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n'ont pas osé la contester. C'est, de tous les hommes de ce temps, celui qui était le mieux doué pour devenir un arbitre, tant il aimait et tant il savait discerner le juste. Ses Discours politiques et militaires, composés dans les loisirs d'un emprisonnement qui dura cinq années, expriment dans un langage nerveux, précis et coloré, les méditations d'un noble esprit attristé, mais non désespéré, qui connaît la profondeur du mal et qui en sait le remède. Malheureusement un des ingrédients de ce remède est la cure de ceux qui crient le plus haut à la maladie : « Médecin, nous dit-il, qui juges ton prochain estre malade, et au lieu de le guérir, tu veux qu'on l'assommes, considère toy un petit, et tu verras que c'est toy-mesme qui as abondance de maladies et très dangereuses penses donc trois fois premier que dire à autruy : Tu es un hérétique. Et à la vérité c'est un mot qui est aujourd'huy fort commun en la bouche de plusieurs, et s'en trouve que si on leur avoit osté l'usage de ceste parole, les patenostres de la ceinture et la haine de leurs cœurs, ils seroient aussi estonnez qu'un avaricieux qui a perdu sa bourse. » On le voit, La Noue pense comme Lhôpital, et il ne dit pas moins bien. Comme lui, il montre les principaux coupables où ils sont, et il les désigne ainsi, sans ménagement: «< Gens de palais qui sous couverture d'une saincte justice font une rapine inexprimable; gouverneurs de villes, de châteaux et provinces qui chargent le peuple pour remplir leurs coffres et entretenir leurs pompes, au lieu de faire reluire en telles administrations les vertus qui sont en eux au soulagement de plusieurs et à l'honneur du maistre; gens de guerre qui traitent leur propre patrie en pays ennemi; gentilshommes qui imaginent que les marques de noblesse soyent de se faire redouter, de battre et prendre d'audace sur leurs sujets tout ce qui leur est commode, comme s'ils estoyent esclaves; grosses citez qui ne font bruit que de leurs priviléges et jettent sur le pauvre peuple champestre toutes les charges et les misères. » Ce déréglement général, cet oubli du devoir dans tous les rangs inquiète le pieux moraliste, qui ne voit de salut pour l'hu

manité que dans la stricte observation de la seule des constitutions qui soit à jamais obligatoire, constitution toujours violée, et cependant impérissable, dont les dix articles ont été promulgués sur le Sinaï. La Noue demande que l'homme obéisse à Dieu, et il croit que Dieu n'autorise pas «< ces guerres pour la religion qui ont fait oublier la religion. » A ses yeux, les vraies colonnes de l'Etat sont la justice, la prudence, la force et la tempérance, avec la piété pour base et fondement : « de sorte, ajoute-t-il, que si elles ne sont affermies par ceste très digne vertu, elles branlent, estant nécessaire de commencer l'œuvre par un tel principe. >>

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Si La Noue, tout homme de guerre qu'il est de profession, ne veut pas la guerre à tout propos, il est bien loin aussi de ceux qui acceptent la paix à tout prix : « Il ne faut pas, dit-il, après avoir blâmé ceux qui ne rêvent que bataille, ressembler à une autre manière de geus qui indifféremment trouvoient toutes paix bonnes, et toutes guerres mauvaises et quand on les assuroit de les laisser en patience manger les choux de leur jardin et serrer leurs gerbes, ils couloient aisément l'un l'autre temps; dussentils encore aux quatre festes annuelles recevoir quelque demi-douzaine de coups de baston. Ils avoient, à mon avis, empacqueté et caché leur honneur et leur conscience au fond d'un coffre. Le bon citoyen doit avoir zèle aux choses publiques, et regarder plus loin qu'à vivoter en ses servitudes honteuses. » Mais s'il n'est pas loisible à un homme de cœur de toujours garder la paix, il ne doit cependant se décider à prendre les armes que contraint par la nécessité : «car la guerre est un remède très violent et extraordinaire, le quel, en guérissant une plaie, en refait d'autres. Pour cette occasion n'en doit-on user qu'extraordinairement : au contraire doit-on toujours désirer la paix. » La rectitude de l'esprit paraît dans ces considérations si justes et si humaines; mais voici un conseil qui ne peut venir que de l'équité d'une âme profondément religieuse : « Certes, un chacun doit se mettre devant les yeux, quand il voit le

royaume embrasé de guerres, l'ire et le courroux de Dieu, et plutôt à l'encontre de soi que contre ses ennemis : car les uns disent, ce sont les huguenots qui par leurs hérésies excitent ses vengeances sur eux les autres repliquent, ce sont les catholiques qui par leur idolatrie les attirent; et en tel discours nul ne s'accuse. » En effet, chacun dit aux autres : « C'est vous qui troublez Israël, » et personne ne songe à se mettre en cause, ni à rechercher avec détachement d'où vient ce châtiment, ou pour parler comme Pasquier, « le jugement de Dieu qui court sur la France. » Mais comment éclairer ces présomptueux esprits qui se croient infaillibles, et ramener ces consciences qui s'estiment pures de toute faute en cédant à toutes leurs passions?

