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Ruzine, fille cadette de Monfieur & de Madame Oufle, s'accommodoit comme fa foeur, au gout de fon pere & de fa mere; mais ce que celle-ci faifoit par fimplicité, cellelà le faifoit par artifice; c'étoit une fine mouche, qui alloit toujours à fes fins; on peut dire qu'elle jouoit en quelque maniére toute fa famille. Le defir du mariage la tourmentoit extrêmement; cependant comme cadette, elle ne pouvoit être mariée qu'après fa foeur. Et comme celle-ci étoit si indolente là-deffus, qu'elle avoit éloigné par fon indifférence pluhieurs partis très - fortables, qui s'étoient présentés, la pauvre Ruzine fe trouvoit dans la cruelle néceffité d'attendre long-tems la décifion de fa destinée. C'est à caufe de l'inquiétude & de l'impatience que lui donnoit cette attente forcée, qu'elle mit en ufage, par rapport aux vifions de fon pere, plufieurs ftratagênes également plaifans & adroits, pour arri ver à fon but..

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Noncrede, frere de Monfieur Oufle, paffoit dans l'efprit de tous ceux qui le connoiffoient, pour un hom me qui avoit véritablement de la fageffe & de la probité; certainement on lui rendoit juftice quand on avoir cette opinion de lui. Comme il joignoir avec fa probité & fa fageffe beaucoup de bon fens, on juge bien qu'il étoit fort éloigné de tomber dans les extravagances de fon frere. En effet, il lui faifoit & à l'Abbé Doudou fon neveu, des guerres continuelles fur leur ridicule entêtement. Et ces guerres étoient d'autant plus judicieufes, qu'il les foutenoir par de fr 'folides raifonnemens, qu'on avoit lieu d'être furpris de ce qu'il ne pou voit pas les réduire à la raison. Les Lecteurs verront dans la fuite com-bien j'ai fujet d'en parler ainfi.

Mornand, un de ces maîtres valets qui par une longue fuite d'années de fervices, fe font emparés d'une espece d'autorité fur les Maîtres & fur les autres Domeftiques; Mor

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nand, dis-je, avoit une conduite qui approchoit fort de celle de Ruzine; il paroiffoit croire ou ne pas croire, felon que fon intérêt l'exigeoit. Son profit étoit le mobile & la regle de toutes fes démarches. En matiére de divinations, d'apparitions & de fortiléges, il ne manquoit pas de mettre en pratique, ou pour ou contre, les intrigues les plus artificieuses, pourvû qu'il eût lieu d'efperer qu'elles fe termineroient à fon avantage. Son habileté à inventer & à conduire une

fourberie étoit telle, que les principaux de cette maison, à qui il avoit affaire, ne pouvoient pas s'empêcher d'y fuccomber: C'eft ce qui fera prouvé par des exemples qu'on trouvera dans le cours de cette Hiftoire.

Après avoir fait connoître les caractéres de Monfieur Oufle & de ceux de fa famille, dont il est fait fi fouvent mention dans cet ouvrage, je juge à propos de parler de fa Bibliotheque; mais je ne rapporterar que quelques principaux Livres qu'il

lifoit le plus fouvent, & qui lui avoient caufé fes imaginations extravagantes, par une mauvaise disposition d'efprit, qui lui avoit rendu dangereux l'ufage qu'il en faifoit. Le Chapitre fuivant contiendra la lifte de ces Livres.

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CHAPITRE

II.

De la Bibliothèque de Monfieur Oufle.

C

Omme un Catalogue de Livres peut être fort être fort ennuyeux `dans un Ouvrage, pour de certains Lecteurs, j'ai lieu de croire que bien des gens pafferont par deffus ce Chapitre. En tout cas je les avertis, , pour lès encourager à ce paffage, & pour qu'ils n'en ayent aucun fcrupule, que le Chapitre précédent & ceux qui fuivront en font fi peu dépendans qu'en ne le lifant point, ils n'en auront pour cela pas moins de plaisir dans la fuite. Voici donc les Livres dont il s'agit. J'ajouterai, mais trèsfuccintement, ce que je penfe de

quelques-uns, afin que ce Chapitre ne foit pas tout-à-fait fi fec, que le Catalogue d'un Libraire.

LISTE

Des principaux Livres de Monfieur Oufle.

L

A Philofophie occulte d'Agrippa. On trouve dans ce Livre beaucoup plus d'érudition que de certitude.

Tableau de l'inconftance des mauvais Anges & Demons, par Delancre. Entre plufieurs chofes, curieufes qui font répandues dans ce Livre, on y trouve une description fi étendue & fi bien circonftanciée de tout ce qui fe passe au Sabbat, que je ne croi pas qu'on en fût mieux inftruit, fi l'on y avoit été foi-même.

Apologie des Grands Hommes, accusés de magie, par Naudé. On verra dans la fuite, que Monfieur Oufle n'avoit point du tout profité de la lecture de ce livre, non plus que du fuivant, c'est-à-dire, de celui qui porte ce titre.

Le monde enchanté, par Beker. Cet ouvra ge eft très- pernicieux, auffi lui a - t'on bien fait la guerre.

Phyfica Curiofa, & Magia Univerfalis, par Gafpar Schot.

Demonomanie de Bodin. On a dit de ce Li

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