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CHAPTER V.-LA BRUYÈRE

LES CARACTÈRES OU LES MŒURS DE CE SIÈCLE

Admonere voluimus, non mordere; prodesse, non laedere; consulere moribus hominum, non officere.—ÉRASME.1

Je rends au public ce qu'il m'a prêté; j'ai emprunté de lui 2 la matière de cet ouvrage : il est juste que l'ayant achevé avec toute l'attention pour la vérité dont je suis capable, et qu'il mérite de moi, je lui en fasse la restitution. Il peut regarder avec loisir ce portrait que j'ai fait de lui d'après nature, et s'il se connaît quelques-uns des défauts que je touche, s'en corriger.3... Ce ne sont point des maximes que j'aie voulu écrire; elles sont comme des lois dans la morale, et j'avoue que je n'ai ni assez d'autorité ni 10 assez de génie pour faire le législateur; je sais même que j'aurais péché contre l'usage des maximes, qui veut qu'à la manière des oracles elles soient courtes et concises. Quelques-unes de ces remarques le sont, quelques autres sont plus étendues on pense les choses d'une manière différente, 15 et on les explique par un tour aussi tout différent, par une sentence, par un raisonnement, par une métaphore ou quelque autre figure, par un parallèle, par une simple comparaison, par un fait 5 tout entier, par un seul trait, par une description, par une peinture: de là procède la longueur ou la 20 brièveté de mes réflexions. Ceux enfin qui font des maximes veulent être crus: je consens, au contraire, que l'on dise de moi que je n'ai pas quelquefois bien remarqué, pourvu que l'on remarque mieux.

:

196

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1. Tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept

I

al

'mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent. Sur ce
qui concerne les mœurs, le plus beau et le meilleur est en-

at cp 196.

"modestie.

levé; l'on ne fait que glaner après les anciens et les habiles 3. edrotic.

d'entre les modernes.

2. Il faut chercher seulement à penser et à parler juste, sans vouloir amener les autres à notre goût et à nos sentiments; c'est une trop grande entreprise.

3. C'est un métier que de faire un livre, comme de faire une pendule; il faut plus que de l'esprit pour être auteur. 10 Un magistrat allait par son mérite à la première dignité, il était homme délié et pratique 3 dans les affaires : il a fait imprimer un ouvrage moral, qui est rare par le ridicule.

4. Il n'est pas si aisé de se faire un nom par un ouvrage parfait, que d'en faire valoir un médiocre par le nom qu'on s'est déjà acquis.

10. Il y a dans l'art un point de perfection, comme de bonté ou de maturité dans la nature. Celui qui le sent et qui l'aime a le goût parfait; celui qui ne le sent pas, et qui aime en deçà ou au delà, a le goût défectueux. Il y a donc un bon et un mauvais goût, et l'on dispute des goûts avec fondement.

20

14. Tout l'esprit d'un auteur consiste à bien définir et à Not so much the bien peindre. MoÏSE, HOMÈRE, PLATON, VIRGILE, HORACE, thought ne sont au-dessus des autres écrivains que par leurs expres- 25 but the sions et par leurs images: il faut exprimer le vrai pour mams of écrire naturellement, fortement, délicatement.

the though
is what,
mature.

15

"Why "mous"? metaphors.

5

Intention ce §.

Le début d'un difficile. ile monor ne v радрено

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so- but who is going to Friends!

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15. On a dû faire du style ce qu'on a fait de l'architecOn a entièrement abandonné l'ordre gothique, que supla barbarie avait introduit pour les palais et pour les temples; 30 of thane witer.

Stun 17 (only bottom)

on a rappelé le dorique, l'ionique et le corinthien; ce qu'on
ne voyait plus que dans les ruines de l'ancienne Rome et de
la vieille Grèce, devenu moderne, éclate dans nos portiques
et dans nos péristyles. De même on ne saurait en écrivant

Life find! 5 rencontrer le parfait et, s'il se peut, surpasser les anciens

count too far!

Satire.

Satire. He decries the qucrints but

20

que par leur imitation.

Combien de siècles se sont écoulés avant que les hommes,
dans les sciences et dans les arts, aient pu revenir au goût
des anciens et reprendre enfin le simple et le naturel ! 1

ΙΟ On se nourrit des anciens et des habiles modernes ; on
les presse, on en tire le plus que l'on peut, on en renfle ses
ouvrages et quand enfin l'on est auteur, et que l'on croit
marcher tout seul, on s'élève contre eux, on les maltraite,
semblable à ces enfants drus et forts d'un bon lait qu'ils ont
15 sucé, qui battent leur nourrice.

ordinairement prouve

que

les anciens

Un auteur moderne 2
nous sont inférieurs en deux manières, par raison et par ex-
emple: il tire la raison de son goût particulier, et l'exemple
de ses ouvrages.

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Il avoue que les anciens, quelque inégaux et peu corrects simply qu'ils soient, ont de beaux traits; il les cite, et ils sont si pris, he is read only beaux qu'ils font lire sa critique.

