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I

le roi d'Angleterre, dont le cœur égale la sagesse, sût que la princesse sa sœur, recherchée de tant de rois, pouvait honorer un trône, il lui vit remplir avec joie la seconde place de France, que la dignité d'un si grand royaume peut 5 mettre en comparaison avec les premières du reste du monde.

Que si son rang la distinguait, j'ai eu raison de vous dire qu'elle était encore plus distinguée par son mérite. Je pour

rais vous faire remarquer qu'elle connaissait si bien la beauté 10 des ouvrages de l'esprit, que l'on croyait avoir atteint la per2, Cp. Causeris fection, quand on avait su plaire à MADAME. Je pourrais Lundi, encore ajouter que les plus sages et les plus expérimentés p.305.

modestie.

admiraient cet esprit vif et perçant, qui embrassait sans peine les plus grandes affaires, et pénétrait avec tant de fa15 cilité dans les plus secrets intérêts. Mais pourquoi m'étendre sur une matière où je puis tout dire en un mot? Le roi, dont le jugement3 est une règle toujours sûre, a estimé la capacité de cette princesse, et l'a mise par son estime audessus de tous nos éloges.

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Cependant, ni cette estime, ni tous ces grands avantages n'ont pu donner atteinte à sa modestie. Toute éclairée qu'elle était, elle n'a point présumé de ses connaissances, et jamais ses lumières ne l'ont éblouie. Rendez témoignage à ce que je dis, vous que cette grande princesse a honorés de 25 sa confiance. Quel esprit avez-vous trouvé plus élevé, mais quel esprit avez-vous trouvé plus docile? Plusieurs, dans la crainte d'être trop faciles, se rendent inflexibles à la raison, et s'affermissent contre elle. MADAME s'éloignait toujours autant de la présomption que de la faiblesse : également 30 estimable, et de ce qu'elle savait trouver les sages conseils, et de ce qu'elle était capable de les recevoir. On les sait bien connaître, quand on fait sérieusement l'étude qui plai

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sait tant à cette princesse ; nouveau genre d'étude et presque inconnu aux personnes de son âge et de son rang; ajoutons, si vous voulez, de son sexe. Elle étudiait ses défauts; elle aimait qu'on lui en fît1 des leçons sincères: marque assurée d'une âme forte, que ses fautes ne dominent pas, et qui ne 5 fauts. craint point de les envisager de près, par une secrète confiance des ressources qu'elle sent pour les surmonter. C'était le dessein d'avancer dans cette étude de sagesse qui la tenait si attachée à la lecture de l'histoire, qu'on appelle avec raison la sage conseillère des princes. C'est là que les plus 10 grands rois n'ont plus de rang que par leurs vertus, et que, dégradés à jamais par les mains de la mort, ils viennent subir, sans cour et sans suite, le jugement de tous les peuples et de tous les siècles. C'est là qu'on découvre que le lustre qui vient de la flatterie est superficiel; et que les fausses 15 couleurs, quelque industrieusement qu'on les applique, ne tiennent pas. Là notre admirable princesse étudiait les devoirs de ceux dont la vie compose l'histoire : elle y perdait insensiblement le goût des romans 3 et de leurs fades héros; et soigneuse de se former sur le vrai, elle méprisait 20 ces froides et dangereuses fictions. Ainsi, sous un visage riant, sous cet air de jeunesse, qui semblait ne promettre que des jeux, elle cachait un sens et un sérieux dont ceux qui traitaient avec elle étaient surpris.

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Scoret.

Aussi pouvait-on sans crainte lui confier les plus grands 25 Could secrets. Loin du commerce des affaires et de la société des hommes, ces âmes sans force aussi bien que sans foi, qui ne savent pas retenir leur langue indiscrète ! «Ils ressemblent,4 dit le Sage, à une ville sans murailles, qui est ouverte de toutes parts,» et qui devient la proie du premier venu. Que 30 MADAME était au-dessus de cette faiblesse ! Ni la surprise, ni l'intérêt, ni la vanité, ni l'appât d'une flatterie délicate,

ou d'une douce conversation, qui souvent, épanchant le cœur, en fait échapper le secret, n'était capable de lui faire. découvrir le sien, et la sûreté qu'on trouvait en cette princesse, que son esprit rendait si propre aux grandes affaires, lui faisait confier les plus importantes.

