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Ce volume, depuis longtemps promis, est le fruit du travail de plusieurs années. Je n'en crains pas moins, en le publiant, d'encourir le reproche de m'être encore trop hâté; mais si j'avais voulu attendre le point de maturité nécessaire, il est vraisemblable que je n'aurais jamais été en mesure de l'écrire. Il est, en effet, bien difficile de présenter un si grand nombre de faits dans un enchaînement rigoureux, et de donner à tous une étendue convenable. On risque à chaque instant ou de trop se resserrer ou de s'étendre à l'excès. En outre, dans une composition de ce genre, qui ne peut pas tout embrasser, il faut choisir: et il y a le double danger d'exclure ce qui aurait dû trouver place, et de recevoir

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ce qu'il eût mieux valu rejeter. Comment se flatter d'avoir toujours trouvé le meilleur ordre à suivre, d'avoir préféré les matériaux les plus utiles, enfin d'avoir réussi à mettre de l'unité dans l'ensemble et de la proportion dans les parties? Ce que je puis assurer, c'est que tous mes soins ont tendu sans relâche à ne rien introduire ici qui ne m'ait paru digne d'être conservé, et que j'ai tâché de mesurer à l'importance des œuvres et des hommes la place qu'ils occupent dans l'espace limité que j'avais à remplir.

Comme j'ai voulu que cette esquisse de notre histoire littéraire fît connaître exactement le mouvement des idées et les différents âges de la langue depuis son origine, j'ai emprunté à nos écrivains, même les plus anciens, sans jamais altérer leur langage, le texte de leurs propres pensées, et j'ai toujours choisi ces morceaux avec l'intention de mettre en lumière ce qui pouvait le mieux exprimer l'état des esprits à chacune des époques que j'ai passées en revue. En mêlant avec discrétion les traits généraux de l'histoire nationale et les détails les plus caractéristiques de la vie des écrivains à la critique littéraire, je n'ai rien négligé pour rester fidèle à la méthode neuve et féconde que M. Villemain a inaugurée de nos jours avec tant d'éclat par des livres qui sont des monuments et des modèles. Une nomenclature exacte, des divisions par ordre de genres, des analyses multipliées, des citations faites sans autre vue que le mérite littéraire, ne m'auraient pas conduit au but que je

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désirais atteindre. N'ayant pas et ne devant pas avoir l'ambition de tout dire, ni d'être scrupuleusement didactique, j'ai dû chercher, par d'autres moyens, à donner à cet écrit quelque intérêt et quelque utilité. J'ai pensé qu'en m'attachant surtout aux noms qui méritent d'être retenus et aux œuvres qui ont eu une influence sensible, je pouvais espérer d'exciter une curiosité qui, une fois éveillée, voudrait se satisfaire par la lecture des textes mêmes en d'autres termes, j'ai désiré que ce livre pût être une provocation et une introduction à l'étude de notre littérature.

J'avais une course bien longue à fournir, et pour qu'elle fût plus rapide, je n'ai rien ramassé sur la route d'étranger à mon sujet. En limitant ce travail à la littérature française, je devais laisser dans l'ombre tout ce qui se rapporte aux lettres latines, et même à la poésie provençale, qui ne nous a rien donné ou fort peu de chose, et qui se rattache plus naturellement, par l'analogie de la langue comme par l'influence des sentiments, à l'Italie et à l'Espagne. Ce que je me réservais était encore un fardeau qui suffisait à mes forces. J'avais d'ailleurs à cœur de parler le moins possible sur la foi d'autrui, et de tirer les jugements que j'avais à porter, soit de souvenirs anciens fidèlement gardés, soit d'impressions récentes. J'ai donc rarement cédé à la tentation, bien vive cependant, d'alléguer la parole des maîtres et de me parer de leur dépouille. Il convient, même dans le domaine des lettres, d'user modérément

du bien d'autrui. J'ai été moins scrupuleux sur mes propres ouvrages, où il m'est arrivé de reprendre des pages qui, se trouvant conformes au dessein de celui-ci. pouvaient naturellement s'y placer. Ces reprises, qui sont, au reste, peu nombreuses, étaient presque inévitables, malgré la différence du plan, quand les mêmes matières demandaient à être traitées avec la même étendue.

Il m'a paru convenable de ne pas pousser ce travail au delà des dernières années du dix-huitième siècle. La révolution ouvre une carrière qui n'est pas encore fermée; dans cette nouvelle période, l'appréciation des faits et des hommes est bien délicate: elle réclame des ménagements et des preuves qui veulent plus d'espace que je ne pouvais leur en donner. Je réserve donc ce sujet, sans prendre toutefois l'engagement d'y toucher; et si enfin je l'aborde, il me fournira la matière de tout un volume.

Cet ouvrage, dont la presse saisissait le texte encore humide à mesure que je l'écrivais, comptait déjà près de quatre cents pages imprimées, lorsque l'Histoire littéraire de mon savant et spirituel collègue M. Demogeot a paru; de sorte que je n'ai pu tirer de son travail d'autre profit que le plaisir de le lire. Je dois avouer aussi que je ne connais pas encore le livre publié, il y a quelques années, en Belgique par M. Baron sur le même sujet. Je tenais à conserver toute ma liberté pour composer le

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