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qui eft le propre, & qui fe prête enfuite au fens figuré. Les laboureurs du pays latin conoiffoient les bourgeons des vignes & des arbres, & leur avoient doné un nom avant que d'avoir vu des perles & des pierres précieuses: mais come on dona enfuite par figure & par imitation ce même nom aux perles & aux pierres précieuses, & qu'aparemment Cicéron, Quintilien & Mr. Rollin ont vu plus de perles que de bourgeons de vignes, ils ont cru que le nom de ce qui leur étoit plus conu étoit le nom propre, & que le figuré étoit celui de ce qu'ils conoiffoient moins.

Verbi translátio inftitúta eft inópiæ caufâ, frequentáta de. lectatiónis. Nam gemmáre vites, luxúriem effe in herbis latas fégetes, étiam rúftici dicunt. Cic. de Orator L. III. n. 155. aliter xXXVIII.

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Neceffitáte rúftici dicunt gemmam in vítibus. Quid enim dícerent aliud? Quintil. inftit. orat. lib. v111. cap. 6.Metaph.. Gemma eft id quod in arbóribus tuméfcit cum párere incipiunt à geno, id eft, gigno, hinc Margarita & deinceps omnis lapis pretiófus dícitur gemma. quod habet quoque Peróttus cujus hæc funt verba, lapillos gemmas vocavêre à fimilitúdine gemmárum quas in vitibus five ar» bóribus cérnimus, gemmæ enim própriè funt púpuli quos primo vites emittunt : & gemmáre vites dicuntur, dum » gemmas emittunt. « Martinii Lexicon, voce gemma.

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Gemma óculus vitis própriè. 2. gemma deinde generále nomen eft lápidum pretiofórum. Baf. Fabri Thefaur. V. gemma.

Ce

III.

Ce qu'on doit obferver, & ce qu'on doit éviter
dans l'ufage des Tropes, & pourquoi
ils plaifent.

Les Tropes qui ne produisent pas les éfets que je viens de remarquer, font défectueux. Ils doivent furtout être clairs, faciles, fe préfenter naturèlement & n'être mis en œuvre qu'en tems & lieu. Il n'y a rien de plus ridicule en tout genre que l'afectation & le défaut de convenance. Moliére dans fes Précieuses, nous fournit un grand nombre d'e xemples de ces expreffions recherchées & déplacées. La convenance demande qu'on dife fimplement à un laquais, donez des fiéges fans aler chercher le détour de lui dire; voitu Les Prec. rez-nous ici les comodités de la converfation. De plus, Rid. Sc.11 les idées acceffoires ne jouent point, fi j'ofe parler ainfi, dans le langage des Précieufes de Moliére, ou ne jouent point come elles jouent dans l'imagination d'un home fenfé: Le conseiller des graces, pour dire le mi- ibid. Sc.vr. roir : contentez l'envie qu'a ce fauteuil de vous em braffer, pour dire afféyez-vous.

Toutes ces expreffions tirées de loin & hors

C

ibid. Sc.1x

Maniére

de leur place, marquent une trop grande contention d'efprit, & font sentir toute la peine qu'on à eue à les rechercher : elles ne font pas, s'il eft permis de parler ainsi, à l'unif fon du bon fens, je veux dire qu'elles font trop éloignées de la maniére de penfer, de ceux qui ont l'efprit droit & jufte, & qui fentent les convenances. Ceux qui cherchent trop l'ornement dans le difcours tombent fouvent dans ce défaut, fans s'en apercevoir; ils fe favent bon gré d'une expreffion qui leur paroit brillante & qui leur a couté, & fe perfuadent que les autres en doivent être auffi fatisfaits qu'ils le font eux mêmes.

On ne doit donc fe fervir de Tropes que lorfqu'ils fe préfentent naturèlement à l'efprits qu'ils font tirés du fujet; que les idées acceffoires les font naitres ou que les bienséances les infpirent ils plaisent alors, mais il ne faut point les aler chercher dans la vue de plaire.

:

Je ne crois donc pas que ces fortes de figud'enfeigner. res plaifent extrémement, par l'ingénieufe hardiesse Tome II. qu'il y a d'aler au loin chercher des expreffions

P. 247.

étrangères à la place des naturèles, qui font fous la main, fi l'on peut parler ainfi. Quoique ce foit là une pensée de Cicéron, adoptée par

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Mr. Rollin, je crois plutot que les expreffions figurées donent de la grace au difcours, parce

que, come ces deux grands homes le remar quent, elles donent du corps,pour ainsi dire, aux cho ibid.p.24%i fes les plus fpirituéles, & les font prefque toucher au

doit & à l'ail par les images qu'elles en tracent à l'imagination ; en un mot, par les idées fenfibles & acceffoires.

IV.

Suite des Réflexions générales fur le Sens figuré.

1. Il n'y a peut-être point de mot qui ne se prène en quelque fens figuré, c'eft-à-dire,éloigné de fa fignification propre & primitive.

Les mots les plus comuns & qui reviènent fouvent dans le difcours, font ceux qui font pris le plus fréquemment dans un fens figuré, & qui ont un plus grand nombre de ces fortes de fens: tels font corps, ame, têté, couleur, avoir, faire, &c.

11. Un mot ne confervé pas dans la traduc tion tous les fens figurés qu'il a dans la langue originale: chaque langue a des expreffions fi gurées qui lui font particulières, foit parce que ces expreffions font tirées de certains ufages établis dans un pays & inconus dans un autre foit par quelque autre raison pu

rement arbitraire. Les diférens sens figurés du mot voix, que nous avons remarqués, ne font pas tous en ufage en latin, on ne dit Point vox pour fufrage. Nous disons porter envie, ce qui ne feroit pas entendu en latin par ferre invidiam: au contraire, morem gérere alicui eft une façon de parler latine, qui ne feroit pas entendue en françois, fi on fe contentoit de la rendre mot à mot, & que l'on traduifit, porter la coutume à quelqu'un, au lieu de dire, faire voir à quelqu'un qu'on fe conforme à fon gout, à fa maniére de vivre, être complaifant, lui obéïr., Il en eft de même de vicem gérere, verba dare, & d'un grand nombre d'autres façons de parler que j'ai remarquées ailleurs, & que la pratique de la verfion interlineaire aprendra.

Ainfi, quand il s'agit de traduire en une autre langue quelque expreffion figurée, le traducteur trouve souvent que fa langue n'adopte point la figure de la langue originale, alors il doit avoir recours à quelque autre expreffion figurée de fa propre langue, qui réponde, s'il eft poffible, à celle de fon auteur.

Le but de ces fortes de traductions n'eft que de faire entendre la penfée d'un auteur; ainfi on doit alors s'atacher à la pensée & non à la

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