Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait Prétendoit arriver sans encombre à la ville. Légère et court vêtue, elle alloit à grands pas, Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile, Cotillon simple et souliers plats. Notre laitière, ainsi troussée, Comptoit déjà dans sa pensée Tout le prix de son lait, en employoit l'argent; D'élever des poulets autour de ma maison; S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon. Il étoit, quand je l'eus, de grosseur raisonnable; Va s'excuser à son mari, En grand danger d'être battue. Le récit en farce en fut fait : On l'appela le Pot au lait Quel esprit ne bat la campagne ? Picrochole, Pyrrhus, la laitière, enfin tous, Autant les sages que les fous, Chacun songe en veillant il n'est rien de plus doux; Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes; Tout le bien du monde est à nous. Tous les honneurs, toutes les femmes. Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi : Je m'écarte, je vais détrôner le sophi; On m'élit roi, mon peuple m'aime; Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant : Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même, Je suis Gros-Jean comme devant. Un mort s'en alloit tristement Notre défunt étoit en carrosse porté, Bien et dûment empaqueté, Et vêtu d'une robe, hélas! qu'on nomme bière, 1 L'accident arrivé après la mort de M. de Boufflers, et que Mme de Sévigné a raconté dans une de ses lettres en date du 26 février 1672, a fourni le sujet de cette fable. Que les morts ne dépouillent guère. Et récitoit, à l'ordinaire, Maintes dévotes oraisons, Et des psaumes et des leçons, Et des versets et des répons: Monsieur le mort, laissez-nous faire, On vous en donnera de toutes les façons; Messire Jean Chouart couvoit des yeux son mort, Et des regards sembloit lui dire : Et tant en autres menus coûts. Il fondoit là-dessus l'achat d'une feuillette Un heurt survient: adieu le char. Voilà messire Jean Chouart Qui du choc de son mort a la tête cassée : Le paroissien en plomb entraîne son pasteur; Tous deux s'en vont de compagnie. 1 La Fontaine a écrit propette et non proprette. |