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because he cites Satire.

Marks the Careful writer

Quelques habiles 3 prononcent en faveur des anciens contre

les modernes ; mais ils sont suspects et semblent juger en 25 leur propre cause, tant leurs ouvrages sont faits sur le goût de l'antiquité: on les récuse."

om.

1 L.B. blames Those qu

17. Entre toutes les différentes expressions qui peuvent
rendre une seule de nos pensées, il n'y en a qu'une qui soit ca habiles.
la bonne. On ne la rencontre pas toujours en parlant ou
30 en écrivant; il est vrai néanmoins qu'elle existe, que tout

ce qui ne l'est point est faible et ne satisfait point un homme
d'esprit qui veut se faire entendre.

They 20. 30. 31

Cause

one's

!

Un bon auteur, et qui écrit avec soin, éprouve souvent

ل

que l'expression qu'il cherchait depuis longtemps sans la Implicity
connaître, et qu'il a enfin trouvée, est celle qui était la plus vers

simple, la plus naturelle, qui semblait devoir se présenter
d'abord et sans effort.

I

Ceux qui écrivent par humeur sont sujets à retoucher à

of cornet leurs ouvrages: comme elle n'est pas toujours fixe, et qu'elle varie en eux selon les occasions, ils se refroidissent bientôt pour les expressions et les termes qu'ils ont le plus aimés. 20. Le plaisir de la critique nous ôte celui d'être vivement touchés de très belles choses. a calme by dsp feeing.

After all the cute

han hav this Jay there is lift noting

a

26. Il n'y a point d'ouvrage si accompli qui ne fondît tout entier au milieu de la critique, si son auteur voulait en croire tous les censeurs qui ôtent chacun l'endroit qui leur plaît le moins.

2

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30. Quelle prodigieuse distance entre un bel ouvrage et
un ouvrage parfait ou régulier! Je ne sais s'il s'en est en-
core trouvé de ce dernier genre. Il est peut-être moins dif-
ficile aux rares génies de rencontrer le grand et le sublime,
que d'éviter toute sorte de fautes. Le Cid n'a eu qu'une 201
voix pour lui à sa naissance, qui a été celle de l'admiration;
il s'est vu plus fort que l'autorité et la politique 3 qui ont
tenté vainement de le détruire; il a réuni en sa faveur des
esprits toujours partagés d'opinions et de sentiments, les
grands et le peuple; ils s'accordent tous à le savoir de mé- 25
moire, et à prévenir au théâtre les acteurs qui le récitent.
Le Cid enfin est l'un des plus beaux poèmes que l'on puisse
faire; et l'une des meilleures critiques 4 qui ait été faite sur
aucun sujet est celle du Cid.

a beautifu work.

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31. Quand une lecture vous élève l'esprit, et qu'elle vous 30
inspire des sentiments nobles et courageux, ne cherchez pas
une autre règle pour juger de l'ouvrage : il est bon, et fait
de main d'ouvrier. 5

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37. Je ne sais si l'on pourra jamais mettre dans des lettres plus d'esprit, plus de tour, plus d'agrément et plus de style que l'on en voit dans celles de BALZAC1 et de VOITURE 2 ; elles sont vides de sentiments qui n'ont régné que depuis leur 5 temps, et qui doivent aux femmes leur naissance. Ce sexe 3 va plus loin que le nôtre dans ce genre d'écrire. Elles trouvent sous leur plume des tours et des expressions qui souvent en nous ne sont l'effet que d'un long travail et d'une pénible recherche; elles sont heureuses dans le choix des Io termes, qu'elles placent si juste que, tout connus qu'ils sont, ils ont le charme de la nouveauté, et semblent être faits seulement pour l'usage où elles les mettent; il n'appartient qu'à elles de faire lire dans un seul mot tout un sentiment, et de rendre délicatement une pensée qui est délicate; elles 15 ont un enchaînement de discours inimitable, qui se suit naturellement, et qui n'est lié que par le sens. Si les femmes étaient toujours correctes, j'oserais dire que les lettres de quelques-unes d'entre elles seraient peut-être ce que nous avons dans notre langue de mieux écrit.

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38. Il n'a manqué à TÉRENCE 4 que d'être moins froid: quelle pureté, quelle exactitude, quelle politesse, quelle élégance, quels caractères! Il n'a manqué à MOLIÈRE que d'éviter le jargon et le barbarisme,5 et d'écrire purement: quel feu, quelle naïveté, quelle source de la bonne plai25 santerie, quelle imitation des mœurs, quelles images, et quel fléau de ridicule! Mais quel homme on aurait pu faire de ces deux comiques !

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52. Ce n'est point assez que les mœurs du théâtre ne soient point mauvaises; il faut encore qu'elles soient dé30 centes et instructives. Il peut y avoir un ridicule si bas et si grossier, ou même si fade et si indifférent, qu'il n'est ni permis au poète d'y faire attention, ni possible aux specta

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