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matois, qui jouera dans la fuite plufieurs rôlles qui ne feront pas des moins agréables. J'appellerai la femme de Monfieur Oufle, Madame Oufle; fon fils aîné, l'Abbé Doudou; fon fils le cadet, Sanfugue; fa fille aînée, Camele; la cadette, Ruzine; fon frere, Noncrede, & le valet en queftion Mornand. Voici les vrais caracteres de ces fept perfonnes..

Madame Oufle,femme de Monsieur Oufle, ne donnoit point du tout dans les vifions de fon mari. Au lieu que d'ordinaire les femmes font les plus fufceptibles de fuperftition, Madame Oufle doutoit de tout ce que Monfieur Oufle croyoit le plus fortement fur cette matiére. Il fembloit que la foibleffe de l'efprit de celui-ci avoit fortifié l'efprit de celle-là ; & cela peut-être afin qu'elle eût un plus beau champ pour lui contredire fans relâche; car rien ne regne plus or dinairement entre les maris & leurs. femmes, que l'efprit de contradiction. Quoiqu'il en foit, elle donnoit con

tinuellement la chaffe aux Charlatans de l'Aftrologie, aux Chiromanciens, & generalement à tous ceux qui venoient chez elle dans le deffein de deviner le paffé, ou de prédire l'avenir. Elle étoit fort alerte, quand quelque impofteur promettoit de faire voir des fpeâtres, ou de faire entendre des efpiégleries de quelque prétendu efprit follet. On ne trouvoit point du tout fon compte avec elle, pour tromper & pour furprendre: car elle apportoit toute l'exactitude & toute l'attention poffible, pour en découvrir la fourberie. Auffi avoit on bien foin de prendre le temps de fon abfence, pour enjeauler fon mari. On verra dans la fuite que Madame Oufle faifoit avec M. Oufle, un très-réjouiffant contrafte.

L'Abbé Doudou, fils aîné de Monfieur & de Madame Oufle, étoit um bon garçon, qui faifoit un mélange très-mal afforti de fcience & de piété. Par piété, il croyoit que tour ce qu'il trouvoit d'extraordinaire dans:

les livres, étoit vrai, ne fe pouvantperfuader que l'on fût d'affez mau→ vaife foi pour faire imprimer des chofes furprenantes, fi elles n'étoient par veritables; & le peu qu'il avoit de doctrine ne lui fervoit qu'à trouver je ne fai comment dans fon efprit, des preuves forcées de poffibilité pour tout ce qu'il vouloit abfolument croire.. Il n'étoit pas assez mal-honnête homme pour vouloir se faire forcier; mais il étoit affez crédule pour ajoûter foi à toutes les hiftoires qu'on faifoit des. forciers; il n'y avoit pas une apparition, quelqu'étrange qu'elle fût, qui ne lui femblâr très-poffible : Auffi étoit-il continuellement dans une fi grande: crainte de voir des phantômes, que rien n'étoit plus affligeant pour lui rien ne lui donnoit plus d'inquiétude, que d'être obligé de refter feul la nuit dans une chambre. S'il fe trouvoit par hazard fans compagnie dans une Eglife, il s'imaginoit que les corps de ceux qui y font enterrés, alloient fortir de leurs tombeaux, pour fe: montrer à lui dans cet appareil és

pouvantable, dont on fait tous les jours tant de contes aux bonnes fem→ mes & aux petits enfans. On doit conclure de ce caractére que l'Abbé Doudou ne contribuoit pas peu à enpere dans l'extravagance:

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de les imaginations.

Sanfugue, fecond fils de Monfieur Oufle, qui avoit pris le parti de la finance, étoit un éveillé, un ardent qui ne cherchoir que les moyens & les; occafions de s'enrichir extrêmement. Les Devins, les Sorciers, les Aftrologues judiciaires & autres gens de: pareille étoffe, lui étoient tous bons, pourvû qu'il y trouvât fon intérêt. Si on lui préfentoit un Talisman pour lui faire acquerir de grandes richesses, il ne le rebutoit point; & il y ajoûtoit foi, d'autant plus volontiers, qu'il avoit une avidité extrême de devenir très-riche. Quand on lui parloit des diables qui faifoient trouver des tréfors, l'eau lui en venoit fi fort à la bouche, qu'il ne les auroit pas renvoyés, quand même ils lui auroient:

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apparu avec les formes les plus épou ventables, dont on fe fert pour les représenter. Il n'étoit pas fi crédule fur l'apparition des ames des défunts parce que, difoit-il, ces phantômes. de morts ne paroiffent d'ordinaire que pour faire des demandes aux vivans, ou pour donner des frayeurs qui n'aboutiffent qu'à glacer le fang de ceux qui les voyent. Il fembloit pourtant quelquefois y ajoûter foi; mais c'étoit quand, ayant cette com-plaifance pour fon pere, il efperoit en retirer quelque profit. Voilà quel étoit le caractére du cadet des fils de Monfieur Qufle. Venons à préfent à fes deux filles.

L'aînée à qui j'ai donné le nom de Camele étoit une bonne fimplicienne, qui croyoit tout ce que lui difoit fon pere, quand il lui parloit; & qui enfuite n'en croyoit rien quand elle s'étoit entretenue avec fa mere.. Etant ainfi fufceptible de toutes fortes d'impreffions, elle jouoit toutes fortes de rôlles, quelqu'oppofés qu'ils fullent

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