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n'en euft des preuves certaines, il ne pourroit croire qu'il ne l'eft pas, fans faire un jugement temeraire trés-criminel contre fon Epoufe.

Cependant, MONSIEUR, comme c'eft de ces deux endroits, que vous avez pris fujet de faire paffer la Satire de Monfieur Defpreaux pour une déclamation contre le mariage, & qui bleffoit l'honnefteré & les bonnes mœurs, jugez fi vous l'avez pû faire fans bleffer vous-mefme la juftice & la charité.

Je trouve dans voftre Preface deux endroits trespropres à juftifier la Satire, quoique ce foit en la blâmant. L'un eft ce que vous dites en la page cinquiefme que tout homme qui compofe une Satire, doit avoir pour but, d'inspirer une bonne Morale; & qu'on ne peut, fans faire tort à Monfieur Defpreaux prefumer qu'il n'a pas eu ce deffein. L'autre eft la réponse que vous faites à ce qu'il avoit dit à la fin de la Préface de fa Satire, que les femmes ne feront pas plus choquées des prédications qu'il leur fait dans cette Satire contre leurs defants, que des Satires que les Predicateurs font tous les jours en chaire contre ces mêmes defauts.

Vous avouez qu'on peut comparer les Satires aveo les Prédications, & qu'il eft de la nature (20) de toutes les deux de combattre les vices: mais que ce ne doit eftre qu'en general, fans nommer les personnes. Or Monfieur Defpreaux n'a point nommé les perfonnes en qui les vices qu'il décrit, fe rencontroient; & on ne peut nier que les vices qu'il a combattus, ne foient de veritables vices. On le peut donc louer avec raifon d'avoir travaillé à infpirer une bonne Morale ; puifque c'en eft une partie de donner de l'hor

REMARQUES.

(20) de toutes les deux ] Il y a dans l'Edition de 1713. de tous bes deux, faute copiée dans tou tes les Editions, qui l'ont fuivic,

excepté dans celles de M. Da Monteil, Celle de 1701. à laquelle je m'attache, eft conforme à l'Edition des Lettres de M. Arnauld.

reur des vices, & d'en faire voir le ridicule. Ce qui fouvent eft plus capable, que les difcours ferieux d'en détourner plufieurs perfonnes, felon cette parole d'un Ancien, (2) Ridiculum acri

Fortiùs ac meliùs magnas plerumque fecat res.

Et ce feroit en vain qu'on objecteroit, qu'il ne s'eft point contenté, dans fon quatrième portrait, de combattre l'avarice en general, l'ayant appliquée à deux perfonnes connues. Car ne les ayant point nommées, il n'a rien appris au public qu'il ne íçûst déja: Or comme ce feroit porter trop loin cette prétendue regle de ne point nommer les perfonnes, que de vouloir qu'il fuft interdit aux Prédicateurs de fe fervir quelquefois d'hiftoires connues de tout le monde, pour porter plus efficacement leurs Auditeurs à fuir de certains vices; ce feroit aufli en abufer que d'étendre cette interdiction jufqu'aux Auteurs de Satires.

Ce n'eft point auffi comme vous le prenez. Vous prétendez que Monfieur Defpreaux a encore nommé les perfonnes dans cette derniere Satire, & d'une maniere qui a déplu aux plus enclins à la médifance. Et toute la preuve que vous en donuez, eft qu'il a fait revenir fur les rangs Chapelain, Cotin, Pradon, Corras, & plufieurs autres: ce qui eft, dites-vous la chofe du monde la plus ennuyeufe, & la plus degoûtante. Pardonnez-moy, fi je vous dis, que vous ne prouvez point du tout par-là ce que vous aviez à prouver. Car il s'agiffoit de fçavoir, fi Monfieur Despreaux n'avoit pas contribué à inspirer une bonne Morale, en blâmant dans fa Satire les mêmes defauts, que les Prédicateurs blâment dans leurs Sermons. Vous aviez répondu que pour infpirer une bonne Morale, foit

REMARQUES.

21) Ridiculum &c.] Horace, Liv. I. Sat. X. 14. BROS.

par les Satires, foit par les Sermons, on doit combattre les vices en general, fans nommer les perfonnes. Il falloit donc montrer, que l'Auteur de la Satire avoit nommé les Femmes dont il combattoit les defauts. Or Chapelain, Cottin, Pradon, Corras, ne font pas des noms de Femmes, mais de Poëtes. Ils ne font donc pas propres à montrer que Monfieur Defpreaux, combattant differens vices de Femmes " ce que vous avoüez luy avoir efté permis, se soit rendu coupable de médifance, en nommant des Femmes particulie res, à qui il les auroit attribués.

Voilà donc, Monfieur Defpréaux juftifié felon vousmême fur le fujet des Femmes, qui est le capital de fa Satire. Je veux bien cependant examiner avec vous, s'il eft coupable de médifance à l'égard des Poëtes.

C'est ce que je vous avouë ne pouvoir comprendre. Car tout le monde a crû jufques icy, qu'un Auteur pouvoit écrire contre un Auteur, remarquant les defauts qu'il croyoit avoir trouvé dans fes Ouvrages, fans paffer pour médifant, pourveu qu'il agiffe de bonne foy, fans luy impofer, & fans le chicaner; lors fur tout qu'il ne reprend que de veritables dé

fauts.

