Page images
PDF
EPUB

point trouvé cette princesse dans sa propre gloire? La gloire qu'y a-t-il pour le chrétien de plus pernicieux et de plus mortel? Quel appât plus dangereux? Quelle fumée plus capable de faire tourner les meilleures têtes? Con5 sidérez la princesse; représentez-vous cet esprit qui, répandu par tout son extérieur, en rendait les grâces si vives : tout était esprit, tout était bonté. Affable à tous avec dignité, elle savait estimer les uns sans fâcher les autres; et, quoique le mérite fût distingué, la faiblesse ne se sentait 10 pas dédaignée. Quand quelqu'un traitait avec elle, il semblait qu'elle eût oublié son rang pour ne se soutenir que par sa raison. On ne s'apercevait presque pas qu'on parlât à une personne si élevée; on sentait seulement au fond de son cœur qu'on eût voulu lui rendre au centuple la grandeur 15 dont elle se dépouillait si obligeamment. Fidèle en ses paroles, incapable de déguisement, sûre à ses amis, par la lumière et la droiture de son esprit elle les mettait à couvert des vains ombrages, et ne leur laissait à craindre que leurs propres fautes. Très reconnaissante des services, elle aimait 20 à prévenir les injures par sa bonté; vive à les sentir, facile

à les pardonner. Que dirai-je de sa libéralité? Elle donnait non seulement avec joie, mais avec une hauteur d'âme qui marquait tout ensemble, et le mépris du don, et l'estime de la personne. Tantôt par des paroles touchantes, tantôt 25 même par son silence, elle relevait ses présents; et cet art de donner agréablement, qu'elle avait si bien pratiqué durant sa vie, l'a suivie, je le sais,' jusqu'entre les bras de la mort.

Avec tant de grandes et tant d'aimables qualités, qui eût 30 pu lui refuser son admiration? Mais avec son crédit, avec sa puissance, qui n'eût voulu s'attacher à elle? N'allait-elle pas gagner tous les cœurs, c'est-à-dire la seule chose qu'ont

[ocr errors]

à gagner ceux à qui la naissance et la fortune semblent tout donner; et si cette haute élévation est un précipice affreux pour les chrétiens, ne puis-je pas dire, Messieurs, pour me servir des paroles fortes du plus grave des historiens, « qu'elle allait être précipitée dans la gloire ?» Car quelle créature 5 fut jamais plus propre à être l'idole du monde? Mais ces idoles que le monde adore, à combien de tentations délicates ne sont-elles pas exposées? La gloire, il est vrai, les défend de quelques faiblesses; mais la gloire les défend-elle de la gloire même? Ne s'adorent-elles pas secrètement? o Ne veulent-elles pas être adorées? Que n'ont-elles pas à craindre de leur amour-propre ? Et que se peut refuser la faiblesse humaine, pendant que le monde lui accorde tout? N'est-ce pas là qu'on apprend à faire servir à l'ambition, à la grandeur, à la politique, et la vertu, et la religion, et le 15 nom de Dieu? La modération que le monde affecte n'étouffe pas les mouvements de la vanité : elle ne sert qu'à les cacher; et plus elle ménage le dehors, plus elle livre le cœur aux sentiments les plus délicats et les plus dangereux de la fausse gloire. On ne compte plus que soi-même; et on dit au 20 fond de son cœur : « Je suis, et il n'y a que moi sur la terre.»> En cet état, Messieurs, la vie n'est-elle pas un péril? La mort n'est-elle pas une grâce? Que ne doit-on craindre de ses vices, si les bonnes qualités sont si dangereuses? N'estce donc pas un bienfait de Dieu d'avoir abrégé les tentations 25 avec les jours de MADAME; de l'avoir arrachée à sa propre gloire, avant que cette gloire, par son excès, eût mis en hasard sa modération? Qu'importe que sa vie ait été si courte? Jamais ce qui doit finir ne peut être long. Quand nous ne compterions point ses confessions plus exactes, ses 30 entretiens de dévotion plus fréquents, son application plus forte à la piété dans les derniers temps de sa vie, ce peu

d'heures saintement passées parmi les plus rudes épreuves et dans les sentiments les plus purs du christianisme tiennent lieu toutes seules d'un âge accompli. Le temps a été court, je l'avoue; mais l'opération de la grâce a été forte; mais la 5 fidélité de l'âme a été parfaite. C'est l'effet d'un art consommé de réduire en petit tout un grand ouvrage; et la grâce, cette excellente ouvrière, se plaît quelquefois à renfermer en un jour la perfection d'une longue vie. Je sais que Dieu ne veut pas qu'on s'attende à de tels miracles; IO mais si la témérité insensée des hommes abuse de ses bontés, son bras pour cela n'est pas raccourci et sa main n'est pas affaiblie. Je me confie pour MADAME en cette miséricorde qu'elle a si sincèrement et si humblement réclamée. Il semble que Dieu ne lui ait conservé le jugement 15 libre jusques au dernier soupir, qu'afin de faire durer les témoignages de sa foi. Elle a aimé en mourant le Sauveur Jésus; les bras lui ont manqué plutôt que l'ardeur d'embrasser la croix ; j'ai vu sa main défaillante chercher encore en tombant de nouvelles forces pour appliquer sur ses lèvres ce bien20 heureux signe de notre rédemption: n'est-ce pas mourir entre les bras et dans le baiser du Seigneur? Ah! nous pouvons achever I ce saint sacrifice pour le repos de MADAME avec une pieuse confiance. Ce Jésus en qui elle a espéré, dont elle a porté la croix en son corps par des douleurs si cruelles, 25 lui donnera encore son sang, dont elle est déjà toute teinte, toute pénétrée par la participation à ses sacrements, et par la communion avec ses souffrances.

