes et savent ce que c'est qu'un maire.

Mais la plainte même, qui fait le fond de ce procès, a-t-elle apparence de sens? et se peut-il qu'un homme, je ne dis plus un maire, mais un homme en âge de raison, hors des faiblesses de l'enfance, se tienne offensé pour un mot (car j'accorde, je veux que je l'aie dit ce mot), pour un mot, tout au plus grossier, qui n'attaque ni l'honneur, ni la réputation, ni la probité, ni les mœurs de celui auquel il s'adresse, et ne peut faire tort qu'à celui qui le prononce? que, pour ce mot, il veuille poursuivre, exterminer un pauvre domestique, qu'il fatigue les juges, entasse des écritures, amène des témoins, remue des gens en place, abuse des actes publics, afin d'obtenir quoi? que ce malheureux, ruiné, malade, diffamé, après six mois de chagrins, d'angoisses, languisse un mois dans les prisons.

Un mois, Messieurs, avant de confirmer cet arrêt, vous y penserez, je l'espère. Qu'un soldat l'eût dit à son chef, ce mot dont se plaint M. de Beaune, on eût mis peut-être ce soldat en prison deux jours; et pour le même mot, du paysan au maire, vous ordonnerez un mois, non de la même peine. Le soldat deux jours en prison y voit des soldats comme lui, en sort sans déshonneur, et n'a point de famille dont le sort l'inquiète. Moi, je serais un mois avec des malfaiteurs (on le croira du moins), laissant ma maison désolée et mes enfants à l'abandon; je les rejoindrai couvert de honte! Quelle différence, Messieurs, est-ce à vous, Juges, d'établir cette différence en faveur de l'homme

armé? La loi civile est-elle plus dure que la discipline des camps?

Mais non, Messieurs, non, je n'ai point outragé M. le maire. Même, selon sa déclaration, je ne lui ai rien dit où l'on puisse trouver une injure. Qu'il amasse des preuves, qu'il produise à l'appui de son procès-verbal, ses fermiers pour témoins, ses débiteurs, ses gens; je ne l'ai point outragé. Je l'eusse outragé en l'appelant menteur, faussaire, parjure, lâche persécuteur du faible; et j'outragerais qui que ce soit en lui reprochant la moitié de ce que m'a fait M. de Beaune. Mais le mot dont il m'accuse n'est un outrage pour personne. Avec lui, n'user que de ce mot, c'eût été le ménager, c'eût été de ma part une rare prudence, et pourtant, ce mot même, il est vrai que je ne l'ai pas dit.

peur

Ne craignez point d'ailleurs, Messieurs, si vous me renvoyez absous, que l'autorité de M. le maire en soit affaiblie, qu'on le respecte moins pour cela, qu'on ait moins de l'offenser. Il n'y a personne dans le pays que mon exemple n'épouvante, et qui ne tremble de gagner un pareil procès. Je n'ai eu, six mois durant, de repos ni jour ni nuit. Je paie des frais énormes, et perds mon travail d'un an. Une coupe de bois dans laquelle j'ai quelque intérêt, à peine en ai-je pu faire le quart. N'en doutez point, quoiqu'il arrive, quelque arrêt que vous prononciez, je serai toujours assez puni d'avoir fàché M. de Beaune, et, de long-temps, ceux qui le servent, ne lui demanderont en justice leur salaire, s'ils veulent habiter la commune de Véretz.

LETTRES

AU RÉDACTEUR DU CENSEUR.

LETTRE PREMIÈRE.

Véretz, 10 juillet 1819.

Vous vous trompez, Monsieur, vous avez tort de croire que mon placet imprimé, dont vous faites mention dans une de vos feuilles, n'a produit nul effet. Ma plainte est écoutée. Sans doute, comme vous le dites, il est fàcheux pour moi que l'innocence de ma vie ne puisse assurer mon repos; mais c'est la faute des lois, non celle des ministres. Ils ont écrit à leurs agents comme je le pouvais désirer, et plût à Dieu qu'ils eussent écrit de même aux juges, quand j'avais des procès, et à l'académie quand j'étais candidat. Cela m'eût mieux valu que tous les droits du monde pour avoir le fauteuil et pour garder mon bien. Il faut en convenir, de trois sortes de gens auxquels j'ai eu affaire depuis un certain temps, savants, juges, ministres, je n'ai pu vraiment faire entendre -raison qu'à ceux-ci. J'ai trouvé les ministres incomparablement plus amis des belles-lettres que l'académie de ce nom, et plus justes que la justice. Ceci soit dit sans déroger à mes principes d'opposition.

Vous nous plaignez beaucoup, nous autres paysans, et vous avez raison, en ce sens que notre sort pour

rait être meilleur. Nous dépendons d'un maire et d'un garde champêtre, qui se fâchent aisément. L'amende et la prison ne sont pas des bagatelles. Mais songez donc, Monsieur, qu'autrefois on nous tuait pour cinq sous parisis. C'était la loi. Tout noble ayant tué un vilain devait jeter cinq sous sur la fosse du mort. Mais les lois libérales ne s'exécutent guères, et la plupart du temps on nous tuait pour rien. Maintenant, il en coûte à un maire sept sous et demi de papier marqué pour seulement mettre en prison l'homme qui travaille, et les juges s'en mêlent. On prend des conclusions, puis on rend un arrêt conforme au bon plaisir du maire ou du préfet. Vous paraît-il, Monsieur, que nous ayons peu gagné en cinq ou six cents ans? Nous étions la gent corvéable, taillable et tuable à volonté ; nous ne sommes plus qu'incarcérables. Est-ce assez, direz-vous? Patience; laissez faire; encore cinq ou six siècles, et nous parlerons au maire tout comme je vous parle; nous pourrons lui demander de l'argent s'il nous en doit, et nous plaindre s'il nous en prend, sans encourir peine de prison.

Toutes choses ont leur progrès. Du temps de Montaigne, un vilain, son seigneur le voulant tuer, s'avisa de se défendre. Chacun en fut surpris, et le seigneur surtout, qui ne s'y attendait pas, et Montaigne qui le raconte. Ce manant devinait les droits de l'homme. Il fut pendu, cela devait être. Il ne faut pas devancer son siècle.

Sous Louis XIV, on découvrit qu'un paysan était un homme, ou plutôt cette découverte, faite depuis long-temps dans les cloîtres, par de jeunes religieuses, alors seulement se répandit, et d'abord parut une rê

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