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fi profondément dans leur efprit, qu'ils la confervent toute leur vie s'ils ne travaillent pas à la détruire par une étude dégagée de cette enfantine prévention, & ainfi s'ils n'effacent pas cette prévention, ils la communiquent enfuite à leur tour, à plufieurs autres ; & c'eft de cette maniére, que nous voyons tous les jours tant d'erreurs populaires qui fe perpétuent, fans qu'on ait d'autre raison pour les autorifer, que parce qu'on les a entendu dire, & qu'on ne s'eft point mis du tout en peine d'en examiner la vérité.

Il eft à croire que Monfieur Ouffe, auffi-bien que prefque tous les enfans, avoit reçû étant jeune cette même impreffion, & qu'il l'avoit enfuite extrêmement fortifiée par la lecture; car il ne manquoit pas comme on a vû dans le Chapitre précédent, de livres qui traitent de plufieurs fortes de ces bizarres tranfmutations, dont bien des raifons l'auroient engagé à douter de la poffibi

lité, (b) fi fon entêtement ne l'avoit

(b) La tranfmutation d'homme en Loup ne peut être en l'ame ni au corps: en l'ame, car ce feroit une espece de mortalité, à quoi l'ame n'est fujette. Les forcelleries & magiques effets du malin efprit, peuvent, quand Dieu le permet, étouper les conduits des fens, les troubler & en affoiblir les organes. Serpis hoc malum, dit Saint Augustin, per omnes fenfus dat fe figuris, accommodat fe coloribus, adhæret fonis, odoribus fe fubjicit, infundit fe Japoribus & quibufdam nebulis implet omnes meatus intelligentia: mais il ne peut anéantir & éteindre cette ame raisonnable, effacer le caractére de l'image de Dieu, pour fubroger en la place une ame brutale. Ce qu'Homére a reconnu en ceux que Circé transformoit, de qui l'ame ne changeoit point Et S. Aug. Nec tamen in iis fieri mentem beftialem, fed rationalem humanamque fervari, ficut fibi ipfi accidiffe Apuleius indicavit & finxit. Que fi l'on difoit que l'ame raisonnable se séquestre & fait place, cela ne peut arriver que par la mort entiére du corps. Non plus, eft - il poffible que les deux ames, la raifonnable & la brutale foient jointes enfemble, parce que cela feroit deux formes effentielles en même sujet, ce que les maximes de la Phyfique ne permettent point.

La Transformation n'eft non plus au corps; car ce vaiffeau ne peut être changé, pour en fubftituer un autre à l'ame raisonnable, laquelle auffi n'est propre pour vivifier & organifer le corps d'une bête, comme fort à propos difcourt Ariftote, reprenant la Métempfycofe des Pythagoriciens. Cette tête, ce cerveau d'homme, qui a l'imagination logée audevant de la raifon, laquelle eft au ventricule moyen, comme la fouveraine des autres,

pas empêché d'en faire la recherche. Mais comme il vouloit abfolument croire ces transformations, toutes les hiftoires qu'il en lifoit, paffoient dans fon efprit pour indubitables, & ainsi, il ne doutoit point qu'il n'y eût, par

& la mémoire qui vient après, qui eft la fidélle gardienne des chofes qui paffent par les deux premiéres, & généralement tous les membres de toutce corps, font composez fià propos, pour les fonctions de l'ame raifonnable, qu'elle ne peut loger dans la tête & le corps d'une brute. Auffi eft-ce un ouvrage admirable de Dieu, felon qu'en difcourt Lactance, de opificio Dei. S. Bafile, S. Ambroife, S. Gregoire de Nice, Nemefe, de natura hominis & Theophile, de humani corporis fabrica. Dieu comme difoit très-bien Plotin, eft le fouverain ordinateur des formes, lefquelles font toutes inhe rentes à leurs fujets; & les matiéres tellement dif pofées par la providence de Dieu, que nulle forme ne peut être fans fa matiére propre & convenable. Non toutefois qu'en l'homme, la forme d'icelui procéde de la force de la matiére, comme en autres chofes, ainfi que nos Phyficiens difent, que, forma educitur ex vi potentiâ materie: car la forane qui eft l'ame raifonnable, lui eft immédiatement infufe de Dieu qui l'a créée de rien, & logée dans un vaiffeau qu'il lui a approprié. Concluons donc avec faint Auguftin: Nec fanè dæmones naturas creant, fed fpecietenus quæ à vero Deo creata funt, commutant, ut videantur effe quod non funt. Non itaque folum animum, fed ne corpus quidem ulla ratione crediderim dæmonum arte, vel poteftate in mem

