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V. 19

M. Boileau dans fon ode fur la prise de
Namur, a dit l'airain pour dire les canons :

Et par cent bouches horribles

L'airain fur ces monts terribles

Vomit le fer & la mort.

L'airain en latin as, fe prend auffi fréquenment pour la monoie, les richeffes: la première monoie des Romains étoit de cuivre : as alienum, le cuivre d'autrui, c'est-à-dire, le bien d'autrui, qui eft entre nos mains, nos dettes, ce que nous devons.

Enfin ara fe prend pour des vafes de cuivre, pour des trompètes, des armes, en un mot, pour tout ce qui fe fait de cuivre.

Dieu dit à Adam, tu es pouffière & tu reGen, c. 3, tourneras en poussière, pulvis es & in púlverem revertéris, c'est-à-dire, tu as été fait de pouf fière, tu as été formé d'un peu de terre. Virgile s'eft fervi du nom de l'éléphant, pour marquer fimplement de l'ivoire ; c'est ainfi

que nous disons tous les jours un caftor, pour dire un chapeau fait de poil de caf

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*Ex auro, folidóque elephanto. Georg. 111. v. 26. Dona dehinc auro grávia fectóque elephanto, n. 111. V. 464.

v. le P. de

con,

tome

4. p. 65.

Le pieux Enée, dit Virgile, * lança fa hafte † avec tant de force contre Mézence, † Haste,piqu'elle perça le bouclier fait de trois plaques que, lance. de cuivre, & qu'elle traverfa les piquures de Montfau toile, & l'ouvrage fait de trois taureaux, c'està-dire, de trois cuirs. Cette façon de parler ne feroit pas entendue en notre langue. Mais il ne faut pas croire qu'il foit permis de prendre indiférenment un nom pour un autre, foit par métonymie, soit par fynecdoque : il faut, encore un coup, que les expreffions figurées foient autorifées par l'ufage; ou du moins que le fens litéral qu'on veut faire entendre, fe préfente naturèlement à l'efprit fans révolter la droite raison, & fans bleffer les oreilles acoutumées à la pureté du langage. Si l'on difoit qu'une armée navale étoit compofée de cent mats, ou de cent avirons, au lieu de dire de cent voiles pour cent vaiffeaux, on se rendroit ridicule : chaque partie ne fe prend pas pour le tout, & chaque nom générique ne fe prend pas pour une espèce particulière,ni tout nom d'espèce pour le genre: c'est l'ufage feul qui done à fon

per orbem * Tum pius Ænéas haftam jacit : illa Are cavum triplici per linea terga, tribúfque Tránfiit intéxtum tauris opus. n. 1. x. v. 7.831

Giiij

8. V.24.

gré ce privilège à un mot plutot qu'à un

autre.

Ainfi, quand Horace a dit que les combats Hor.l.1.od. font en horreur aux méres,bella mátribus deteståta; je fuis perfuadé que ce poète n'a voulu parler précisément que des méres. Je vois une mére alarmée pour fon fils, qu'elle fait être à la guerre, ou dans un combat, dont on vient de lui aprendre la nouvèle: Horace excite ma fenfibilité en me fefant penfer aux alarmes où les méres font alors pour leurs enfans; il me femble même que cette tendreffe des méres eft ici le feul fentiment qui ne foit pas fufceptible de foibleffe ou de quelqu'autre interprétation peu favorable les alarmes d'une maitreffe pour fon amant, n'oferoient pas toujours fe montrer avec la mè me liberté, que la tendreffe d'une mére pour fon fils. Ainfi quelque déférence que j'aie pour le favant P. Sanadon, j'avoue que je ne faurois trouver une fynecdoque de l'espèce dans bella mátribus deteftáta. Le P. Sanadon croit que mátribus comprend ici, même les jeud'Horace, nes filles : voici fa traduction: Les combats, qui Tom. 1.p.7. font pour les femmes un objet d'horreur. Et dans * pag. 12. les remarques il dit, que » les méres redou» tent la guerre pour leurs époux & pour leurs

Poéfics

enfans; mais les jeunes filles, ajoute-t-il, »ne DOIVENT pas moins la redouter pour » les objets d'une tendreffe légitime que la gloire leur enlève, en les rangeant fous les drapeaux de Mars. Cette raison m'a fait prendre matres dans la fignification la plus » étendue, come les poètes l'ont souvent » employé. Il me femble, ajoute-t-il, que ce » fens fait ici un plus bel éfet. «

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Il ne s'agit pas de doner ici des instructions aux jeunes filles, ni de leur aprendre ce qu'elles doivent faire, lorfque la gloire leur enlève les objets de leur tendreffe, en les rangeant fous les drapeaux de Mars; c'est-à-dire, lorfque leurs amans font à la guerre ; il s'agit de ce qu'Horace a pensé: or, il me femble que le terme de méres n'eft rélatif qu'à enfans; il ne l'est pas même à époux, encore moins aux objets d'une tendreffe legitime. J'ajouterois volontiers, que les jeunes filles s'opofent à ce qu'on les confonde fous le nom de méres ; mais pour parler plus férieusement, j'avoue que lorsque je lis dans la traduction du P. Sanadon, que les combats font pour les femmes un objet d'horreur, je ne vois que que des femmes épouvantées; au lieu que les paroles d'Horace me font voir une mére atendrie: ainfi je ne fens point que l'une

de ces expreffions puiffe jamais être l'image de l'autre ; & bien loin que la traduction du P. Sanadon faffe fur moi un plus bel éfet, je regrète le fentiment tendre qu'elle me fait perdre. Mais revenons à la fynecdoque.

Come il eft facile de confondre cette figure avec la métonymie, je crois qu'il ne fera pas inutile d'obferver que ce qui diftingue la fynecdoque de la métonymie, c'est 1°. Que la fynecdoque fait entendre le plus par un mot qui dans le fens propre fignifie le moins, ou au contraire elle fait entendre le moins par un mot qui dans le fens propre marque le plus.

2°. Dans l'une & dans l'autre figure il y a une rélation entre l'objet dont on veut parler & celui dont on emprunte le nom ; car s'il n'y avoit point de raport entre ces objets, il n'y auroit aucune idée acceffoire, & par conféquent point de trope: mais la rélation qu'il y a entre les objets, dans la métonymie, eft de telle forte, que l'objet dont on emprunte le nom fubfifte indépendanment de celui dont il réveille l'idée, & ne forme point un ensemble avec lui: Tel eft le raport qui fe trouve entre la caufe & l'éfet, entre l'auteur & fon ouvrage, entre Cérès & le blé ; entre le contenant & le contenu, come entre la bouteille

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