Comme les noms se rapprochent par voie de contraste et d'analogie, celui de Blaise de Montluc arrive naturellement ici à côté du nom de La Noue, l'un le plus impitoyable des chefs catholiques, l'autre le plus humain des chefs protestants, tous deux également intrépides, tous deux habiles à bien dire. Dans le récit de ses campagnes auquel il a donné, après César, le nom de Commentaires, Montluc est incomparable pour la description des batailles et pour les harangues militaires. Sa plume est d'acier, comme son épée, comme son âme. Personne n'a tué les ennemis de Dieu plus vertueusement: son seul regret est de ne pas en avoir tué davantage : « Quant aux huguenots, dit-il, je leur ai fait beaucoup de mal, et si n'en ay-je pas fait assez, ni tant que j'eusse voulu. » Il faut voir dans Montluc le tableau de la bataille de Ver pour prendre une juste idée du soldat et de l'écrivain, de ce courage que rien n'ébranle, de ce style qui ne bronche jamais. Henri IV appelait ce livre la Bible des capitaines, et, en effet, nulle part ils n'apprendront mieux l'art de réveiller et de soutenir le courage d'une armée et de poursuivre à outrance ses ennemis. Blaise de Montluc montre, par son exemple, combien la supériorité de l'esprit est indépendante de l'étude des lettres, et à quel point, le fanatisme aidant, le cœur d'un homme peut devenir farouche sans cesser d'être loyal.

CHAPITRE V.

Les prédicateurs de la Ligue. Les pamphlétaires. La Satyre Ménippée. - Ses auteurs. Son importance littéraire et politique..

Satire morale. - Mathurin Régnier. Fin du seizième siècle.

Aucune sagesse humaine n'était sans doute capable de prévenir au seizième siècle le choc des partis; la gravité des intérêts en balance et la vivacité des passions religieuses devaient mettre aux prises ces générations de mœurs rudes encore, pour qui la guerre était comme un besoin et presque une fête. On compte jusqu'à huit prises d'armes, suivies de guerres plus ou moins longues, séparées seulement par des trêves toujours inquiètes, dans une période de trente années. Il faut y ajouter l'épisode de la Saint-Barthélemy, boucherie plus meurtrière que la plus sanglante des batailles. La raison ne put se faire jour que lorsque la lutte eût convaincu d'impuissance les prétentions extrêmes, et qu'aucun des partis n'ayant réussi à exterminer le parti contraire, il fallut enfin transiger. Les calvinistes, qui n'avaient ni voulu abandonner ni pu imposer leur foi, gagnèrent à cette transaction pour eux-mêmes et pour tout le monde la liberté de conscience que ni Rome ni Genève n'auraient proclamée, et que la raison d'État fit seule prévaloir. L'intolérance est si naturelle à l'homme, que non-seulement les croyances se combattent à outrance, mais que le scepticisme même et l'indifférence ne laissent pas la foi se produire librement. Dieu a livré le monde aux disputes de l'homme, et les passions de l'homme se disputent volontiers les armes à la main. Nous ne voulons pas que les autres pensent autrement que nous-mêmes, et toutefois, parmi les hommes qui se donnent la peine de penser, combien peu se trouvent d'accord entre eux ! Il semble donc que la diversité des opinions et des croyances est la condition même de la vie des intelligences, et que

l'ordre qu'on recherche par l'unité absolue et par une complète assimilation soit contraire aux vues de la Providence. Comme l'harmonie dans la nature résulte du jeu régulier de forces opposées, ainsi l'ordre des sociétés doit naître de l'action simultanée de forces contraires que la prudence humaine est chargée de tenir en équilibre. Lorsqu'elle manque à sa tâche, les peuples en sont punis par l'anarchie ou par la servitude.

Nos guerres civiles vérifient bien cette loi de l'histoire. Elles contiennent un autre enseignement qu'il importe de recueillir c'est l'impuissance de tous les crimes tentés comme mesures de salut. Il semble que sur toutes les routes qui conduisent aux abimes, Dieu ait placé devant ceux qui s'y sont engagés la nécessité du crime, comme un avertissement. Que signifie cette nécessité? ne crie-telle pas d'une voix assez haute pour arriver jusqu'à la conscience des gens de bien égarés : « Rebroussez chemin : au delà de cet obstacle il y a un précipice où vous tomberez après avoir perdu l'honneur. » Ainsi Charles IX, conduit par sa mauvaise politique, rencontre la nécessité d'un massacre; il passe outre il n'en est pas moins perdu et il est déshonoré; Henri de Guise qui marchait à l'usurpation, rencontre la nécessité de la révolte et du régicide; il accepte la révolte et recule devant le régicide: il se perd sans se déshonorer; Henri III qui fait mal son métier de roi, rencontre la nécessité du meurtre et du guet-apens; il passe outre: il est perdu et déshonoré ; la Ligue attente aux droits de l'Etat, sous prétexte de religion; elle rencontre la nécessité de frapper l'État dans la royauté et dans la magistrature elle n'hésite pas, mais elle se perd, et laisse un souvenir qui serait complétement odieux si on n'y avait pas mêlé le ridicule.

Avant d'arriver à la Satyre Menippée qui lui infligea ce dernier châtiment, à cet incomparable pamphlet qui est un monument vraiment littéraire, il faut dire quelques mots des discours et des libelles qui fomentèrent la sédition, et des répliques qui leur furent opposées avant celle qui les

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