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mée, que (26) trois des meilleurs Poëtes Latins de ce temps ont bien voulu prendre la peine d'en faire chacun une Ode Latine. Je ne vous en dis pas davantage. Vous ne voudriez pas, fans doute, contre la deffenfe que Dieu en fait, avoir deux poids & deux mefures.

Je vous fupplie, MONSIEUR, de ne pas trouver mauvais qu'un homme de mon âge vous donne ce dernier avis en vrai ami.

On doit avoir du refpect pour le jugement du Public; & quand il s'eft déclaré hautement pour un Auteur, ou pour un Ouvrage, on ne peut gueres le combattre de front & le contredire ouvertement 9 qu'on ne s'expofe à en eftre maltraité. Les vains efforts du Cardinal de Richelieu contre le Cid en font un grand exemple; & on ne peut rien voir de plus heureufement exprimé que ce qu'en dit votre Adverfaire.

En vain contre le Cid un Miniftre fe ligue:
Tout Paris pour Chimene a les yeux de Rodrigue,
L'Academie en corps a beau le cenfurer;
Le public révolté s'obftine à l'admirer.

Jugez par-là, MONSIEUR, de ce que vous devez efperer du mépris que vous tâchez d'infpirer pour les Ouvrages de Monfieur Defpreaux dans vôtre Préface. Vous n'ignorez pas combien ce qu'il a mis au jour a efté bien receu dans le monde, à la Cour, à Paris, dans les Provinces, & même dans tous les Païs étrangers, où l'on entend le François. Il n'eft pas moins certain que tous les bons connoiffeurs (27) trouvent

REMARQUES.

1735. & de 1740. Il y a dans le Recueil des Lettres de M. ARAULD: qui nous foit &c.

(26] trois des meilleurs Poëtes Latins MM. Rollin, Lenglet,

& de Saint-Remy. BROSS.

(27) trouvent le même efprit, Le même art les mêmes agré mens dans les autres Piéces, que dans fes Satires.] C'est ainsi qu'on

le même efprit, le même art, & les mêmes agrémens dans fes autres Piéces, que dans fes Satires. Je ne fçai donc, MONSIEUR, Comment vous vous eftes pû promettre qu'on ne feroit point choqué de vous en voir parler d'une maniere fi oppofée au jugement du Public? Avez-vous crû que fuppofant fans raifon que tout ce que l'on dit librement des defauts de quelque Poëte, doit eftre pris pour médifance, on applaudiroit à ce que vous dites, que ce ne font que ses mé difances qui ont fait rechercher fes Ouvrages avec tant d'empreffement. QQu'il va toûjours terre à terre, comme un Corbeau qui va de charogne en charogne. Que tant qu'il ne fera que des Satires comme celles qu'il nous a données, Horace Juvenal viendront toujours revendiquer plus de la moitié des bonnes chofes qu'il y aura miJes. Que Chapelain, Quinault, Caffagne, & les autres qu'il y aura nommez, prétendront auffi qu'une partie de l'agrément qu'on y trouve, viendra de la celebrité de leurs noms, qu'on fe plaift d'y voir tournez en ridicule. Que la malignité du cœur humain, qui aime tant la médifanee & la calomnie, parce qu'elles élevent fecretement celuy qui lit au deffus de ceux qu'elle rabaisse, dira toûjours que c'est elle qui fait trouver tant de plaifir dans les Ouvrages de Monfieur Defpreaux. &c.

Vous reconnoissez donc, MONSIEUR, que tant de gens qui lifent les Ouvrages de Monfieur Despreaux, les lifent avec grand plaifir. Comment n'avez-vous donc pas vû, que de dire, comme vous faites, que ce qui fait trouver ce plaifir eft la malignité du cœur humain, qui aime la médifance & la calomnie, c'eft attribuer cette méchante difpofition

REMARQUES.

lit cet endroit depuis l'Edition de 1713. conforme en ce point au Recueil des Lettres de M. Armanld. L'Edition de 1794, porte

feulement; trouvent_le_même efprit, le même art, & les mêmes agrémens dans fes autres Ouvreges.