Mais en priant pour son âme, chrétiens, songeons à nousmêmes. Qu'attendons-nous pour nous convertir? Et quelle 30 dureté est semblable à la nôtre, si un accident si étrange, qui devrait nous pénétrer jusqu'au fond de l'âme, ne fait que nous étourdir pour quelques moments? Attendons-nous

I

que Dieu ressuscite des morts pour nous instruire? Il n'est point nécessaire que les morts reviennent, ni que quelqu'un sorte du tombeau; ce qui entre aujourd'hui dans le tombeau doit suffire pour nous convertir. Car si nous savons nous connaître, nous confessons, chrétiens, que les vérités de 5 l'éternité sont assez bien établies; nous n'avons rien que de faible à leur opposer; c'est par passion, et non par raison,2 que nous osons les combattre. Si quelque chose les em

pêche de régner sur nous, ces saintes et salutaires vérités, c'est que le monde nous occupe; c'est que les sens nous 10 enchantent; c'est que le présent nous entraîne. Faut-il un autre spectacle pour nous détromper et des sens, et du présent, et du monde? La Providence divine pouvait-elle nous mettre en vue, ni de plus près, ni plus fortement,3 la vanité des choses humaines? Et si nos cœurs s'endurcissent après 15 un avertissement si sensible, que lui reste-t-il autre chose, que de nous frapper nous-mêmes sans miséricorde? Prévenons un coup si funeste, et n'attendons pas toujours des miracles de la grâce. Il n'est rien de plus odieux à la souveraine puissance que de la vouloir forcer 4 par des exemples, 20 et de lui faire une loi de ses grâces et de ses faveurs. Qu'y a-t-il donc, chrétiens, qui puisse nous empêcher de recevoir sans différer ses inspirations? Quoi? le charme de sentir est-il si fort que nous ne puissions rien prévoir? Les adorateurs des grandeurs humaines seront-ils satisfaits de leur for- 25 tune, quand ils verront que dans un moment leur gloire passera à leur nom, leurs titres à leurs tombeaux, leurs biens à des ingrats, et leurs dignités peut-être à leurs envieux? Que si nous sommes assurés qu'il viendra un dernier jour où la mort nous forcera de confesser toutes nos erreurs, pour- 30 quoi ne pas mépriser par raison ce qu'il faudra un jour mépriser par force? Et quel est notre aveuglement si, toujours

avançants vers notre fin, et plutôt mourants que vivants, nous attendons les derniers soupirs pour prendre les sentiments que la seule pensée de la mort nous devrait inspirer à tous les moments de notre vie? Commencez aujourd'hui à mépriser 5 les faveurs du monde: et toutes les fois que vous serez dans ces lieux augustes, dans ces superbes palais à qui MADAME donnait un éclat que vos yeux recherchent encore; toutes les fois que, regardant cette grande place qu'elle remplissait si bien, vous sentirez qu'elle y manque, songez que cette 10 gloire que vous admiriez faisait son péril en cette vie, et que dans l'autre elle est devenue le sujet d'un examen rigoureux, où rien n'a été capable de la rassurer que cette sincère résignation qu'elle a eue aux ordres de Dieu, et les saintes humiliations de la pénitence.1

15

2. ORAISON FUNÈBRE

DE LOUIS DE BOURBON,2 PRINCE DE CONDÉ, PRONONCÉE À NOTRE-
DAME, LE IO MARS 1687.

Dominus tecum, virorum fortissime.... Vade in hâc fortitudine tuâ. . . . Ego ero tecum.

Le Seigneur est avec vous, ô le plus courageux de tous les hommes. Allez avec ce courage dont vous êtes rempli. Je serai avec vous. (Juges, VI, 12, 14, 16.)

Monseigneur,3

Au moment que j'ouvre la bouche pour célébrer la gloire immortelle de Louis de Bourbon, prince de Condé, je me sens également confondu, et par la grandeur du sujet, et, s'il m'est permis de l'avouer, par l'inutilité du travail. Quelle 20 partie du monde habitable n'a pas ouï les victoires du prince

de Condé et les merveilles de sa vie? On les raconte par

« PreviousContinue »