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Eloq. de la Chaire & du Barreau. L.

III. ch. I.

quelque chofe de la manière comune & fimple de par ler: ce qui ne veut dire autre chofe, finon que les Figures font des maniéres de parler éloignées de celles qui ne font pas figurées, & qu'en un mot les Figures font des Figures, & ne font pas ce qui n'eft pas Figures.

D'ailleurs, bien loin que les Figures foient des maniéres de parler éloignées de celles qui font naturéles & ordinaires, il n'y a rien de fi naturel, de fi ordinaire, & de fi comun que les Figures dans le langage des homes. M. de Bretteville après avoir dit que les Figures ne font autre chofe que de certains tours d'expreffion & de penfee dont on ne fe fert point comunément, ajoute » qu'il n'y a rien de fi aifé & de fi >>naturel. J'ai pris souvent plaifir, dit-il, à en» tendre des payfans s'entretenir avec des Fi»gures de difcours fi variées, fi vives, fi éloi» gnées du vulgaire, que j'avois honte d'a

voir fi long-tems étudié l'éloquence, voyant » en eux une certaine Rhétorique de nature ≫ beaucoup plus perfuafive, & plus éloquente » que toutes nos Rhétoriques artificiéles.

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En éfet, je fuis perfuadé qu'il fe fait plus de Figures un jour de marché à la Halle,qu'il ne s'en fait en plufieurs jours d'affemblées académiques. Ainsi, bien loin que les Figures

s'éloignent du langage ordinaire des homes, ce feroient au contraire les façons de parler fans Figures qui s'en éloigneroient, s'il étoit poffible de faire un difcours où il n'y eut que des expreffions non figurées. Ce font encore les façons de parler recherchées, les Figures déplacées, & tirées de loin, qui s'écartent de la maniére comune & fimple de parler ; come les parures afectées s'éloignent de la maniére de s'habiller, qui eft en ufage parmi les honêtes gens.

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Les Apôtres étoient perfécutés, & ils foufroient patienment les perfécutions: Qu'y at'il de plus naturel & de moins éloigné du langage ordinaire, que là peinture que fait

S. Paul de cette fituation & de cette conduite des Apôtres ? » On nous maudit, & nous >> beniffons: on nous perfécute, & nous fou» frons la perfécution on prononce des >> blafphémes contre nous, & nous répon» dons par des priéres. « Quoiqu'il y ait dans ces paroles de la fimplicité, de la naïveté, & qu'elles ne s'éloignent en rien du langage ordinaire cependant elles contiènent une

* Maledícimur, & benedícimus: perfecutiónem pátimur, & fuftinémus: blafphemámur, & obfecrámus. 1. Cor. c. 4

2. 12.

Oraif. fu

de Turène.

fort belle Figure qu'on apèle antithèse', c'est-àdire, opofition: maudire eft oposé à benir : perfécuter à foufrir: blafphèmes à prières.

Il n'y a rien de plus comun que d'adreffer la parole à ceux à qui l'on parle, & de leur faire des reproches quand on n'est pas content de leur conduite. * O Nation incrédule & méchante ! s'écrie Jefus-Chrift, jufques à quand ferai-je avec vous ! Jufques à quand aurai-je à vous foufrir! C'eft une Figure très-fimple qu'on apèle apostrophe.

M. Flêchier au comencement de fon Oraineb. de M. fon funébre de M. de Turène, voulant dòExorde. ner une idée générale des exploits de fon Hé. ros, dit » conduites d'armées, fiéges de pla»ces, prifes de villes, paffages de riviéres

la

»> ataques hardies, retraites honorables, cam-
» pemens bien ordonés, combats foutenus,
» batailles gagnées, énemis vaincus par
» force, diffipés par l'adreffe, laffés par une
sage & noble patience: Où peut-on trou-
»ver tant & de fi puiffans éxemples, que
dans les actions d'un home, &c. «

"

Il me femble qu'il n'y a rien dans ces paroles qui s'éloigne du langage militaire le

O generátio incrédula & pervérfa, Quo ufque ero vobíl Cum! Quo ufque pâtiar vos ! Matt. c. 17.v, 16.

plus fimple; c'eft là cependant une Figure qu'on apèle congeries, amas, affemblage. M. Flêchier la termine en cet éxemple, par une autre Figure qu'on apèle interrogation, qui eft encore une façon de parler fort triviale dans le langage ordinaire.

V. Sc. 30.

Dans l'Andriène de Térence, Simon fe croyant trompé par fon fils, lui dit, Quid ais, Andr. att.. omnium ... Que dis-tu le plus.... vous voyez v. 1. que la propofition n'est point entiére, mais le fens fait voir que ce pére vouloit,dire à fon fils, Que dis-tu le plus méchant de tous les bomes? Ces façons de parler dans lesquelles il eft évident qu'il faut fupléer des mots, pour achever d'exprimer une penfée que la vivacité de la paffion fe contente de faire 'entendre, font fort ordinaires dans le langage des homes. On apèle cette figure Ellipse c'est-à-dire, omiffion.

Il y a,à la vérité,quelques figures qui ne font ufitées que dans le ftile fublime: telle eft la Profopopée, qui confifte à faire parler un mort, une perfone abfente, ou même les chofes inanimées. >> Ce tombeau s'ouvriroit, ces: »offemens fe rejoindroient pour me dire Pourquoi viens-tu mentir pour moi, qui ne » mentis jamais pour perfone Laiffes-moi

Oraif. funebre deM.

de Mon

taufier.

repofer dans le fein de la vérité, & ne viens. » pas troubler ma paix, par la flaterie que » j'ai haïe. « C'est ainfi que M. Flêchier prévient fes auditeurs, & les affure, par cette profopopée, que la flaterie n'aura point de part dans l'éloge qu'il va faire de M. le Duc de Montaufier.

Hors un petit nombre de figures femblables, refervées pour le ftile élevé, les autres fe trouvent tous les jours dans le stile le plus fimple, & dans le langage le plus comun.

Qu'est-ce donc que les figures? Ce mot fe prend ici dans un sens métaphorique. Figure dans le fens propre, c'eft la forme extérieure d'un corps. Tous les corps font étendus, mais outre cette propriété générale d'être étendus, ils ont encore chacun leur figure & leur forme particuliére, qui fait que chaque corps paroit à nos yeux diférent d'un autre corps & il en eft de même des expreffions figurées, elles font d'abord conoitre ce qu'on pense; elles ont d'abord cette propriété générale qui convient à toutes les phrases & à tous les affemblages de mots, & qui confifte à fignifier quelque chofe, en vertu de la conftruction grammaticale; mais de plus les expreffions figurées ont encore une modification particu

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