Un bûcheron venoit de rompre ou d'égarer Le bois dont il avoit emmanché sa cognée. Cette perte ne put si tôt se réparer Que la forêt n'en fût quelque temps épargnée. De lui laisser tout doucement Il iroit employer ailleurs son gagne-pain; Il laisseroit debout maint chêne et maint sapin Dont chacun respectoit la vieillesse et les charmes. Elle en eut du regret. Il emmanche son fer: Qu'à dépouiller sa bienfaitrice Son propre don fait son supplice. Voilà le train du monde et de ses sectateurs ; On s'y sert du bienfait contre les bienfaiteurs. Qui ne se plaindroit là-dessus? Hélas! j'ai beau crier et me rendre incommode, N'en seront pas moins à la mode. Un renard, jeune encor, quoique des plus madrés, Beau, grand; j'en ai la vue encor toute ravie. Si j'étois quelque peintre ou quelque étudiant, Repartit le renard, j'avancerois la joie Que vous aurez en le voyant Mais venez. Que sait-on? peut-être est-ce une proie Ils vont; et le cheval, qu'à l'herbe on avoit mis, Fut presque sur le point d'enfiler la venelle '. Leur dit Lisez mon nom, vous le pouvez, Messieurs, Le renard s'excusa sur son peu de savoir. Mes parents, reprit-il, ne m'ont point fait instruire ; Ils sont pauvres, et n'ont qu'un trou pour tout avoir; Ceux du loup, gros messieurs, l'ont fait apprendre à lire. Le loup, par ce discours flatté S'approcha. Mais sa vanité Lui coûta quatre dents : le cheval lui desserre Frère, dit le renard, ceci nous justifie Ce que m'ont dit des gens d'esprit : Cet animal vous a sur la mâchoire écrit Que de tout inconnu le sage se méfie. 1 Venelle signifie sentier; et enfiler la venelle signifie proverbialement s'enfuir. |