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A

ARTICLE V I.

Sens Propre, Sens Figuré.

Vant

que d'entrer dans le détail de chaque Trope, il eft néceffaire de bien comprendre la diférence qu'il y a entre le fens propre & le fens figuré.

Un mot eft employé dans le discours, ou dans le fens propre, ou en général dans un fens figuré, quel que puiffe être le nom que les Rhéteurs donent enfuite à ce fens figuré.

Le fens propre d'un mot,c'est la première fignification du mot: Un mot eft pris dans le fens propre, lorsqu'il fignifie ce pourquoi il a été premiérement établi; par exemple: Le feu brûle, la lumière nous éclaire, tous ces motslà font dans le fens propre.

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Mais, quand un mot eft pris dans un autre fens, il paroit alors, pour ainfi dire, fous une forme empruntée, fous une figure qui n'est pas fa figure naturèle, c'est-à-dire, celle qu'il a eue d'abord ; alors on dit que ce mot eft au figurés par exemple: Le feu de vos yeux, le feu de l'imagination, la lumière de l'efprit, la clarté d'un difcours.

Mafque dans le fens propre, fignifie une forte de couverture de toile cirée ou de quelque

autre matiére, qu'on fe met fur le visage pour fe déguifer ou pour se garantir des injures de l'air. Ce n'eft point dans ce fens propre que Malherbe prenoit le mot de mafque, lorsqu'il difoit qu'à la Cour il y avoit plus de masques que de vifages: mafques eft là dans un fens figuré, & fe prend pour perfones diffimulées, pour ceux qui cachent leurs véritables fentimens, qui fe démontent, pour ainsi dire,le visage, & prènent des mines propres à marquer une fituation d'efprit & de coeur toute autre que celle où ils font éfectivement.

Ce mot voix, ( vox ) a été d'abord éta bli pour fignifier le fon qui fort de la bouche des animaux, & furtout de la bouche des homes: On dit d'un home, qu'il a la voix mâle ou féminine, douce ou rude, claire ou enrouée, foible ou forte, enfin aiguë, flexible, grêle, caffée, &c. En toutes ces ocafions voix eft pris dans le fens propre, c'eft-à-dire, dans: le fens pour lequel ce mot a été d'abord établi: mais quand on dit que le mensonge ne sauroit étoufer la voix de la vérité dans le fond de nos cœurs, alors voix eft au figuré, il fe prend pour inf Piration intérieure, remords', &c. On dit auffi que tant que le Peuple Juif écouta la voix de Dieu, c'eftà-dire, tant qu'il obéit à fes comandemens,

ilen fut affifté. Les brebis entendent la voix du paf teur, on ne veut pas dire feulement qu'elles reconoiffent fa voix & la diftinguent de la voix d'un autre home, ce qui feroit le fens propres on veut marquer principalement qu'elles lui obéiffent, ce qui eft le fens figuré. La voix du fang, la voix de la nature, c'est-à-dire, les mou vemens intérieurs que nous reffentons à l'ocafion de quelque accident arivé à un parent, &c. La voix du peuple eft la voix de Dieu, c'eftà-dire, , que le fentiment du peuple, dans les matiéres qui font de fon reffort, eft le véritable fentiment.

C'est par la voix qu'on dit fon avis dans les délibérations, dans les élections, dans les af femblées où il s'agit de juger; enfuite, par extenfion, on a apelé voix, le sentiment d'un particulier, d'un Juge; ainfi en ce fens, voix fignifie avis, opinion, fufrage: il a eu toutes les voix, c'est-à-dire, tous les fufrages; briguer les voix, la pluralité des voix ; il vaudroit mieux, s'il étoit poffible, pefer les voix que de les compter, c'est-à-dire, qu'il vaudroit mieux fuivre l'avis de ceux qui font les plus favans & les plus fenfés, que de fe laiffer entrainer au sentiment aveugle du plus grand nombre.

Voix fignifie auffi dans un fens étendu, gémisse

ment, prière. Dieu a écouté la voix de fon peuple, &c. Tous ces diférens fens du mot voix, qui ne font pas précisément le premier fens, qui feul eft le fens propre, font autant de fens figurés.

ARTICLE VII.
Réfléxions générales fur le Sens Figuré.

I.

Origine du Sens Figuré.

A liaison qu'il y a entre les idées accef

Lfoires, je veux dire, entre les idées qui ont

raport les unes aux autres, eft la fource & le principe des divers fens figurés que l'on done aux mots. Les objets qui font fur nous des impreffions, font toujours acompagnés de diférentes circonftances qui nous frapent, & par lefquelles nous défignons fouvent, ou les objets mêmes qu'elles n'ont fait qu'acompagner, ou ceux dont elles nous réveillent le fouvenir. Le nom propre de l'idée acceffoire eft fouvent plus préfent à l'imagination que le nom de l'idée principale, & fouvent auffi ces idées acceffoires, défignant les objets avec plus de circonftances que ne feroient les noms propres de ces objets, les peignent ou avec plus d'énergie, ou avec plus d'agrément. De

fi

là le figne pour la chose fignifiée, la cause pour l'éfet, la partie pour le tout, l'antécédent pour le conféquent, & les autres fortes de tropes dont je parlerai dans la fuite. Come l'une de ces idées ne fauroit être réveillée fans exciter l'autre, il arive que l'expreffion figurée eft auffi facilement entendue que l'on fe fervoit du mot propre ; elle est même ordinairement plus vive & plus agréable quand elle eft employée à propos, parce qu'elle réveille plus d'une image; elle atache ou amuse l'imagination & done aisément à deviner à l'efprit.,

II.

Ufages ou éfets des Tropes.

1. Un des plus fréquens ufages des tropes c'eft de réveiller une idée principale, par le moyen de quelque idée acceffoire : c'eft ainfi qu'on dit cent voiles pour cent vaiffeaux ; cent feux pour cent maifons; il aime la bouteille, c'est-à-dire, il aime le vin;le fer pour l'épée; la plume ou le ftile pour la maniére d'écrire, &c.

2. Les tropes donent plus d'énergie à nos expreffions. Quand nous fomes vivement frapés de quelque pensée, nous nous exprimons rarement avec fimplicité l'objet qui nous ocu

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