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La menace, qui termine ce Sonnet, fut fuivie de quelque réalité, fi l'on s'en rapporte à ces quatre Vers:

Dans un coin de Paris, Boileau tremblant & blême, Fut hier bien froté, quoiqu'il n'en dife rien.

Voila ce qu'a produit fon ftile peu chrêtien.
Difant du mal d'autrui, l'on s'en fait à foi-même.

C'est ainsi que commence le Sonnet, que le P. Louis Sanlecque, alors âgé de vingt-cinq ans, & profeffant la Rhétorique au College de Nanterre, compofa, pour faire ja cour au Duc de Nevers, fur les mêmes Rimes que les précédens. Le refte eft à la louange de ce Seigneur, à ce que dit le Supplément de Moreri. Ce fut ce Sonnet, qui valut, (16) comme je l'ai déja dit, au P. Sanlecque, la nomination à l'Evêché de Bethleem, (17) dont il n'a jamais joži. On auroit ici cette Pièce entière, fi j'avois pu la recouvrer. Mais j'en ai fait une recherche inutile. Peut-être n'y perdt'on pas grand'chofe, à juger du tout par le Quatrain, qu'on vient de voir, & dont le deuxième Vers contient une horrible calomnie, (18) que Pra

REMARQUES.

fait ce qu'on doit au Public, à foimême. ] Voilà ce qu'on appelle un Pardon à l'Italienne.

(16) comme je l'ai déja dit.] Voiés l'Avertiffement fur l'Epitre I. Remarques.

(17) dont il n'a jamais joui.] Quoique le P. Sanlecque n'ait ja mais êté réellement Evêque de

Tome I.

Bethleem

fa Famille n'a pas laiflé de le faire peindre avec une foutane violette, ainfi que je l'ai vu chés un de fes Parens.

(18) que Pradon avoit en la noirceur d'inventer. ] Voïés la Remarque fur le Vers 60, de l'E pitre VI. Z

don avoit eu la noirceur d'inventer; & qu'un homme de la robe de Sanlecque devoit encore moins écrire, que tout autre.

M. le Duc de Nevers fe contenta des menaces contenues dans le dernier Vers de fon Sonnet. M. Defpréaux & M. Racine, qui furent, au mois d'Octobre de la même année, choifis par le Roi lui-même pour écrire l'Hiftoire de fon Regne êtoient affurement déja trop bien en Cour pour que perfonne ofat en venir à des voies de fait avec eux, au rifque d'encourir toute l'indignation du Roi. D'ailleurs ( 19 ) M. le Prince fut pourvoir à les menaces de M. le Duc de Nevers n'euffent point de fuite. Son Sonnet n'eut pas plustôt paru, que ce Prince lui fit dire, & même en termes affes durs, qu'il vangeroit, comme faites à lui mêles infultes, qu'on s'aviferoit de faire à deux Hommes d'efprit, qu'il aimoit, & qu'il prenoit fous fa protection. La Querelle n'alla pas plus loin. On n'en parloit même déja plus dans le Public, que la Phédre de Pradon étoit encore au Théatre.

ce que

me,

Quelque mauvaife que fut cette Tragédie, elle ne laiffa pas de paroître d'abord avec éclat & de fe foutenir pendant quelque tems. Ce fut l'effet de la concurrence des deux Tragédies, & des ap

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plaudiffemens exceffifs, dont la Cabale, ameutée par les protecteurs de Pradon, faifoit retentir les Répréfentations de fa Pièce. Ajoutés-y la mauvaife humeur de ceux, qui ne pouvant pas entrer à la Phédre de Racine (& c'étoit le plus grand nombre) alloient à celle de Pradon, que l'on donnoit les mêmes jours. Mais le Public ne tarda pas longtems à decider du mérite de ces deux Ouvrages. La Tragédie de Pradon tomba dans un mépris fi général, qu'on n'a pas ofé la faire reparoître depuis; & celle de Racine, malgré tous les défauts qu'on lui peut juftement reprocher, fut regardée dès-lors, & l'eft encore aujourd'hui, comme ce qu'il a fait de plus parfait, & comme un des Chefs-d'œuvre du Théatre.

