Page images
PDF
EPUB

Simon Barjone. Immédiatement après cette querelle, les difciples de JESUS, qui ne s'appellaient pas encore chrétiens, fe divifèrent en deux partis, l'un nommé les pauvres, l'autre les nazaréens. Les pauvres, c'està-dire les ébionites, étaient demi-juifs ainfi que leurs adverfaires; ils voulaient retenir la loi mofaïque; les nazaréens, nommés ainfi de JESUS originaire de Nazareth, ne voulurent point de l'ancien teftament; ils ne le regardèrent que comme une figure du nouveau, une prophétie continuelle touchant JESUS, un mystère qui annonçait un nouveau mystère : cette doctrine étant beaucoup plus merveilleufe que l'autre l'emporta à la fin ; & les ébionites fe confondirent avec les nazaréens.

Parmi ces chrétiens, chaque ville fyrienne, égyptienne, grecque, romaine, cut sa secte qui différait des autres. Cette divifion dura jusqu'à Constantin : & au temps du grand concile de Nicée, tous ces petits partis furent étouffés par les deux grandes fectes des omoioufiens & des omoufiens, les premiers tenant pour Arius & Eufebe, les feconds pour Alexandre & Athanafe; & c'était le procès de l'ombre de l'âne perfonne n'y comprenait rien. Conftantin lui-même avait fenti le ridicule de la difpute, & avait écrit aux deux partis qu'il était honteux de fe quereller pour un fujet fi frivole. Plus la difpute était abfurde, plus elle devint fanglante; une diphthongue de plus ou de moins ravagea l'empire romain trois cents années.

X X.

Dès le quatrième fiècle, l'Eglife d'Orient commence à fe féparer de celle d'Occident tous les

évêques orientaux affemblés à Philippopoli, en 342, excommunient l'évêque de Rome Jules. Et la haine qui a été depuis irréconciliable entre les prêtres chrétiens qui parlent grec, & les prêtres chrétiens qui parlent latin, commence à éclater. On oppose par-tout concile à concile, & le St Efprit, qui les infpire, ne peut empêcher que quelquefois les pères ne fe battent à coups de bâton. Le fang coule de tous côtés fous les enfans de Conftantin, qui étaient des monftres de cruauté comme leur père. L'empereur Julien, le philofophe, ne peut arrêter les fureurs des chrétiens. On devrait avoir continuellement fous les yeux la cinquante-deuxième lettre de ce grand empereur.

"Sous mon prédéceffeur, plufieurs chrétiens " ont été chaffés, emprifonnés, perfécutés; on "a égorgé une grande multitude de ceux qu'on " nomme hérétiques à Samozate en Paphlagonie, " en Bithinie, en Galatie, en plufieurs autres pro"vinces; on a pillé, on a ruiné des villes. Sous "mon règne au contraire les bannis ont éte rappelés, "les biens confifqués ont été rendus. Cependant "ils font venus à ce point de fureur, qu'ils fe "plaignent de ce qu'il ne leur eft plus permis " d'être cruels, & de fe tyrannifer les uns les autres. X X I.

On fait affez que l'impitoyable Théodofe, foldat espagnol parvenu à l'empire, cruel comme Sylla & diffimulé comme Tibere, feignit d'abord de pardonner au peuple de Theffalonique, ville où il avait reçu le baptême. Ce peuple était coupable d'une fédition arrivée en 390 dans les jeux du cirque. Mais au

bout de fix mois, après avoir promis de tout oublier, il invita le peuple à de nouveaux jeux ; & dès que le cirque fut rempli, il le fit entourer de foldats, avec ordre de maffacrer tous les fpectateurs fans pardonner à un feul. On ne croit pas qu'il y ait jamais eu fur la terre une action fi abominable. Cette horreur de fang-froid, qui n'eft que trop vraie, ne paraît pas être dans la nature humaine: mais ce qui eft plus contraire encore à la nature, c'eft que des foldats aient obéi, & que pour une folde modique, ces monftres aient égorgé quinze mille perfonnes fans défense, vieillards, femmes & enfans.

