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L'autre d'un godiveau tout brûlé par dehors,
Dont un beurre gluant inondoit tous les bords.
On s'affied: mais d'abord, noftre Troupe ferrée
Tenoit à peine autour d'une table quarrée :
35 Où chacun malgré foi, l'un fur l'autre porté,
Faifoit un tour à gauche, & mangeoit de costé.
Jugez en cet eftat fi je pouvois me plaire,
Moy qui ne compte rien ni le vin, ni la chere;
Si l'on n'est plus au large affis en un festin,
60 Qu'aux Sermons de Caffaigne, ou de l'Abbé Cotin.

REMARQUES.

VERS 8. Moi qui ne compte rien ni le vin, ni la chere. ] Il auroit pu mettre: Moi qui compte. pour rien & le vin & la chère. Mais il a crû l'autre manière plus conforme à l'ufage. L'un

& l'autre fe peuvent dire. Cependant il femble que l'ufage y ait mis cette différence, qu'après Ne compter pour rien, il faut une négation; & après, Compter pour rien, il faut une affirmation: Je ne compte pour rien ni le vin ni la chère. Moi qui compte pour rien & le vin & la chère. VERS 60. Qu'aux Sermons de me. Il ne put fouffrir que fon Caffaigne, ou de l'Abbé Cotin.] Ce talent pour la Chaire lui fut fut l'Abbé Furetière, qui indiqua contefté. Pour s'en vanger, it à nôtre Auteur les deux maufit une mauvaise Satire contre vais Prédicateurs qui font ici M. Defpréaux, dans laquelle il nommés; l'Abbé Caßaigne & lui reprochoit, comme un grand l'Abbé Cotin, tous deux de l'A- crime, d'avoir imité Horace & cadémie Françoife. Jacques Caf- Juvenal. Cotin ne s'en tint pas faigne, de la Ville de Nimes, là: il publia un Libelle en profe, êtoit Docteur en Théologie, & intitulé: La Critique défintéreffée Prieur de faint Etienne. Il fut fur les Satires du tems; dans lereçu à l'Académie Françoife en quel il chargeoit nôtre Auteur l'année 1661, à la place de Saint- des injures les plus groffières, & Amant & mourut au mois de lui imputoit des crimes imagiMai 1679. Il a fait la Préface naires. Il s'avifa encore maldes Oeuvres de Balzac, qui eft ef- heureufement pour lui, de faire timée: il a encore traduit Sa- entrer Molière dans cette difpute, Lufte, &c. Il eut affés de bon & ne l'épargna pas plus que M. fens pour ne témoigner aucun Defpréaux. Celui-ci ne s'en vanreffentiment contre l'Auteur des gea que par de nouvelles railleSatires, ries, comme on le verra dans les. Satires fuivantes; mais Molière

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L'Abbé Cotiv ne fit pas de mê

Noftre Hofte, cependant, s'adreffant à la Troupe? Que vous semble, a-t-il dit, du gouft de cette foupe? Sentez-vous le citron, dont on a mis le jus,

Avec des jaunes d'œufs meflez dans du verjus ? 65 Ma foy, vive Mignot, & tout ce qu'il apprefte↓ Les cheveux cependant me dreffoient à la teste :

REMARQUES.

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Que ne placés-vous là l'Abbé Cotin.
ED. P. 1740.

VERS 63. Sentez-vous le citren, dont on a mis le jus, &c.] Ces fortes de foupes êtoient alors à la mode, & on les appelloit, des Soupes de l'écu d'argent, C'êtoit l'enfeigne d'un Traiteur qui avoit inventé la manière de les faire.

