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Vous ne pouvez vous en défendre, mes Pères, non plus que vous prévaloir des passages de Vasquez' et de Suarez2 que vous m'opposez, où ils condamnent ces meurtres que leurs confrères approuvent. Ces témoignages, séparés du 5 reste de votre doctrine, pourraient éblouir ceux qui ne l'entendent pas assez. Mais il faut joindre ensemble vos principes et vos maximes. Vous dites donc ici que Vasquez ne souffre point les meurtres. Mais que dites-vous d'un autre côté, mes Pères? «Que la probabilité d'un sentiment n'empêche 10 pas la possibilité du sentiment contraire. » Et en un autre lieu, « qu'il est permis de suivre l'opinion la moins probable et la moins sûre, en quittant l'opinion la plus probable et la plus sûre. » Que s'ensuit-il de tout cela ensemble, sinon que nous avons une entière liberté de conscience pour 15 suivre celui qui nous plaira de tous ces avis opposés? Que devient donc, mes Pères, le fruit que vous espériez de toutes ces citations? Il disparaît, puisqu'il ne faut pour votre condamnation que rassembler ces maximes que vous séparez pour votre justification. Pourquoi produisez-vous donc ces 20 passages de vos auteurs que je n'ai point cités, pour excuser ceux que j'ai cités, puisqu'ils n'ont rien de commun? Quel droit cela vous donne-t-il de m'appeler imposteur? Ai-je dit que tous vos Pères sont dans un même dérèglement? Et n'ai-je pas fait voir au contraire que votre principal intérêt 25 est d'en avoir de tous avis pour servir à tous vos besoins? A ceux qui voudront tuer, on présentera Lessius; à ceux qui ne voudront pas tuer, on produira Vasquez, afin que personne ne sorte malcontent et sans avoir pour soi un auteur grave. Lessius parlera en païen de l'homicide, et peut30 être en chrétien de l'aumône. Vasquez parlera en païen de l'aumône, et en chrétien de l'homicide. Mais par le moyen de la probabilité que Vasquez et Lessius tiennent, et

qui rend toutes vos opinions communes, ils se prêteront leurs sentiments les uns aux autres, et seront obligés d'absoudre ceux qui auront agi selon les opinions que chacun d'eux condamne. C'est donc cette variété qui vous confond davantage. L'uniformité serait plus supportable, et 5 il n'y a rien de plus contraire aux ordres exprès de saint Ignace et de vos premiers généraux que ce mélange confus de toutes sortes d'opinions. Je vous en parlerai peut-être quelque jour, mes Pères, et on sera surpris de voir combien vous êtes déchus du premier esprit de votre Institut, et que 10 vos propres généraux ont prévu que le dérèglement de votre doctrine dans la morale pourrait être funeste non seulement à votre Société, mais encore à l'Église universelle.

Je vous dirai cependant que vous ne pouvez pas tirer aucun avantage2 de l'opinion de Vasquez. Ce serait une 15 chose étrange, si, entre tant de Jésuites qui ont écrit, il n'y en avait pas un ou deux qui eussent dit ce que tous les chrétiens confessent. Il n'y a point de gloire à soutenir qu'on ne peut pas tuer pour un soufflet, selon l'Évangile 3; mais il y a une horrible honte à le nier. De sorte que cela vous 20 justifie si peu, qu'il n'y a rien qui vous accable davantage, puisque, ayant eu parmi vous des docteurs qui vous ont dit la vérité, vous n'êtes pas demeurés dans la vérité, et que vous avez mieux aimé les ténèbres que la lumière. Car Vous avez appris de Vasquez, «que c'est une opinion 25 païenne, et non pas chrétienne, de dire qu'on puisse donner un coup de bâton à celui qui a donné un soufflet; que c'est ruiner le Décalogue et l'Évangile, de dire qu'on puisse tuer pour ce sujet ; et que les plus scélérats d'entre les hommes le reconnaissent. » Et cependant vous avez souffert que, 30 contre ces vérités connues, Lessius, Escobar et les autres aient décidé que toutes les défenses que Dieu a faites de

l'homicide n'empêchent point qu'on ne puisse tuer pour un soufflet. A quoi sert-il donc maintenant de produire ce passage de Vasquez contre le sentiment de Lessius, sinon pour montrer que Lessius est un païen et un scélérat, selon 5 Vasquez? Et c'est ce que je n'osais dire. Qu'en peut-on conclure, si ce n'est que Lessius ruine le Décalogue et l'Évangile ; qu'au dernier jour Vasquez condamnera Lessius sur ce point, comme Lessius condamnera Vasquez sur un autre ; et que tous vos auteurs s'élèveront en jugement les 10 uns contre les autres pour se condamner réciproquement dans leurs effroyables excès contre la loi de Jésus-Christ?

