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LIVRE DEUXIÈME.

LES ARTS, ET PARTICULIÈREMENT L'ICONOGRAPHIE.

Felices errore suo.

(LUCAN., I, 454.)

Portraits à la Chine.

CHAPITRE PREMIER.

A toutes les époques, la peinture de portrait s'est frayé une large voie dans l'art de la Chine, si l'on peut voir dans le passé et dans le présent de ce pays un art réel. Nous avons déjà traité ailleurs ce sujet, dans un écrit spécial sur la peinture au Céleste Empire (1). Il y a eu, comme chez nous, des peintres à tout prix; il y en a eu à résidence, il y en a eu de nomades. Des collections de portraits de personnages célèbres, à l'aquarelle ou en gravure sur bois, abondent dans tous les formats. Un des plus anciens textes chinois, sinon le plus ancien, qui fassent mention de portraits, est le Chou-king, chapitre Yué-ming, qui raconte de l'empereur Kao-Tsoung, 1324 ans avant Jésus-Christ, un fait digne des Mille et une Nuits. L'Empereur du Ciel lui avait fait voir en songe

(1) Les Peintres européens en Chine et les Peintres chinois. Revue CONTEMPORAINE, t. XXV, 1856.

l'homme qu'il devait choisir pour ministre. A son réveil, il fit venir un peintre, lui donna un signalement minutieux du personnage de sa vision; un portrait fut exécuté. On fouilla toutes les terres de l'empire, le portrait à la main, et l'homme fut trouvé dans une province reculée.

On cite quelques règnes sous lesquels les portraits d'hommes illustres ont été en honneur. Ainsi, l'an 51 avant notre ère, Hân-Suen-Ti, empereur de la dynastie des Hân, fit peindre les ministres et les officiers qui avaient contribué à la soumission des peuples tributaires de l'empire. Il fit bâtir en même temps, pour y placer ces portraits, une vaste salle, qu'il appela le pavillon Ki-Lin, du nom sacré de ce cerf fabuleux dont l'apparition annonce le bonheur et n'a lieu que sous les rois vertueux (1). Neuf ans après, un autre empereur, Hân-Ming-Ti, fit faire les portraits de ses ministres et courtisans illustres au nombre de vingt-huit, par allusion aux vingt-huit constellations (2); sorte de Lesché antique, de Valhalla, qui fut renouvelée l'an 1226, par l'empereur Li-Tsoung. Voulant donner un témoignage éclatant de son estime pour le mérite, ce prince fit élever un édifice à deux étages, qu'il appela le Palais de la Vertu, et y fit mettre l'image des vingtquatre lettrés les plus célèbres par leur vertu, leurs talents et leurs services (3). Si la peinture avait tenu lieu de héraut à la politique et à la reconnaissance des

(1) Histoire générale de la Chine, t. III, p. 154.

(2) Ce trait est rapporté dans le Fun-cheo-hân-kien, que le P. de Mailla a analysé pour son Histoire générale, mais il a omis ce passage. (3) Histoire générale de la Chine, t. IX, p. 119.

Portrait inspiré en songe.

Époques où les portraits d'hommes illustres

ont été en honneur.

Palais de la Vertu.

Cabinet chinois

princes, elle fut aussi l'auxiliaire de la haine. Sous l'empereur Ning-Tsoung, l'an 1208 de notre ère, un ministre (1) avait poussé à la guerre contre le Tartare Madacou, roi de Kin. L'empereur, pour faire sa paix avec le Tartare, fit trancher la tête à son ministre et envoya cette tête à l'ennemi. Madacou reçut en grand appareil le trophée sanglant, et, pour repaître ses yeux, ordonna qu'on en peignît plusieurs portraits (2). M. Thiers, un des premiers sinophiles de ce tempsde M. Thiers. ci, et dont le cabinet doit être visité par tout curieux de l'art chinois, a été assez heureux pour trouver une collection très-ancienne de miniatures historiques d'une exécution précieuse et délicate, mais d'auteur inconnu. Ces miniatures exquises et bien conservées ont quelque Iconographie chose du fin sentiment de Hans Holbein. On ne connaît pas non plus le peintre d'une grande iconographie chinoise coloriée, envoyée de Péking, en 1777, par père Amiot, à la bibliothèque de la rue de Richelieu. C'est elle qui a fourni à M. Pauthier le type du Confucius gravé au tome Ier de son livre sur la Chine. L'exécution de cette iconographie est loin d'atteindre à la beauté des miniatures du cabinet de M. Thiers. Un morceau digne aussi de remarque est une soie tissée, vers les premières années du seizième siècle, dans la province de Se-Tchouân, et qui représente Bouddha dans sa gloire, entouré de bonzes. Il y a là une adresse suprême (3).

chinoise.

