Page images
PDF
EPUB
[graphic][merged small][merged small]

Le roi des animaux se mit un jour en tête
De giboyer: il célébroit sa fête.

Le gibier du lion, ce ne sont pas moineaux.

Mais beaux et bons sangliers, daims et cerfs bons et beaux.

Pour réussir dans cette affaire,

Il se servit du ministère

De l'àne à la voix de Stentor.

L'âne à messer lion fit office de cor.

Le lion le posta, le couvrit de ramée,

Lui commanda de braire, assuré qu'à ce son
Les moins intimidés fuiroient de leur maison.
Leur troupe n'étoit pas encore accoutumée
A la tempête de sa voix;

L'air en retentissoit d'un bruit épouvantable :
La frayeur saisissoit les hôtes de ces bois;
Tous fuyoient, tous tomboient au piége inévitable
Où les attendoit le lion.

N'ai-je pas bien servi dans cette occasion?

Dit l'âne en se donnant tout l'honneur de la chasse. —

Oui, reprit le lion, c'est bravement crié :

Si je ne connaissois ta personne et ta race,
J'en serois moi-même effrayé.

L'àne, s'il eût osé, se fût mis en colère,
Encor qu'on le raillât avec juste raison;
Car qui pourroit souffrir un âne fanfaron?
Ce n'est pas là leur caractère.

[graphic]
[graphic][subsumed][merged small][merged small]

Si ce qu'on dit d'Esope est vrai,
C'étoit l'oracle de la Grèce

Lui seul avoit plus de sagesse

Que tout l'aréopage. En voici pour essai
Une histoire des plus gentilles,
Et qui pourra plaire au lecteur.

Un certain homme avoit trois filles,
Toutes trois de contraire humeur :
Une buveuse, une coquette,

La troisième, avare parfaite.

Cet homme par son testament,

Selon les lois municipales,

Leur laissa tout son bien par portions égales
En donnant à leur mère tant,

Payable quand chacune d'elles

Ne posséderoit plus sa contingente part.
Le père mort, les trois femelles

[ocr errors]

Courent au testament, sans attendre plus tard.
On le lit, on tâche d'entendre

La volonté du testateur;

Mais en vain car comment comprendre
Qu'aussitôt que chacune sœur

Ne possédera plus sa part héréditaire,
Il lui faudra payer sa mère?
Ce n'est pas un fort bon moyen
Pour payer que d'être sans bien.
Que vouloit donc dire le père?

L'affaire est consultée; et tous les avocats,
Après avoir tourné le cas

En cent et cent mille manières,

Y jettent leur bonnet, se confessent vaincus,
Et conseillent aux héritières

De partager le bien sans songer au surplus.
Quant à la somme de la veuve,

Voici, leur dirent-ils, ce que le conseil treuve1:
Il faut que chaque sœur se charge par traité

1 Treuve pour trouve étoit avant La Fontaine très-généralement employé.

On le rencontre dans le Misanthrope.

Du tiers payable à volonté;

Si mieux n'aime la mère en créer une rente,

Dès le décès du mort courante.

La chose ainsi réglée, on composa trois lots:
En l'un, les maisons de bouteille,

Les buffets dressés sous la treille,

La vaisselle d'argent, les cuvettes, les brocs,
Les magasins de malvoisie,

Les esclaves de bouche, et pour dire en deux mots,
L'attirail de la goinfrerie;

Dans un autre, celui de la coquetterie,

La maison de la ville et les meubles exquis,
Les eunuques et les coiffeuses,

Et les brodeuses,

Les joyaux, les robes de prix;

Dans le troisième lot, les fermes, le ménage,
Les troupeaux et le pâturage,

Valets et bêtes de labeur.

Ces lots faits, on jugea que le sort pourroit faire
Que peut-être pas une sœur

N'auroit ce qui lui pourroit plaire.

Ainsi chacune prit son inclination,

Le tout à l'estimation.

Ce fut dans la ville d'Athènes

Que cette rencontre arriva.

Petits et grands, tout approuva

Le partage et le choix; Esope seul trouva

Qu'après bien du temps et des peines

Les gens avoient pris justement

« PreviousContinue »