VERS 65. Ma foy, vive Mignot, &c.] Jacques Mignot, Pa tiffier-Traiteur Maître Queux

de la Maifon du Roi, & Ecuyer de la bouche de la Reine, cruz qu'il êtoit de fon honneur de ne pas fouffrir qu'on traitât d'empoifonneur, un Officier tel que lui. Il donna fa plainte à M. Deffita Lieutenant-Criminel, contre l'Auteur des Satires; mais ni ce Magiftrat, ni M. de Riants, Procureur du Roi, ne voulurent recevoir cette plainte. Ils le renvoièrent en difant que l'injure dont il fe plaignoit, n'êtoit qu'une plaifanterie, dont il devoit rire tout le premier Mignot n'en fut que plus irrité, & pour fe vanger, en fe faifant juffice lui-même, il s'avifa d'un expédient tout nouveau. Il avoit la réputation de faire d'excellens Bifcuits, & tout Paris en envoïoit querir chez lui. Inftruit que l'Abbé Cotin avoit fait une Satire contre M. Despréaux leur

Car Mignot, c'est tout dire, & dans le monde entier : Jamais empoisonneur ne fceut mieux fon métier. J'approuvois tout pourtant de la mine & du gefte, 70 Penfant qu'au moins le vin dûft reparer le refte. Pour m'en éclaircir donc, j'en demande. Et d'abord, Un laquais effronté m'apporte un rouge bord, D'un Auvernat fumeux, qui meflé de Lignage, Se vendoit chez Crenet, pour vin de l'Hermitage;

REMARQUES.

ennemi commun, il la fit imprimer à fes dépens; & quand on venoit acheter des bifcuits, il les envelopoit dans la Feuille qui contenoit la Satire imprimée. Lorfque M. Defpréaux vouloit fe réjouir avec les amis, il envoïoit acheter des bifcuits chés Mignot, pour avoir la Satire de Cotin. Cependant la colère de Mignot s'appaifa, quand il vit que la Satire de M. Despréaux, bien loin de le décrier, comme il le craignoit, l'avoit rendu extrèmement célèbre. En effet, depuis ce tems-là tout le monde vouloit aller chés lui. Mignot gagna du bien dans fa profeffion, & il faifoit gloire d'avouer qu'il devoit fa fortune à M. Defpréaux,

terroir d'Orléans. DE SP.

L'Awvernat, ou Auvernas, eft un vin fort rouge & fumeux qui n'eft bon à boire que dans l'arrière-faifon. Il eft fait de raifins noirs qu'on appelle du même nom, parce que le plant en eft venu d'Auvergne. Le Lignage, eft un vin moins fort en couleur, qui eft fait avec toutes fortes de raifins. Les Cabaretiers mêlent ces deux fortes de vins pour faire leurs vins clairets & rofés de plufieurs couleurs.

VERS 74. Se vendoit chez Crenet.] Fameux Marchand de vin, logé à la Pomme de Pin. DESP.

Le Cabaret de la Pomme de Pin eft vis-à vis l'Eglife de la Magdelaine, près du Pont Notre Dame. Il êtoit déja renommé du tems de Regnier, qui en parle ainfi dans fa X. Satire : Où maints Rubis balays tout rougisfans de vin, Montroient un hac itur à la Pomme de Pin.

VERS 73.Auvernat Lignage, ] Deux fanieux vins du

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75 Et qui rouge & vermeil, mais fade & doucereux,
N'avoit rien qu'un gouft plat, & qu'un déboire affreu
A peine ay-je fenti cette liqueur traîtresse,
Que de ces vins meslez j'ai reconnu l'adreffe.
Toutefois avec l'eau que j'y mets à foison,
80 J'efperois adoucir la force du poison.

Mais qui l'auroit pensé ? pour comble de disgrace,'
Par le chaud qu'il faifoit nous n'avions point de glace
Point de glace, bon Dieu! dans le fort de l'esté !
Au mois de Juin ! Pour moi, j'estois fi transporté,
85 Que donnant de fureur tout le feftin au Diable,
Je me fuis veu vingt fois preft à quitter la table
Et dûft-on m'appeller & fantafque & bouru,
J'allois fortir enfin : quand le roft a paru.

Sur un liévre flanqué de fix poulets étiques, po S'élevoient trois lapins, animaux domestiques,

REMARQUES.

mit le Brouffin dans une furieufe
colère contre Crenet, qu'il ne
menaçoit pas de moins que de
le perdre. C'eft à cet avanture
que l'Auteur fait allufion.