Quand, par exemple, le P. Goulu General des Feuillans, publia il y a plus de foixante ans deux volumes contre les Lettres de Monfieur de Balzac, qui faifoient grand bruit dans le monde, le Public s'en divertit; les uns prenoient parti pour Balzac, les autres pour le Feuillant: mais perfonne ne s'avifa de l'accufer de médifance, & on ne fit point non plus de reproche à Javersac, qui avoit écrit contre l'un & contre l'autre. Les guerres entre les Auteurs paffent pour innocentes, quand elles ne s'attachent qu'à la Critique de ce qui regarde la Littérature, (22) la REMARQUES.

( 22 ) la Grammaire, la Poëfie, l'Eloquence; ] Il y a ains dans

Grammaire, la Poëfie, l'Eloquence; & que l'on n'y mêle point de calomnies & d'injures perfonnelles. Or que fait autre chofe Monfieur Defpreaux à l'égard de tous les Poëtes qu'il a nommés dans fes Satires, Chapelain, Cotin, Pradon, Corras, & autres, finon d'en dire fon jugement, & d'avertir le Public que ce ne font pas des modeles à imiter? Ce qui peut eftre de quelque utilité pour faire éviter leurs defauts, & peut contribuer même à la gloire de la Nation, à qui les Ouvrages d'efprit font honneur, quand ils font bien faits; comme au contraire ç'a efté un deshonneur à la France d'avoir fait tant d'eftime des pitoyables Poëfies de Ronfard.

Celui dont Monfieur Defpreaux a le plus parlé, c'eft Monfieur Chapelain. Mais qu'en a-t-il dit? Il en rend lui-même compte au Public dans fa neuviéme Satire.

(33) Il a tort dira l'un; pourquoi faut-il qu'il nomme Attaquer Chapelain! Ah! c'est un fi bon homme. Balzac en fait l'éloge en cent endroits divers.

Il est vrai, s'il m'euft crû, qu'il n'euft point fait de Versi
Il fe tue à rimer: que n'écrit-il en Profe?

Voilà ce que l'on dit; & que dis-je autre chofe?
En blamant fes Ecrits, ai-je d'un ftile affreux
Diftilé fur fa vie un venin dangereux ?

Ma Mufe, en l'attaquant, charitable & difcrete;
Sçait de l'homme d'honneur diftinguer le Poëte:
Qu'on vante en lui la foi, l'honneur, la probité,
Qu'on prife fa candeur, & fa civilité,
Qu'il foit doux, complaifant, officieux, fincere;
On le veut, j'y fouferis, & fuis preft de me taire.

REMARQUES.

l'Edition de 1713. & dans toutes celles faites depuis, auffi bien que dans le Recueil des Lettres de M. Arnauld, L'Edition de

1701. porte: la Grammaire, Poë fie, Eloquence.

(23) Il a tort, dira l'un ; &c.] Set, IX. Vers 202, & fuiv,

Mais que pour un modele on montre fes écrits,
Qu'il foit le mieux renté de tous les beaux Efprits,
Comme Roy des Auteurs qu'on l'éleve à l'Empire,
Mabile alors s'échauffe, & je brûle d'écrire.

Cependant, MONSIEUR, Vous ne pouvez pas douter que ce ne foit eftre medifant, que de taxer de médifance celuy qui n'en feroit pas coupable. Or fi on prétendoit que Monfieur Defpreaux s'en fuft rendu coupable, en difant que Monfieur Chapelain, quoique d'ailleurs honnefte, civil & officieux, n'eftoit pas un fort bon Poëte, il luy feroit bien aifé de confondre ceux qui lui feroient ce reproche ; il n'auroit qu'à leur faire lire ces Vers de ce grand Poëte fur la belle Agnés.

On voit hors des deux bouts de fes deux courtes manches Sortir à découvert deux mains longues & blanches, Dont les doigts inégaux, mais tous ronds & menus Imitent l'embonpoint des bras ronds & charnus.

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Enfin, MONSIEUR, je ne comprends pas comment vous n'avez point apprehendé, qu'on ne vous appliquât ce que vous dites de Monfieur Defpreaux (24) dans vos Vers; Qu'il croit avoir droit de maltraiter dans fes Satires ce qu'il lui plait, & que la raison a beau Luy crier fans ceffe, que l'équité naturelle nous deffend de faire à autruy ce que nous ne voudrions pas(25) qui nous foit fait à nous-mêmes. Cette voix ne l'émeut point. Car fi vous le trouvez blâmable d'avoir fait paffer la Pucelle & le Jonas pour de méchans Poëmes, pourquoy ne le feriez-vous pas d'avoir parlé avec tant de mépris de fon Ode Pindarique, qui paroift avoir efté fi efti

REMARQUES.

(24) Dans vos Vers. ] Il falloit: Dans votre Préface.

(25) qui nous foit &c.] C'eft ainfi qu'il y a dans la Préface de M. Perrault, & qu'il faut qu'il y

ait. Les Editions de 1701, & de 1713. ont, qu'il nous foit &c. c'eft une faute corrigée par MM. Broffette & Du Monteil, mais rétablie dans les Editions de

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