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obligé par les loix à payer ou à faire quelque chose : on le dit enfuite par extenfion de tout ce qu'on doit faire par bienféance, par politeffe, nous devons aprendre ce que nous devons aux autres & ce que les autres nous doivent.

Devoir fe dit encore par extenfion de ce qui arivera, come fi c'étoit une dette qui dût être payée : je dois fortir: inftruifez-vous de ce que vous êtes, de ce que vous n'êtes pas, & de ce que vous devez être, c'est-à-dire, de ce que vous ferez, de ce à quoi vous êtes destiné.

tátum om

nem quem

ex omni

província coáttum

bello Gálli

Notre verbe auxiliaire avoir, que nous avons pris des Italiens, vient dans fon origine Cafar pradu verbe habére, avoir, poffeder. Céfar a dit mifit equiqu'il envoya au devant toute la cavalerie qu'il avoit affemblée de toute la province, quem coactum habébat. Il dit encore dans le même fens avoir les fermes tenues à bon marché, c'eftà-dire, avoir pris les fermes à bon marché, les tenir à bas prix. Dans la fuite on s'eft écarté de cette fignification propre d'avoir, & on a joint ce verbe par métaphore & par abus, à un fupin,à un participe ou adjectifice font des termes abftraits dont on parle come de chofes réelles: amávi, j'ai aimé,hábeo amátum aimé eft alors un fupin,un nom qui marque le fentiment que le verbe fignifie je poffède le sentiment d'ai- A.2.fc.

habebat. Cæfar de co. L. 1. Vectigália parvo prétio redempta habére. Idem ibid. Noftram atiam habent defpicátam.

dolefcén

Ter. Eun.

V.92,

3.

mer, come un autre pofféde fa montre. On eft fi fort acoutumé à ces façons de parler, qu'on ne fait plus atention à l'anciène fignification propre d'avoir; on lui en done une autre qui ne fignifie avoir que par figure, & qui marque en deux mots le même fens que les Latins exprimoient en un feul mot. Nos Grammairiens qui ont toujours raporté notre Grammaire à la Grammaire latine, difent qu'alors avoir est un verbe auxiliaire, parce qu'il aide le fupin ou le participe du verbe à marquer le même tems que le verbe latin fignifie en un feul mot.

Etre, avoir, faire, font les idées les plus fimples, les plus comunes, & les plus intéreffantes pour l'home: or les homes parlent toujours de tout par comparaifon à eux mêmes; delà vient que ces mots ont été le plus détournés à des ufages diférens : être affis, être aimé, &c. avoir de l'argent, avoir peur, avoir honte; avoir quelque chofe faite, & en moins de mots avoir fait.

De plus, les homes réalisent leurs abstractions; ils en parlent par imitation, come ils parlent des objets réels: ainfi ils fe font fervis du mot avoir en parlant de choses inani, mées & de chofes abftraites. On dit cette ville

a deux lieues de tour, cet ouvrage à des défauts ; les paffions ont leur ufage ; il a de l'efprit, il a de la vertu: & enfuite par imitation & par abus, il a aimé, il a lu, &c.

Remarquez en paffant que le verbe a eft alors au préfent, & que la fignification du prétérit n'eft que dans le fupin ou participe. On a fait auffi du motilun terme abftrait qui représente une idée générale, l'être en général: il y a des homes qui difent, illud quod eft, ibi habet homines qui dicunt, dans la bone latinité on prend un autre tour, come nous l'avons remarqué ailleurs.

Notre il dans ces façons de parler répond

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au res des Latins: Própiùs metum res fuerat, la T.LiviL.1. chose avoit été proche de la crainte: c'est-à- n. 25. dire, il y avoit eu fujet de craindre. Res ita fe habet, il est ainfi. Res tua ágitur, il s'agit dé vos intérêts, &c.

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Ce n'eft pas feulement la propriété d'avoir qu'on a atribuée à des êtres inanimés & à des idées abftraites, on leur a auffi atribué celle de vouloir : on dit cela veut dire, au lieu de cela fignifie un tel verbe veut un tel cas ; ce bois ne veut pas bruler cette clé ne veut pas tourner, &c. Ces façons de parler figurées font fi ordinaires, qu'on ne s'aperçoit pas même de la figure.

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La fignification des mots ne leur a pas été donée dans une affemblée générale de chaque peuple, dont le réfultat ait été fignifié à chaque particulier qui eft venu dans le monde ; cela s'est fait infenfiblement & par l'éducation: les enfans ont lié la fignification des mots aux idées que l'ufage leur a fait conoitre que ces mots fignifioient.

1. A mesure qu'on nous a doné du pain, & qu'on nous a prononcé le mot pain; d'un côté le pain a gravé par les yeux fon image dans notre cerveau, & en a excité l'idée : d'un autre côté le fon du mot pain a fait auffi foa impreffion par les oreilles, de forte que ces deux idées acceffoires, c'est-à-dire, excitées en nous en même tems, ne fauroient fe réveiller féparément fans que l'une excite l'au

tre.

2. Mais parce que la conoiffance des au tres mots qui fignifient des abstractions ou - des opérations de l'efprit, ne nous a pas été donée d'une maniére auffi fenfible; que d'ailleurs la vie des homes eft courte, & qu'ils font plus ocupés de leurs befoins & de leur bien être, que de cultiver leur efprit & de perfectioner leur langage; come il y a tant de variété & d'inconftance dans leur fitua

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que

tion, dans leur état, dans leur imagination, dans les diferentes rélations qu'ils ont les uns avec les autres que par la dificulté ; que les homes trouvent à prendre les idées précises de ceux qui parlent, ils retranchent ou ajoutent prefque toujours à ce qu'on leur dit ; d'ailleurs la mémoire n'est ni affez fidèle ni affez fcrupuleufe pour retenir & rendre exactement les mêmes mots & les mêmes fons, & que les organes de la parole n'ont pas dans tous les homes une conformation affez uniforme pour exprimer les fons précisément de la même manière; enfin come les langues ne font point affez fécondes pour fournir à chaque idée un mot précis qui y réponde: de tout cela il eft arivé que les enfans fe font infenfiblement écartés de la manière de parler de leurs péres, come ils fe font écartés de leur manière de vivre & de s'habiller; ils ont lié au même mot des idées diférentes & éloignées, ils ont doné à ce même mot des fignifications empruntées, & y ont ataché un tour diférent d'imaginations ainfi les mots n'ont pu garder long-tems une fimplicité qui les reftraignit à un feul ufage; c'est ce qui a caufé plufieurs irrégularités aparentes dans la Grammaire & dans le régime

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