Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

ve pour ce fuperftitieux & crédule mari, que fa femme étoit la perfonne du monde qui l'aimoit le plus. Voilà comment ceux qui donnent dans les fuperftitions, font prefque toujours les dupes de gens habiles & adroits qui connoiffent leur foibleffe, pour ne pas dire, leur fotife. Heureux quand ils ne font trompés que comme Monfieur Oufle dans cette occafion; car enfin, il faut rendre juftice à fa femme, en avouant de bonne foi, qu'elle l'aimoit véritablement qu'elle ne lui faifoit aucune de ces infidélités qu'il craignoit, & qu'ainfi elle ne lui faifoit aucune fupercherie condamnable à fon égard, en voulant le convaincre de fon amour. Puifqu'elle le voyoit difpofé à n'ajouter foi qu'à ce que la fuperftition lui difoit, il paroît qu'elle n'étoit pas fort criminelle de fe fervir de cette même fuperftition, pour le tirer de l'erreur & le conduite à la vérité. Comme c'eft aux Docteurs à décider fur ce cas, je m'en rapporte, fans appel, à leur

décision. En attendant qu'ils en jugent, & qu'ils s'accordent enfemble pour porter un même jugement, il y a apparence que bien des gens ne condamneront pas la conduite de Madame Oufle. Quand on a affaire à des perfonnes du caractére de fon mari, on eft expofé à tant de démarches extravagantes, qu'il eft bien difficile de ne pas profiter des occafions qui fe préfentent pour ne point fouffrir de leurs folies.

Revenons aux faits & geftes de notre vifionnaire. Je me fais à la vérité une efpéce de violence pour y revenir; car je me fens fi porté à invectiver contre fon dérangement d'ef prit, & contre ce qui le lui a caufé que, fi je ne craignois de fatiguer le lecteur, qui attend plutôt des faits que des moralités, je m'étendrois auffi loin que le fujet le permet.

Monfieur Oufle vifite le matin ces fameux chardons, & ne doute point que ceux qu'il trouve, ne foient ceuxlà même qu'il avoit placés; car ilé

toit bien éloigné de foupçonner le tour qu'on lui jouoit. Autre fujet d'admiration pour lui, quand il vit des poin tes à celui qui portoit le nom de fa femme, & que les deux autres n'en avoient point, il fentit, il eft vrai, de la joye, à la vûe de ce petit fpectacle; mais cette joye diminua infenfiblement, à mesure qu'il fit des réfléxions. Ces réflexions confiftoient à remarquer que ces trois épreuves difoient des chofes différentes. Dans la premiére, il ne s'étoit fait aucun changement; la feconde, lui apprenoit, qu'il étoit aimé du Diable plus que de qui que ce foit ; & par la troifiéme, il paroiffoit que c'étoit fa femme qui l'aimoit le plus. Ces différences lui fournirent matiére de plufieurs raisonnemens, qui aboutirent enfin à lui faire conclure, qu'il ne devoit pas ajouter plus de foi à la derniére épreuve,qu'aux deux autres, & qu'ainfi une quatriéme étoit abfolument néceffaire pour décider. Il fit donc cette quatrième épreuve, & Madame Oufle la rendit

par fon adreffe égale à la troisième, de forre que fon mari fut ou peu s'en falloit, entiérement convaincu de la fageffe de fa conduite. Je dis, que peu s'en falloit ; parce que ce qui arriva le même jour, fait croire qu'il lui étoit encore refté quelque doute dans l'efprit.

Comme il étoit agité sur ce fujet de penfées différentes, & d'une efpéce d'inquiétude qui ne lui permettoit pas de refter long-tems dans une même place, il alla fe promener l'aprèfdinée dans un grand jardin qui lui appartenoit, & qui étant environ à un quart de lieue de la Ville, l'éloignoit entiérement du grand bruit, & lui fervoit fouvent d'une agréable retraite, quand il vouloit n'être point troublé dans fes projets, ni dans fes imaginations. Ce jardin étoit parfaitement bien entretenu, le couvert, les fruits, les fleurs, les légumes n'y manquoient point, autant que le tems le permettoit; & le tout montroit une propreté qui faifoit véritablement plai

[ocr errors]

fir. Après avoir vifité fon potager, il entra dans une efpéce de boulaingrain, orné de toutes fortes de fleurs, felon la faifon. Celles qui attachérent le plus fa vue, furent plufieurs Eliotropes, qu'il confidéra fort long-tems. It ne faut pas s'en étonner; car il fe reffouvenoit d'avoir lû, que fi on cueille une de ces fleurs au mois d'Août forfque le Soleil eft dans le figne du Lion, & fi après l'avoir enveloppée dans une feuille de laurier, avec une dent de Loup, on met ce petit paquet dans une Eglife; pendant tout le tems qu'il y fera, les femmes infidelles à feurs maris, m'en pourront fortir. ( b );

C'étoit juftement dans le tems marqué par cette fuperftition, que Monfieur Oufle fe promenoit dans fon Jardin; & ainfi le moyen qui fe préfen-

(b) Si on met dans une Eglife l'Eliotrope, après Favoir cueilli au mois d'Août, pendant que le Soleil eft dans le figne du Lion, & qu'on l'enveloppe dans une feuille de laurier avec une dent deloup, les fem-mes qui ne feront pas fidelles à leurs maris n'en pour ront fortir, fi on ne l'ôte. Les admir. fecr. d'Alb. le Grandil. 2: P. 73

« PreviousContinue »