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ges de trois mois, cinquante francs qu'il me devait ; je les lui demandai. Ce fut ma seconde faute, pire que la première : pour moi, dans le besoin, sans place, sans travail, cinquante francs, c'était beaucoup; ce n'était rien pour M. de Beaune. Et que pensez-vous qu'il me dit, quand je lui demandai mon argent? Tu me le paieras, me dit-il, et jamais, Messieurs, je n'en pus tirer autre chose.

Moi, Messieurs, voyant cela, je le fis assigner. Ah! faute irréparable! mon supérieur, mon maire, le plus riche propriétaire de toute la commune, l'attaquer en justice! moi pauvre paysan, domestique renvoyé, lui demander mon dû! Je fis cette folie dont je me repens bien, et vous jure que de ma vie, dussé-je mourir de faim, jamais plus ne m'arrivera de faire assigner un maire. Aussi bien que sert-il? M. de Beaune comparut devant le juge de paix, fit serment, leva la main qu'il ne me devait rien, et je perdis mes cinquante francs, et toujours: Tu me le paieras. Il m'a tenu parole; je le lui paie bien l'argent qu'il me devait.

Dès-lors, on me conseilla de quitter le pays. Va-ten, Blondeau, va-t-en, me dit un de nos voisins. Que veux-tu faire ici ayant fàché le maire? le maire est plus maître ici que le roi à Paris. Procès, amende, prison, voilà ce qui t'attend. Plus de repos pour toi, plus de travail paisible. Tu ne mangeras plus morceau qui te profite, ayant fàché le maire. Va-t-en pauvre Blondeau.

Il n'avait que trop de raison de me parler ainsi. Je devais le croire, partir, vendre mon quartier de terre, emmener ma famille. Mais environ ce temps, je trou

vai à me placer fort avantageusement, à ce qu'il me semblait. Monsieur Courier me prit pour garde de ses bois, et je me crus heureux d'entrer à son service. Je pensai qu'étant chez lui, qui passe pour un bon homme, quoique peu de gens l'aient vu, et que personne ne le connaisse, je pourrais vivre tranquille.. En cela, je me trompais, comme vous allez voir.

Je fus accusé, peu après, d'avoir dit à M. le maire, causant avec lui dans son parc : Allez vous promener. C'est la déposition de quelques-uns des témoins que vous avez entendus. D'autres disent que j'ai dit: Allez vous faire f.....; d'autres enfin prétendent que je n'ai rien dit du tout. L'affaire était sérieuse. J'avais tout à redouter, vu le nombre et le crédit de ceux qui m'attaquaient, car chacun s'en mêlait. Le maire portait plainte; le procureur du roi me poursuivait à outrance ; le domaine me menaçait de m'ôter mon état de garde particulier. Le préfet même daigna, et plus d'une fois, écrire aux juges contre moi. Les puissances de Tours étaient coalisées pour écraser Blondeau.. Et l'occasion de tout cela, c'est qu'en effet j'avais parlé à M. le maire; grande imprudence assurément. Si j'eusse pu m'en dispenser! Mais le moyen? On avait volé quatre gros arbres dans nos bois, et ces arbres, pour les saisir chez les voleurs assez connus, il me fallait non seulement l'autorisation de M. le maire, mais sa présence, suivant la loi. Je fus le trouver et le requis, mon procès-verbal à la main, de m'accompagner, et je lui fis lecture de la loi, le tout en vain ; il refusa, et fut cause que huit jours après on nous coupa vingt autres arbres choisis dans toute la forêt, les plus grands de tous, les plus beaux, et avec le

même succès et depuis, une autre fois encore...... mais ce n'est pas de quoi il s'agit. Il refusa de m'accompagner, sans autre raison que son plaisir, et delà même, prit prétexte de me faire un procès, de se plaindre, disant que je l'avais insulté. Quelle apparence? je n'en fis que rire. Mais me voyant tant d'ennemis, et que tous ceux qui pouvaient me nuire, s'y employaient avec chaleur, j'eus recours à M. Courier. Je lui dis: Aidez-moi; la chose vous regarde. Parlez; faites agir vos amis. Mais il me répondit : Mes amis sont à Rome, à Naples, à Paris, à Constantinople, à Moscou. Mes amis s'occupent beaucoup de ce qu'on faisait il y a deux mille ans, peu de ce qu'on fait à présent. S'il est ainsi, lui dis-je, qui me protégera? qui prendra ma défense? j'ai contre moi tout le monde.

