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Certain fou poursuivoit à coups de pierre un sage.
Le sage se retourne, et lui dit : Mon ami,
C'est fort bien fait à toi, reçois cet écu-ci.
Tu fatigues assez pour gagner davantage;
Toute peine, dit-on, est digne de loyer :
Vois cet homme qui passe, il a de quoi payer;
Adresse-lui tes dons, ils auront leur salaire.
Amorcé par le gain, notre fou s'en va faire
Même insulte à l'autre bourgeois.

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On ne le paya pas en argent cette fois.

Maint estafier accourt: on vous happe notre homme, On vous l'échine, on vous l'assomme.

Auprès des rois il est de pareils fous;
A vos dépens ils font rire le maître.
Pour réprimer leur babil, irez-vous
Les maltraiter? Vous n'êtes pas peut-être
Assez puissant. Il faut les engager
A s'adresser à qui peut se venger.

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Le bon cœur est chez vous compagnon du bon sens;
Avec cent qualités trop longues à déduire,

Une noblesse d'âme, un talent pour conduire
Et les affaires et les gens,

Une humeur franche et libre, et le don d'être amie
Malgré Jupiter même et les temps orageux,
Tout cela méritoit un éloge pompeux :
Il en eût été moins selon votre génie;
La pompe vous déplaît, l'éloge vous ennuie.
J'ai donc fait celui-ci court et simple. Je veux

Y coudre encore un mot ou deux

En faveur de votre patrie :

Vous l'aimez. Les Anglois pensent profondément;
Leur esprit, en cela, suit leur tempérament;
Creusant dans les sujets, et forts d'expériences,
Ils étendent partout l'empire des sciences.
Je ne dis point ceci pour vous faire ma cour :
Vos gens, à pénétrer, l'emportent sur les autres
Même les chiens de leur séjour

Ont meilleur nez que n'ont les nôtres.

Vos renards sont plus fins; je m'en vais le prouver Par un d'eux, qui, pour se sauver,

Mit en usage un stratagème

Non encor pratiqué, des mieux imaginés.

Le scélérat, réduit en un péril extrême,

Et presque mis à bout par ces chiens au bon nez,

Passa près d'un patibulaire.
Là, des animaux ravissants,

Blaireaux, renards, hiboux, race encline à mal faire,
Pour l'exemple pendus, instruisoient les passants.
Leur confrère, aux abois, entre ces morts s'arrange.
Je crois voir Annibal, qui, pressé des Romains,

Met leur chef en défaut, ou leur donne le change,
Et sait, en vieux renard, s'échapper de leurs mains.
Les clefs de meute 1, parvenues

A l'endroit où pour mort le traître se pendit,
Remplirent l'air de cris: leur maître les rompit,
Bien que de leurs abois ils perçassent les nues.
Il ne put soupçonner ce tour assez plaisant.
Quelque terrier, dit-il, a sauvé mon galant;
Mes chiens n'appellent point au delà des colonnes

Où sont tant d'honnêtes personnes.
Il y viendra, le drôle ! Il y vint, à son dam.
Voilà maint basset clabaudant;

Voilà notre renard au charnier se guindant.
Maître pendu croyoit qu'il en iroit de même
Que le jour qu'il tendit de semblables panneaux;
Mais le pauvret, ce coup, y laissa ses houseaux,
Tant il est vrai qu'il faut changer de stratagème!
Le chasseur, pour trouver sa propre sûreté,
N'auroit pas cependant un tel tour inventé;
Non point par peu d'esprit: est-il quelqu'un qui nie
Que tout Anglois n'en ait bonne provision?

Mais le peu d'amour pour la vie
Leur nuit en mainte occasion.

Je reviens à vous, non pour dire
D'autres traits sur votre sujet;

1 Terme de vénerie, pour désigner les chiens qui relèvent de défaut les autres chiens.

2 Genre de chaussures. Expression proverbiale voulant dire qu'il y mourut.

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