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Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait
Bien posé sur un coussinet,

Prétendoit arriver sans encombre à la ville.

Légère et court vêtue, elle alloit à grands pas,

Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile,

Cotillon simple et souliers plats.

Notre laitière, ainsi troussée,

Comptoit déjà dans sa pensée

Tout le prix de son lait, en employoit l'argent;
Achetoit un cent d'œufs; faisoit triple couvée :
La chose alloit à bien par son soin diligent.
Il m'est, disoit-elle, facile

D'élever des poulets autour de ma maison;
Le renard sera bien habile

S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon.
Le
porc à s'engraisser coûtera peu de son;

Il étoit, quand je l'eus, de grosseur raisonnable;
J'aurai, le revendant, de l'argent bel et bon.
Et qui m'empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau?
Perrette là-dessus saute aussi, transportée :
Le lait tombe; adieu veau, vache, cochon, couvée;
La dame de ces biens, quittant d'un œil marri
Sa fortune ainsi répandue,

Va s'excuser à son mari,

En grand danger d'être battue.

Le récit en farce en fut fait :

On l'appela le Pot au lait

Quel esprit ne bat la campagne ?
Qui ne fait châteaux en Espagne?

Picrochole, Pyrrhus, la laitière, enfin tous,

Autant les sages que les fous,

Chacun songe en veillant il n'est rien de plus doux; Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes;

Tout le bien du monde est à nous.

Tous les honneurs, toutes les femmes.

Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi : Je m'écarte, je vais détrôner le sophi;

On m'élit roi, mon peuple m'aime;

Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant :

Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même, Je suis Gros-Jean comme devant.

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Un mort s'en alloit tristement
S'emparer de son dernier gîte;
Un curé s'en alloit gaiement
Enterrer ce mort au plus vite.

Notre défunt étoit en carrosse porté,

Bien et dûment empaqueté,

Et vêtu d'une robe, hélas! qu'on nomme bière,
Robe. d'hiver, robe d'été,

1 L'accident arrivé après la mort de M. de Boufflers, et que Mme de Sévigné

a raconté dans une de ses lettres en date du 26 février 1672, a fourni le sujet de cette fable.

Que les morts ne dépouillent guère.
Le pasteur étoit à côté,

Et récitoit, à l'ordinaire,

Maintes dévotes oraisons,

Et des psaumes et des leçons,

Et des versets et des répons:

Monsieur le mort, laissez-nous faire,

On vous en donnera de toutes les façons;
Il ne s'agit que du salaire.

Messire Jean Chouart couvoit des yeux son mort,
Comme si l'on eût dû lui ravir ce trésor;

Et des regards sembloit lui dire :
Monsieur le mort, j'aurai de vous
Tant en argent, et tant en cire,

Et tant en autres menus coûts.

Il fondoit là-dessus l'achat d'une feuillette
Du meilleur vin des environs :
Certaine nièce assez propette1
Et sa chambrière Pâquette
Devoient avoir des cotillons.
Sur cette agréable pensée

Un heurt survient: adieu le char.

Voilà messire Jean Chouart

Qui du choc de son mort a la tête cassée :

Le paroissien en plomb entraîne son pasteur;
Notre curé suit son seigneur;

Tous deux s'en vont de compagnie.

1 La Fontaine a écrit propette et non proprette.

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