Alors il me répond : Blondeau, que vous êtes simple. Mettez le feu à mes bois, au lieu de les garder, et vous ne manquerez pas de protecteurs. Vous aurez pour appui tout ce qui pense bien dans le département. L'homme le plus méprisé, le plus vil, le plus abject de la province entière, a trouvé des amis, des parents, même parmi les magistrats de Tours, dès qu'il m'a voulu faire quelque mal; et pour avoir chassé ma femme de chez elle, il va recevoir de moi deux mille francs à titre de dommages et intérêts. Le fripon qui me vola l'an passé, la moitié d'une coupe de bois, obtient de l'équité des juges un léger encouragement de huit cents francs, que je lui paie comme indemnité. Ces gens-ci, aujourd'hui, sous la sauvegarde de toutes les autorités, coupent mes plus beaux arbres, les emportent, les serrent paisiblement chez

eux; défense de les troubler. Demain, ils me plaideront sur le vol qu'ils m'ont fait, et gagneront assurément. Faites comme eux; vous serez favorisé de même. Si, au lieu de me piller, vous défendez mon bien, vous irez en prison; attendez-vous à cela.

Tout comme il avait dit, la chose est arrivée. Je fus jugé, ou, pour parler exactement, je fus condamné à un mois de prison, sans preuves, sans audition de témoins. Les témoins, vous le savez, n'ont été entendus que depuis, ici, devant vous, Messieurs, après mon appel de la sentence rendue à Tours, contre moi. A Tours, les juges n'ont pas voulu, sans doute de peur de scandale, examiner si j'avais dit allez vous promener, ou allez vous faire f.....; question délicate qui roulait sur la différence de promener à l'autre mot. Il fut décidé, sur le seul procès-verbal de M. le maire, que je l'avais outragé; en conséquence on me condamne à un mois de prison. Mes amis trouvent que j'en suis quitte à bon marché. Car il eût pu tout aussi bien mettre sur son procès-verbal que je l'avais volé ou tué, et vous voyez ce qui s'en suivait, puisque sa parole fait foi, sans qu'il soit tenu de rien. prouver.

Mais moi, je ne m'en crois pas quitte: ce qu'il n'a pas fait, il le fera. Déjà il répand le bruit que je l'ai menacé. Déjà il l'a écrit de sa main, sur le registre de la commune. Bien plus, il l'a fait publier au prône de la paroisse. Oui, Messieurs, au prône, un dimanche, par la voix du curé en chaire, tout le monde a été informé que Blondeau menaçait M. le maire. Cela vous étonne, Messieurs. C'est que vous connaissez les lois; mais moi, je connais M. le maire, et je

sais qu'un mois de prison, mes travaux d'une année perdus, ma famille désolée, un procès qui me ruine, ce n'est pas vengeance pour lui. Ce qui m'étonne, moi, c'est de le voir agir avec tant de mesure, user de prévoyance, et même avant la fin de cette affaire-ci, se ménager des preuves pour une accusation plus grave, comme s'il n'avait pas toujours ses procès-verbaux, qui sont parole d'Evangile pour messieurs les juges. de Tours. Sitôt qu'il lui plaira d'avoir été frappé ou même assassiné, qui le contredira dans ses déclarations? Craint-il qu'on ne s'avise d'examiner les faits? que le procureur du roi, le préfet, ne lui manquent au besoin, et qu'un jour, ces messieurs, ne pensant plus aussi bien, ne se fassent scrupule de perdre un malheureux, parce qu'il sert M. Courier? et puis, si l'on voulait des preuves, des témoins, n'a-t-il pas ses fermiers, que vous l'avez vu, Messieurs, amener ici dans sa voiture, gens de bien comme lui, auxquels il coûte peu de lever la main, jurer devant les magistrats? Enfin, les signatures peuvent-elles jamais manquer à l'auteur d'un écrit qu'on va vous lire, Messieurs? C'est l'original même de la publication faite en chaire contre moi par M. le curé.

Par jugement rendu le 5 mars dernier, au tribubunal de police correctionnelle de Tours, ClavierBlondeau, garde particulier, a été condamné à trente francs d'amende, à la confiscation de son fusil à deux coups, et aux frais du procès, pour avoir porté des armes de chasse et chassé sans permis de port d'ar

mes.

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