Ne pensez pas que je veuille, en interprète téméraire des secrets d'État, discourir sur le voyage d'Angleterre,' ni que j'imite ces politiques spéculatifs qui arrangent suivant leurs idées les conseils des rois, et composent sans instruction les 10 annales de leur siècle. Je ne parlerai de ce voyage glorieux que pour dire que MADAME y fut admirée plus que jamais. On ne parlait qu'avec transport de la bonté de cette princesse, qui, malgré les divisions trop ordinaires dans les cours, lui gagna d'abord tous les esprits. On ne pouvait assez louer 15 son incroyable dextérité à traiter les affaires les plus délicates, à guérir ces défiances cachées qui souvent les tiennent en suspens, et à terminer tous les différends d'une manière qui conciliait les intérêts les plus opposés. Mais qui pourrait penser sans verser des larmes aux marques d'estime et de 20 tendresse que lui donna le roi son frère? Ce grand roi,2 plus capable encore d'être touché par le mérite que par le sang, ne se lassait point d'admirer les excellentes qualités de MADAME. O plaie irrémédiable! ce qui fut en ce voyage le sujet d'une si juste admiration est devenu pour ce prince 25 le sujet d'une douleur qui n'a point de bornes. Princesse, le digne lien des deux plus grands rois du monde, pourquoi leur avez-vous été sitôt ravie? Ces deux grands rois se connaissent; c'est l'effet des soins de MADAME : ainsi leurs nobles inclinations concilieront leurs esprits, et la vertu sera entre 30 eux une immortelle médiatrice. Mais si leur union ne perd rien de sa fermeté, nous déplorerons éternellement qu'elle ait perdu son agrément le plus doux et qu'une princesse si

chérie de tout l'univers ait été précipitée dans le tombeau
pendant que la confiance de deux si grands rois l'élevait au
comble de la grandeur et de la gloire.

La grandeur et la gloire ! "Pouvons-nous encore entendre
ces noms dans ce triomphe de la mort? Non, Messieurs, je 5
ne puis plus soutenir ces grandes paroles, par lesquelles l'ar-
rogance humaine tâche de s'étourdir elle-même pour ne pas
apercevoir son néant. Il est temps de faire voir que tout
ce qui est mortel, quoi qu'on ajoute par le dehors pour le
faire paraître grand, est par son fond incapable d'élévation. 10
Écoutez à ce propos le profond raisonnement, non d'un phi-
losophe qui dispute dans une école, ou d'un religieux qui
médite dans un cloître je veux confondre le monde par
ceux que le monde même révère le plus, par ceux qui le
connaissent le mieux, et ne lui veux donner pour le con- 15
vaincre que des docteurs assis sur le trône. «O Dieu, dit le
Roi Prophète,' vous avez fait mes jours mesurables, et ma
substance n'est rien devant vous. » Il est ainsi, chrétiens:
tout ce qui se mesure finit; et tout ce qui est né pour finir
n'est pas tout à fait sorti du néant où il est sitôt replongé. 20
Si notre être, si notre substance n'est rien, tout ce que nous
bâtissons dessus, que peut-il être? Ni l'édifice n'est plus
solide 3 que le fondement, ni l'accident 4 attaché à l'être plus
réel que l'être même. Pendant que la nature nous tient si
bas, que peut faire la fortune pour nous élever? Cherchez, 25
imaginez parmi les hommes les différences les plus remar-
quables; vous n'en trouverez point de mieux marquée, ni
qui vous paraisse plus effective que celle qui relève le victo-
rieux au-dessus des vaincus qu'il voit étendus à ses pieds.
Cependant ce vainqueur, enflé de ses titres, tombera lui- 30
même à son tour entre les mains de la mort.
Alors ces
malheureux vaincus rappelleront à leur compagnie leur su-

David

"/ Behold thou hast made my life days as hand breadth; my life-tims in nothing before thee

and

5

perbe triomphateur; et du creux de leur tombeau sortira cette voix qui foudroie toutes les grandeurs : «Vous voilà blessé I comme nous; vous êtes devenu semblable à nous. » Que la fortune ne tente donc pas de nous tirer du néant, ni de forcer la bassesse de notre nature.

Mais peut-être, au défaut de la fortune, les qualités de l'esprit, les grands desseins, les vastes pensées pourront nous distinguer du reste des hommes. Gardez-vous bien de le

4 L'ander de croire, parce que toutes nos pensées qui n'ont pas Dieu pour la foi

10 objet sont du domaine de la mort. (( Ils mourront,2 dit le Roi Prophète, et en ce jour périront toutes leurs pensées ; » -c'est-à-dire les pensées des conquérants, les pensées des politiques, qui auront imaginé dans leurs cabinets des desseins où le monde entier sera compris. Ils se seront munis 15 de tous côtés par des précautions infinies; enfin ils auront tout prévu, excepté leur mort, qui emportera en un moment toutes leurs pensées. C'est pour cela que l'Ecclésiaste, le roi Salomon, fils du roi David (car je suis bien aise de vous faire voir la succession de la même doctrine dans un même 20 trône); c'est, dis-je, pour cela que l'Ecclésiaste, faisant le dénombrement des illusions qui travaillent les enfants des hommes, y comprend la sagesse même. « Je me suis,3 dit-il, appliqué à la sagesse, et j'ai vu que c'était encore une vanité,» parce qu'il y a une fausse sagesse qui, se renfermant dans 25 l'enceinte des choses mortelles, s'ensevelit avec elles dans le néant. Ainsi je n'ai rien fait pour MADAME, quand je vous ai représenté tant de belles qualités qui la rendaient admirable au monde, et capable des plus hauts desseins où une princesse puisse s'élever. Jusqu'à ce que je commence à 30 vous raconter ce qui l'unit à Dieu, une si illustre princesse ne paraîtra dans ce discours que comme un exemple, le plus grand qu'on se puisse proposer, et le plus capable de per

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