Quelques auteurs, pour excufer Théodofe, difent qu'il n'y eut que fept mille hommes de maffacrés ; mais il eft auffi permis d'en compter vingt mille que de réduire le nombre à fept Certes il eût mieux valu que ces foldats euffent tué l'empereur Théodose, comme ils en avaient tué tant d'autres, que d'égorger quinze mille de leurs compatriotes. Le peuple romain n'avait point élu cet espagnol pour qu'il le maffacrât à fon plaifir. Tout l'empire fut indigné contre lui & contre fon miniftre Rufin, principal inftrument de cette boucherie. Il craignit que quelque nouveau concurrent ne faisît cette occafion pour lui arracher l'empire; il courut foudain en Italie, où l'horreur de fon crime foulevait tous les efprits contre lui; & pour les apaifer, il s'abftint pendant quelque temps d'entrer dans l'églife de Milan. Ne voilà-t-il pas une plaifante réparation! expie-t-on le fang de fes fujets en n'allant point à la meffe? Toutes les hiftoires eccléfiaftiques, toutes les déclamations fur l'autorité de l'Eglife célèbrent la pénitence de

Théodofe;

Théodofe; & tous les précepteurs des princes catholiques propofent encore aujourd'hui pour

pour modèles, à leurs élèves, les empereurs Théodofe & Conftantin, c'est-à-dire les deux plus fanguinaires tyrans qui aient fouillé le trône des Titus, des Trajan, des Marc-Aurèle, des Alexandre-Sévère & du philofophe Julien, qui ne fut jamais que combattre & pardonner.

X X I I.

C'eft fous l'empire de ce Théodofe qu'un autre tyran nommé Maxime, pour engager dans fon parti les évêques efpagnols, leur accorde en 383 le fang de Prifcillien & de fes adhérens, que ces évêques poursuivaient comme hérétiques. Quelle était l'héréfie de ces pauvres gens? on n'en fait que ce que leurs ennemis leur reprochaient. Ils n'étaient pas de l'avis des autres évêques, & fur cela feul, deux prélats députés par les autres vont à Trèves où était l'empereur Maxime. Ils font donner la queftion, en leur préfence, à Prifcillien & à fept prêtres, & les font périr par la main des bourreaux.

Depuis ce temps la loi s'établit dans l'Eglife chrétienne, que le crime horrible de n'être pas de l'avis des évêques les plus puiffans ferait puni par la mort. Et comme l'héréfie fut jugée le plus grand des crimes, l'Eglife qui abhorre le fang livra bientôt tous les coupables aux flammes; la raifon en est évidente. Il eft certain qu'un homme qui n'eft pas de l'avis de l'évêque de Rome, eft brûlé éternellement dans l'autre monde. DIEU eft jufte; l'Eglise de DIEU doit être jufte comme lui; elle doit donc brûler dans ce monde les corps que DIEU brûle Politique & Légif. Tome I. E

enfuite dans l'autre c'eft une démonftration de théologie.

X X II I.

C'est encore fous le règne de Théodofe, en 415, que cinq cents moines, brûlans d'un divin zèle, font appelés par St Cyrille, pour venir égorger dans Alexandrie tous ceux qui ne croient pas en notre Seigneur JESUS. Ils foulèvent le peuple; ils bleffent à coups de pierres le gouverneur, qui était affez infolent pour vouloir contenir leur faint emportement. Il y avait alors dans Alexandrie une fille nommée Hypatie, qu'on regardait comme un prodige de la nature. Le philofophe Théon fon père lui avait enfeigné les fciences; elle les profeffait à l'âge de vingt-huit ans ; & les hiftoriens, même chrétiens, difent que des talens fi rares étaient relevés par une extrême beauté, jointe à la plus grande modeftie: mais elle était de l'ancienne religion égyptienne. Orefte gouverneur d'Alexandrie la protégeait; c'en eft affez. St Cyrille envoie un de fes fous-diacres, nommé Pierre, à la tête des moines & des autres factieux à la maison d'Hypatie; ils brifent les portes; ils la cherchent dans tous les recoins où elle peut être cachée; ne la trouvant point, ils mettent le feu à la maifon : elle s'échappe, on la faifit, on la traîne dans l'église nommée la Céfarée, on la dépouille nue : les charmes de fon corps attendriffent quelques-uns de ces tigres; mais les autres, confidérant qu'elle ne croit pas en JESUS-CHRIST, l'affomment à coups de pierres, la déchirent & traînent fon corps par la ville.

Quel contrafte s'offre jci aux lecteurs attentifs! Cette Hypatie avait enfeigné la géométrie & la

« PreviousContinue »