Les deux Phédres furent critiqués dans le tems (20) par Subligni, dont la Differtation renferme des Anecdotes, qui ne font point ailleurs, & des réflexions très-folides. Il ne ménage point M. Racine: Il en releve même fouvent les fautes avec trop de malignité ; mais il lui rend juftice & ne parle de fon concurrent que comme d'un Auteur très-méprifable. Il loue pourtant dans Pradon ce qui lui paroît digne d'éloge. En général il condamne le choix du fujet de Phédre, lequel, felon

REMARQUES.

de dire comment la chofe s'êtoit paffée. Il l'avoit certainement appris de M. Defpréaux. Je fuis fûr, autant qu'on peut l'ê tre en matière de Faits, de la vé

rité de celui que je rapporte ici.

(20.) par Subligni, 1 Cet Auteur êtoit un Comédien de la Troupe du Roi. Sa Dissertation fur les Tragédies de Phédre co

lui, bleffe également la Religion & la délicateffe Françoife. A cette décision, qui, partant d'un Comédien, peut être de quelque poids; oppofons celle de M. Arnauld. Ce Docteur ne lut point la Phédre de M. Racine, fans l'admirer. Il convint même que de pareils fpectacles ne feroient point nuifibles aux mœurs. Il défaprouva feulement l'amour d'Hippolite, comme contraire au véritable caractère de ce Prince. En condamnant hautement le choix du fujet de Phédre, Subligni convient pourtant qu'il ne le falloit point altérer. Il aprouve M. Racine d'avoir confervé la principale circonStance, & montre à Pradon qu'il n'a fait qu'une fotife, en feignant que Phedre n'étoit point encore la Femme de Théfée.

REMARQUES.

d'Hippolite fut imprimée à Paris in-12. en 1677. feu M. l'Abbé Granet, Homme de goût & Cri tique très judicieux quand il lui plaifoit de l'être, l'a depuis fait réimprimer dans le Livre utile, qui parut en 1740. à Paris chés Giffey & Bordelet, fous ce titre : RECUEIL DE DISSERTA

TIONS fur plufieurs Tragédies de CORNEILLE & de RACINE; avec des REFLEXIONS pour & contre la critique des Ouvrages d'efprit. Ce font 2. Volumes in-12. La Dissertation dont il s'agit ici, termine le fecond Tome. Il eft encore parlé de Subligny dans la Remarque fur le Vers 53. Epit. VII.

EPISTRE VII.

A M. R A CIN E.

QUE tu fçais bien, Racine, à l'aide d'un Acteur,

Emouvoir, étonner, ravir un Spectateur !
Jamais Iphigenie èn Aulide immolée,
N'a coufté tant de pleurs à la Grece affemblée,

REMARQUES.

VERS I. Que tu fçais bien, Racine. ] JEAN RACINE né à la Ferté-Milon fur la fin de 1639. fut élevé à Port-Roïal, où il s'appliqua tellement à l'étude des anciens Auteurs, que leur Langue lui êtoit devenue auffi familière, que la fienne propre. Il commença à 21. ans à donner des Pièces de Théatre, qui feront à jamais l'honneur de fon fiècle. A ces rares talens, il joignit, dans les dernières années de fa vie, une pieté folide & fincère, qui le fit renoncer aux Mufes profanes, pour fe confa

crer à des objets plus dignes de
lui. Il fut reçu à l'Académie
Françoife en 1673. & mourut le
22. Avril 1699. ED. P. 1735.
Ibid. à l'aide d'un Acteur.]
Les Ennemis même de M. Ra-
cine ont êté forcés de convenir
du grand fuccès de fes Tragédies 5
mais ils ont cru diminuer la ré-
putation de cet illuftre Poëte, en
difant qu'une partie de fa gloi-
re êtoit dûe au jeu des Acteurs,
Ceux d'à préfent ont bien fair
évanouir ce reproche. Cette ré-
flexion, que M. Broffette faifoit
en 1717. eft peut-être aujour

"

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