à tout ce qu'il y a de gens d'efprit à la Cour & à Paris?

Enfin, vous devez attendre qu'ils ne feront pas. moins choqués du peu de cas que vous faites de leur jugement, lorfque vous prétendez que Monfieur Defpreaux a fi peu réüffi, quand il a voulu traiter des fujets d'un autre genre que ceux de la Satire, qu'il pourroit y avoir de la malice à luy confeiller de travailler à d'autres Ouvrages.

Il y a d'autres chofes dans voftre Préface que je voudrois que vous n'euffiez point écrites: mais celleslà fuffifent pour m'acquitter de la promeffe que je vous ai faite d'abord de vous parler avec la fincérité d'un Ami chreftien, qui eft fenfiblement touché de voir cette divifion entre deux Perfonnes, qui font tous deux profeffion de l'aimer. Que ne donnerois-je pas pour eftre en état de travailler à leur reconciliation plus heureufement que les gens d'honneur, que vous m'apprenez n'y avoir pas réuffi? Mais mon éloignement ne m'en laiffe guere le moyen. Tout ce que je puis faire, MONSIEUR, eft de demander à Dieu qu'il vous donne à l'un & à l'autre cet efprit de charité & de paix, qui eft la marque la plus affurée des vrais Chreftiens. Il est bien difficile que dans ces contestations on ne commette de part & d'autre des fautes, dont on eft obligé de demander pardon à Dieu. Mais le moyen le plus efficace que nous avons de l'obtenir, c'eft de pratiquer ce que l'Apoftre nous recommande, de nous fupporter les uns les autres, cbacun remettant à fon frere le fujet de plainte qu'il pouvoit avoir contre luy, & nous entrepardonnant, comme le Seigneur nous a pardonné. On ne trouve point d'obftacle à entrer dans des fentimens d'union & de paix, lorfqu'on eft dans cette difpofition: Car l'amour propre ne regne point où regne la charité; & il n'y a que l'amour propre qui nous rende pénible la connoiffance de nos fautes, quand la raifon nous les fait apper Tome I.

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cevoir. Que chacun de vous s'applique cela à foymefme, & vous ferez bientoft bons amis. J'en prie Dieu de tout mon cœur ; & fuis tres-fincerement,

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483

LETTRE

DE

MONSIEUR

DESPRÉAUX

M.

A

ARNAUL D,

Pour le remercier de la Lettre précèdente *.

(1)JE ne fçaurois, MONSIEUR, affez vous témoigner ma reconnoiffance, de la bonté que vous avez euë de vouloir bien permettre, qu'on me montraft la Lettre que vous avez écrite à M. Perrault sur ma derniere Satire. Je n'ai jamais rien lû qui m'ait fait un fi grand plaifir; & quelques injures que ce galant homme m'ait dites, je ne faurois plus lui en vouloir de mal, puifqu'elles m'ont attiré une fi honorable Apologie. Jamais caufe ne fut fi bien défenduë que la mienne. Tout m'a charmé, ravi, édifié dans

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Cette Lettre fut écrite en Juin 1694. BROSS.

Elle parut pour la première fois dans l'Edition de 1713. Elle fe trouve auffi dans le VII. Tome des Lettres de M. Arnauld p. 03. Mais elle n'eft pas tout-àfait conforme à ce qu'elle eft ici. L'Editeur la donne là pour con

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forme à la Lettre originale, que l'on conferve, dit-il. Je rendrai comte des différences, en les annonçant comme CHANGEMENS. (1) CHANG. Je ne sçaurois Monfieur, affez vous témoigner ma reconnoiffance de la bonté &c.] Lett. d'Arn. Je ne faurois affés vous remercier, Monfieur de la bonté &c.

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