(1) Nommé Hân-To-Tcheou.

(2) Histoire générale, t. VIII, p. 661.

le

(3) Ce morceau précieux, d'un mètre vingt centimètres de hauteur, appartient à M. Callery, qui l'a reçu de Ki-Ing. Ce dernier l'avait payé mille onces d'argent à Péking.

Les plus magnifiques miniatures chinoises que j'aie vues sont à la bibliothèque du palais Barberini, à Rome. Ce sont quinze ou vingt portraits en pied, représentant la famille impériale de la Chine, depuis l'empereur jusqu'au plus jeune de ses enfants. La tradition du palais Barberini est que ce manuscrit a été envoyé au pape Urbain VIII (1623-1644) par l'empereur lui-même, ce qui veut dire sans doute qu'il a été un hommage des missionnaires européens au souverain pontife. Quoi qu'il en soit, les figures, qui, à l'exception d'une seule, sont en couleur, offrent une telle perfection de composition, de modelé, d'harmonie et d'individualité, que peu d'œuvres de nos Occidentaux leur sont supérieures. L'une des dernières, presque entièrement à la mine de plomb, à peine effleurée de quelques touches de couleur, représente une jeune fille, le corps entouré plusieurs fois d'une étoffe légère qui laisse discrètement transparaître les formes, comme dans les figures égyptiennes. L'enfant tient une fleur à la main. Il n'y a, ce semble, nulle exagération à dire que cette miniature, grande à force de simplicité et de science qui se cache, respire le sentiment des bonnes peintures du Pérugin.

L'encyclopédie San-thsai-thou-hoer contient des portraits gravés au trait sur bois. Mais l'un des plus curieux livres de ce genre est l'ouvrage grand in-octavo, soit en trois, soit en deux volumes, suivant l'édition, intitulé (1): « Biographies illustrées de portraits par Tchou-Tchouang, dans la maison des soirées

(1) Wan-siao-Tchang-Tcheou-Tchouang-hoa-tchouen.

Portraits chinois en miniature au palais Barberini.

Biographie

illustrée des grands hommes.

joyeuses,» titre bizarre comme en ont fréquemment les Chinois. Ce livre, dont la publication remonte au règne de Khien-Loung, contient un texte avec figures en pied qui brillent par une variété infinie de poses, par la liberté du dessin, surtout par le mouvement et le caractère. Il va sans dire que ces figures, jetées, à la mode ancienne, au milieu du papier, sans poser sur aucun terrain, ne sont pas ombrées et rappellent le fameux personnage du roman allemand, ce Pierre Schlémil qui avait perdu son ombre (1). Ce sont tous grands hommes ou femmes illustres des époques anciennes, classés dans l'ordre des dynasties. Il y a là de quoi défrayer des plus splendides paravents tout un palais. Les copistes ne s'en font faute, et prodiguent même ces figures à l'ornementation de riches poteries. Dans ce livre, les guerriers abondent armés de toutes pièces, parfois une épée dans chaque main. Parmi eux, quelques amazones brandissent l'arc ou l'épée. Ici une figure, les bras et la poitrine nus, pose assise et drapée à l'antique c'est le grand annaliste Sse-Ma-Tsien, surnommé par les Européens le père de l'histoire, l'Hérodote de la Chine, qui naquit cent quarante-cinq ans avant l'ère chrétienne. Il a tout l'air d'un vieux

(1) Ce charmant ouvrage, qui ferait honneur à l'imagination allemande, est d'un émigré français, Adalbert de Chamisso, qui, à l'exemple d'Antoine Hamilton, d'Horace Walpole, de l'abbé Galiani, de Grimm, du prince de Ligne, du baron de Besenval en France, s'était assez identifié avec l'esprit du pays qui lui donnait asile pour en écrire la langue comme son idiome maternel. Cet homme de si heureux esprit était en outre fort savant botaniste. Dans sa première jeunesse, il avait été distingué avec bienveillance par Madame Élisabeth, sœur de Louis XVI.

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