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Lingére très-jolie, par un charmant Jouvenceau, qui en étoit violemment amoureux. Ce Jouvenceau étoit Garçon de Boutique d'un des plus fameux Marchands de la Ville; mais Garçon diftingué dans fa profeffion, c'est-àdire, un de fes beaux-fils qui fe font beaucoup valoir,& que les Marchands ne gardent que pour engeoler les femmes par leur caquet & par leur galant extérieur, lorfqu'elles viennent pour faire quelques emplettes.

Il étoit, pendant que la Symphonie ronfloit, enveloppé dans un manteau, faifant le pied de Gruë, & fort attentif à regarder fi fa belle paroîtroit à la fenêtre, & fi elle donneroit quelque démonftration qui marquât qu'elle y prenoit plaifir, & qu'elle étoit perfuadée elle & par que c'étoit pour que fe faifoit cette dépense. Les Muficiens, felon la coûtume de ce payslà, auffi-bien que de celui-ci pour les Serénades, joüoient avec grand bruit la defcente de Mars, quand ils entendirent un des heurlemens de Mon

lui

pour

fieur Oufle. La terreur que leur infpira cette horrible fymphonie, à la quelle ils ne s'attendoient pas, pas, glaça leur fang de telle forte, que demeurant immobiles ils firent tous en même tems une paufe, qui n'étoit pas affurément dans leurs tablatures. Ils écoutérent connoître d'où provoit venir une voix fi extraordinaire, pendant que le Loup-garou imaginaire fe mit à heurler encore plus fort; & s'étant approché d'eux, ils le prirent tous pour ce qu'il penfoit êre lui-même. Quel cruel contretems pour l'amoureux, quand il vit les Muficiens s'enfuir de toutes leurs

forces, & qu'il jugea à propos pour fa fûreté de les fuivre!

Monfieur Oufle, après avoir mis en fuite tant de gens qui faifoient un fi grand bruit, en fut encore davantage confirmé dans l'opinion qu'il étoit vériablement un Loup-garou. Je n'ai point appris ce qu'étoient devenus les Muficiens & celui qui les avoit mis en œuvre. Il eft à croire que chacun fe Tome I

C

retira chez foi, & que tous firent de beaux contes du prétendu Loup-garou. Il m'est seulement revenu, qu'un joueur de baffe de viole affura qu'il avoit fui le dernier, & que fi quelqu'un avoit voulu le feconder, il auroit tenu bon contre la terrible bête qui les avoit fi fort épouvantés, & que fans doute il en auroit tiré raifon. Mais on ajoûte, que la bravoure n'avoit aucune part dans fa fuite plus tardive que celle des autres ; que c'étoit felon quelques-uns cause de sa baffe de viole dont la péfanteur retardoit fa courfe; & felon d'autres qu'il n'avoit été le dernier fuyard, que parce qu'il étoit fort gouteux. Cette derniére raifon n'est pas incroyable, puifqu'il étoit Muficar on gagne facilement la goutte à ce métier : & avec la goutte,

cien

à

on ne court pas comme on veut.

Pour la bravoure on en peut douter ; car le courage & la vaillance ne font point néceffaires à ceux de fa profession, à moins qu'il ne s'agiffe

de certains combats, où l'on peut répandre beaucoup plus de vin que de fang.

Mais je ne fais pas réflexion que je perds notre Loup-garou de vûe. Nous l'allons retrouver dans le Chapitre suivant.

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Suite des Aventures de Monfieur Oufle, Loup-garou.

N

rues, après

Ous avons laiffé notre nouveau
Lycaon courant les

avoir donné une tertible chaffe à la Mufique nocturne qui s'étoit trouvée dans fon chemin. Voyons ce que fes courses ont encore produit d'ef frayant; car il étoit trop plein de l'idée de fa métamorphofe, & trop animé à la foûtenir, pour s'en tenir à des Muficiens. Il fembloit que des gens qui prefque toujours n'ont point d'autres mérite, que de faire valoir un vent, ou fi l'on veut, un bruit

bien cadencé & bien ménagé, ne fuffifoient pas à l'avidité qu'il avoit de bien prouver fon Loup-garoüifme. Il ne fut pas long-tems fans avoir une occafion favorable pour fe fatisfaire. La voici.

Par tout il y a toujours des PetitsMaîtres qui font proffeffion d'extravagances, qui auroient honte de paroître fages, & qui prétendent tirer de la gloire de ce qui ne devroit leur donner que de la confufion. Heureufement pour les vifions de Monsieur Oufle, il s'en trouva de cet impertinent caractére dans les rues, la nuit qu'il couroit en Loup-garou. Quatre Jeunes-gens, qui depuis peu de tems étoient délivrés de la vie gênante des Colléges, fortant du Cabaret, où ils avoient vuidé plus de bouteilles de vin (qu'on appelle fouvent à tort de Champagne,) que leurs petites têtes n'étoient capables d'en porter, imaginérent un de ces projets qui paffent chez eux pour être des plus héroïques. Ce projet confiftoit à fe don

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