Ibid.
Pour vin de
'Hermitage. Il croît fur un
côteau du Dauphiné près la ville
de Thain, fur le bord du Rhône,
vis-à-vis de Tournon. Un Her-
mitage donne fon nom au ter-
ritoire & au vin qu'on y re-
cueille.

CHANG. Vers 75. Et qui
rouge & vermeil ] Il y avoit : Et
qui rouge en couleur, dans les pre-
mières Editions.

VERS 83. Point. de glace,

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bon Dieu! ] Dans le tems que cette Satire fut faite, l'ufage de la glace n'êtoit pas fi commun en France qu'il l'eft à préfent. Il n'y avoit que ceux qui fe piquoient de délicateffe & de rafinement, qui buffent à la gla ce. Ainfi la plainte, que fait ici le Perfonnage, qui parle, marque bien fon caractère.

VERS 88. -Quand le roft a paru.] Lorfque l'Auteur travailloit à cette Satire, il demanda à M. du Brouffin, s'il falloit dire le Rôt, ou le Rôti. Il répondit qu'on pouvoit dire Pun & l'autre, mais que Rot êtoit plus noble. Servir le Rôt

Qui dés leur tendre enfance élevez dans Paris,
Sentoient encor le chou dont ils furent nourris.
Autour de cet amas de viandes entaffées,
Regnoit un long cordon d'aloüetes pressées,
95 Et fur les bords du plat, fix pigeons étalez
Prefentoient pour renfort leurs fqueletes brûlez.
A cofté de ce plat paroiffoient deux salades,
L'une de pourpier jaune, & l'autre d'herbes fades,
Dont l'huile de fort loin faififfoit l'odorat,
100 Et nageoit dans des flots de vinaigre rofat.
Tous mes Sots à l'instant changeant de contenance,
Ont loué du feftin la fuperbe ordonnance:

REMARQUES.

VERS 92. Sehtoient encor le chou.] Une petite avanture domeftique a fourni l'Auteur l'idée de ce vers & des deux précédens. Un foir il y avoit du monde à fouper chés M. Boileau fon Père. En entrant dans la falle à manger, on fentit une odeur femblable à celle de la foupe aux choux, dont tout le monde fut frappé ; & l'on ne fut point d'où venoit cette odeur,iufqu'à ce que l'on eut fervi le rôt. On décou. vrit au fond du baffin un Lapin nourri aux choux, qui êtoit caché fous le refte de la viande: car on la fervoit alors en piramide. On fit d'abord emporter ce Lapin; mais il avoit répandu par tout une odeur de chou, qui dura tout le refte du repas.

VERS 94. Regnoit un long cordon d'alouetes preffées. ] Comme ce repas fe donnoit en êté, au mois de Juin, les Critiques ont prétendu qu'en ce tems-là on ne

mangeoit pas d'aloliettes. C'eft Bourfaut, qui fait cette objection dans fa Satire des Satires; Comédie imprimée en 1669.

Notre Auteur répondoit, qu'il avoit cu raifon de faire fervir des Alouettes dans ce repas,parce que c'eft un repas donné par un homme d'un goût bizare & extravagant, qui cherche des mets extraordinaires : qu'ainfi, l'on peut préfumer qu'il a donné des Alouettes, quoique mauvaises, dans une faifon où il n'eft pas impoffible d'en avoir, puifqu'il y en a en tout tems: les Alouettes n'êtant pas des Oifeaux de paflage. L'Auteur auroit peutêtre changé cet endroit, fi fes ennemis ne s'êtoient pas fi fort applaudis de cette critique.

IMIT. Vers 96. Leurs (queletes brûlex.] HORACE, dans fon récit d'un Feftin ridicule, applique aux Merles, ce que notre Auteur dit ici des Pigeons : Tum pectore adufto Vidimus& Merulas poni. L. II, Sat. VIII. 90,

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