exemple, des familles entieres, où il y avoit toujours quelqu'un qui devénoit Loup-garou (c); qu'on le devenoit auffi quelquefois en mangeant les entrailles d'un enfant facrifié (d); il croyoit encore fermement, qu'on

bra beftialia poffe converti. de Lancre p. 291, &c.

(c) Pline raconte qu'Eventes, Auteur Grec, a rapporté que les Arcades écrivent, que dans la race d'un certain Antæus, on choifit quelqu'un par fort, & qu'on le conduit près d'un étang, qu'il fe dépouille, pend ses habits à un chêne, paffe l'eau à la nage, puis s'enfuit dans un désert, où il eft transformé en Loup, & converfe avec les autres Loups pendant neuf ans. Si durant ce temps il ne voit point d'homme, il retourne vers le même étang & le traverfe à la nage, reprend fa forme d'homme, retourne chez lui & alonge fa vieilleffe de neuf ans. Mirum, dit Pline, què procedat Græca credulitas, nullum tam impudens mendacium eft, quod tefte careat. Medit. hift. de Camerarius t. 1. 1. 4. c. 12. de Lancre p. 265. On trouve d'autres exemples de Loups-Garoux dans la Demonomanie de Bodin p. 193. 450~

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(d) Pline parle encore d'un nommé Demarque de Pharrafe, qui après avoir mangé les entrailles d'un enfant, confacré à Jupiter Lycée, par les Arcades, fut fur le champ changé en Loup Agrippa, de la vanité des fciences. chap. 44.

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pouvoit fe changer en Chat (e), en Cheval (ƒ), en Arbre, en Bœuf, en Vipére, en Mouche (g); en Vache,

(e) Spranger parle, in malleo maleficarum', de trois Demoiselles qui en forme de Chat, alfaillirent un pauvre Laboureur lequel les bleffa toutes trois, & furent trouvées bleflées dans leur lit. Des fpectres, par le Loyer p. 274. autres exemples femblables dans la Démonomanie de Bodin p. 194.

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(f) Le pere de Preftantius, après avoir man→ gé d'un fromage maléficié crut qu'étant devenu Cheval, il avoit porté de très- pefantes charges, quoique fon corps eût été toujours dans le lit. Saint Auguftin qui rapporte cette histoire · dans la cité de Dieu 1. 18. ch. 17. & 18. interprete de cette façon tout ce qui a été écrit des merveilleuses tranfmutations, & de toutes les Lycanthropies d'Arcadie, dont Platon même nous a laiflé quelque chofe par écrit dans le 8. livre des fa République, où il récite cette fable des Arcadiens ? pour nous faire comprendre la métamorphofe d'un Roy en Tiran. Les Neures, dont parle Herodote 1. 4. hift. qui devenoient Loups tousles ans pendant quelques jours, ne patiffoient, fans doute, qu'en la partie imaginaire. Agrippa de la vanité des fciences. ch 44 m. l. v. t. 1.. P. 319. de Lancre p. 266.

(g) La fameufe Empufe chez Aristophane, prenoir toutes fortes de figures. Epicarme dit, quelle paroiffoit tantôt comme un arbre, immédiatement après, fous la figure d'un Boeuf; tan

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