Concluons donc, mes Pères, que puisque votre probabilité rend les bons sentiments de quelques-uns de vos auteurs inutiles à l'Église, et utiles seulement à votre politique, ils 15 ne servent qu'à nous montrer par leur contrariété la dupli

cité de votre cœur, que vous nous avez parfaitement découverte, en nous déclarant d'une part que Vasquez et Suarez sont contraires à l'homicide, et de l'autre que plusieurs auteurs célèbres sont pour l'homicide: afin d'offrir deux chemins 20 aux hommes, en détruisant la simplicité de l'esprit de Dieu, qui maudit ceux qui sont doubles de cœur et qui se préparent deux voies: Væ duplici corde, et ingredienti duabus viis ! 2

PENSÉES

Art. XXII.- -1. Première partie : Misère de l'homme 25 sans Dieu.

Seconde partie : Félicité de l'homme avec Dieu.

Autrement. Première partie: Que la nature est corrom-
Par la nature même.3

pue.

Seconde partie : Qu'il y a un réparateur. Par l'Écriture.

Art. XXIV.- - 26. Les hommes' ont mépris pour la religion, ils en ont haine, et peur qu'elle soit vraie. Pour guérir cela, il faut commencer par montrer que la religion n'est point contraire à la raison; vénérable, en donner respect; la rendre ensuite aimable, faire souhaiter aux bons 5 qu'elle fût vraie; et puis, montrer qu'elle est vraie.

Vénérable, parce qu'elle a bien connu l'homme; aimable, parce qu'elle promet le vrai bien.

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Art. I.I. .. Que l'homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté ; qu'il éloigne sa vue 10 des objects bas qui l'environnent; qu'il regarde cette éclatante lumière mise comme une lampe éternelle pour éclairer l'univers; que la terre lui paraisse comme un point, au prix du vaste tour3 que cet astre décrit, et qu'il s'étonne de ce que ce vaste tour lui-même n'est qu'une pointe très délicate 15 à l'égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. Mais si notre vue s'arrête là, que l'imagination passe outre: elle se lassera plus tôt de concevoir que la nature de fournir. Tout ce monde visible n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle 20 idée n'en approche.5 Nous avons beau enfler nos conceptions au delà des espaces imaginables, nous n'enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses. C'est une sphère 7 infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin, c'est le plus grand caractère sensible de 25 la toute-puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée.

Que l'homme, étant revenu à soi, considère ce qu'il est au prix de ce qui est ; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature, et que, de 8 ce petit cachot où 30 il se trouve logé, j'entends l'univers,9 il apprenne à estimer

la terre, les royaumes, les villes et soi-même son juste prix.

Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini? Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu'il recherche dans 5 ce qu'il connaît les choses les plus délicates. Qu'un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ces jambes, du sang dans ces veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes 2 dans ces humeurs, des Io vapeurs 3 dans ces gouttes ; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours; il pensera peut-être que c'est là l'extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là-dedans un abîme 15 nouveau. Je lui veux peindre non-seulement l'univers visible, mais l'immensité qu'on peut concevoir de la nature, dans l'enceinte de ce raccourci d'atome. Qu'il y voie une infinité d'univers, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible; dans 20 cette terre, des animaux, et enfin des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné ; et, trouvant encore dans les autres la même chose, sans fin et sans repos, qu'il se perde dans ces merveilles, aussi étonnantes, dans leur petitesse, que les autres dans leur étendue; car qui 25 n'admirera que notre corps, qui tantôt n'était pas perceptible dans l'univers, imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde, ou plutôt un tout, à l'égard du néant 5 où l'on ne peut arriver?

Qui se considère de la sorte s'effrayera de soi-même, et, 30 se considérant soutenu dans la masse 6 que la nature lui a donnée, entre ces deux abîmes de l'infini et du néant, il tremblera à la vue de ces merveilles; et je crois que, sa

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